Guy Oberson, un paradis qui s’est perdu jusqu’au chaos

Jusqu’en août, Guy Oberson est l’invité du Musée d’art et d’histoire de Fribourg. Erreur de paradis présente des œuvres nées de récents voyages, où la sérénité contraste avec le drame.

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par Eric Bulliard

Une douceur se dégage de certains tableaux, les portraits, en particulier. Et une beauté fulgurante, comme dans ses paysages à la frontière de l’abstraction. Mais la quarantaine d’œuvres que Guy Oberson présente au Musée d’art et d’histoire de Fribourg jusqu’au 30 août vibrent surtout d’une puissance sourde, parfois douloureuse. Sous la force du geste, l’écho des drames.

Moins de deux ans après son exposition au Musée de Charmey, le peintre installé à Lentigny propose des œuvres d’un autre registre, centrées sur le voyage. Erreur de paradis: le titre de l’exposition semble dire ce monde qui se trompe de chemin.

Au fond, tout pourrait être aussi paisible que ce paysage de Palestine. Mais Guy Oberson l’a entouré de photos de deux réfugiés anonymes pris dans un camp de Ramallah, fiers d’une dignité qu’ils appellent Sumud. Rien de violent ni de provocateur, juste un arrière-fond que l’on sait difficile. «Je ne peins pas une situation pour dire que c’est bien ou mal, je la peins parce qu’elle me fascine», lit-on en ouverture de l’exposition.

«Le besoin de s’élever est inhérent à l’être humain»

Ces situations, il les a découvertes en Palestine, en Alberta (nord du Canada) et en Chine. De ces voyages pas forcément confortables, il ne cherche pas à montrer les paysages réels, relève la directrice du Musée, Verena Villiger: «Il les retravaille, les intériorise, de façon personnelle. Les voyages sont des déclencheurs, des catalyseurs artistiques.»

L’exposition s’ouvre par un chapitre «Elévation»: «Le besoin de s’élever est inhérent à l’être humain», rappelle Guy Oberson. A un visage tranquille, tourné vers le ciel, répond une vue (tirée de Google Earth) d’une mosquée de Bagdad. Mystérieuse, comme un étrange bijou pris dans le flou caractéristique de sa peinture.

Sérénité dans le chaos
«Temple», la deuxième partie de l’exposition, est issu d’un voyage en Chine. «Il y a un contraste dans ce pays entre le consumérisme et le besoin de recueillement», raconte Guy Oberson. Sa série d’aquarelles dialogue avec la tradition chinoise, cette «peinture harmonieuse, élégante», éloignée d’un art occidental volontiers brutal. L’œuvre intitulée Dieux-animaux vient toutefois le rappeler, avec son écho à la peinture rupestre: il existe un fond commun de l’art et l’on a, ici, le sentiment de toucher à son essence même.oberson4

Contrastes et tensions, ensuite, dans la salle principale. Le visiteur est accueilli par Neiges éternelles, impressionnante œuvre sur papier, à la pierre noire. Guy Oberson s’est inspiré d’une photo d’archives, représentant des enfants canadiens. Les pliures de la vieille image deviennent fissures. Et le titre se comprend alors sur le mode optatif: on souhaiterait que ces enfants gardent leurs neiges éternelles, alors qu’elles ressemblent plus à un paradis perdu…

Dans cette partie centrale, intitulée «D’autres lendemains», le dialogue se révèle intense. «Les petits portraits se retrouvent comme en étau entre les paysages en grands formats, souligne Mélanie Roh, collaboratrice du MAHF. Ce jeu de tension appuie le propos: des individus pris dans un monde chaotique.»

Sous la beauté, la mort
Saisissant contraste, en effet, entre les destins de la travailleuse chinoise et de l’immigrante anonymes, représentées dans des tons pastel faussement sereins, et ces paysages tourmentés, magnifiques. Guy Oberson se dit d’ailleurs interpellé par cet étrange sentiment, sur place, entre la situation dramatique, par exemple en Palestine, et les splendeurs naturelles.

Une autre œuvre époustouflante montre la nature dans son versant le plus terrifiant: à la pierre noire (technique qu’il maîtrise magistralement), Guy Oberson a représenté l’effroyable vague du tsunami de Fukushima. A côté, un Héros anonyme, dérisoire et poignant.

A Fort Chipewyan, Guy Oberson a découvert «des paysages et un village magnifiques, mais où plane la mort»

La dernière partie de l’exposition est entièrement consacrée au nord du Canada, région d’origine de l’écrivain Nancy Huston, compagne du peintre. A Fort Chipewyan, il a découvert «des paysages et un village magnifiques, mais où plane la mort». L’extraction de sables bitumineux crée en effet une pollution des eaux qui affecte gravement la population.

Musique et installation
Guy Oberson peint des tombes d’enfant, garnies de peluches ou de fleurs rouge sang. Sur fond de musique troublante (composée pour l’occasion par le pianiste Edouard Ferlet), une installation leur fait écho, avec des oursons en céramique, traversés de rayons lumineux rouges formant «un lien entre la terre et le ciel».

Aux enfants qui courent et semblent s’évanouir dans la forêt (Forest fading) répondent quatre «okis» à l’aquarelle. Ils sont considérés, par les peuples autochtones, comme les esprits de tout être et de tout animal. Comme si, au terme de cette exposition d’une puissance rare, il ne restait plus qu’à s’en remettre à eux, ultimes gardiens des eaux.

Fribourg, Musée d’art et d’histoire, jusqu’au 30 août. www.mahf.ch

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Exposer l’art d’aujourd’hui

Né en 1960, Guy Oberson vit entre Lentigny, Paris et Berlin. Il succède à Sandro Godel dans la liste des peintres fribourgeois contemporains exposés au Musée d’art et d’histoire de Fribourg. Depuis plusieurs années, le MAHF consacre en effet une de ses trois expositions annuelles à un artiste vivant, afin de «présenter ce qui se fait en ce moment d’intéressant dans le canton», précise la directrice Verena Villiger. Le Musée prépare en outre pour 2019 une importante exposition collective.

Les Cahiers d’artiste, publiés à chacun de ces accrochages, forment aussi un panorama de l’art d’ici et d’aujourd’hui. Celui consacré à Guy Oberson contient deux textes signés Victor I. Stoichita, professseur d’histoire de l’art moderne et contemporain de l’Université de Fribourg, et Mélanie Roh, historienne de l’art et collaboratrice du MAHF.oberson6

A noter que l’exposition projette en boucle un film de Jennifer Alleyn, réalisé à Montréal. La Terre nous est étroite montre Guy Oberson en pleine création, lors d’une performance inspirée par un poème de Mahmoud Darwich, lu par la romancière Nancy Huston, compagne du peintre. Ce jeudi, à l’occasion du vernissage (18 h 30), ils proposeront une lecture commune de leur journal de voyage, accompagnée de projections.

 

 

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