Avec Cali, l’âge d’or est lumineux comme le printemps

Un peu plus de deux ans après l’intime Vernet-les-Bains, Cali sort son sixième album, L’âge d’or. Un disque lumineux, centré sur la famille, l’amour, Léo Ferré. Rencontre lors d’un récent passage à Lausanne.

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Par Eric Bulliard
Vernet-les-Bains était en quelque sorte né en réaction au très électrique La vie est une truite arc-en-ciel qui nage dans mon cœur: comment ce nouvel album se situe-t-il à son tour par rapport au précédent?
Je ne me suis pas trop posé de questions. Pour La truite, je savais que je voulais faire un truc très pop et pour Vernet, je voulais quelque chose de très posé. Là, j’ai écrit les chansons sans savoir dans quelle direction partir. J’en ai écrit beaucoup alors que je faisais du théâtre, pendant quatre mois à Paris.

Quand j’ai rencontré David François Moreau, réalisateur du disque, la couleur est arrivée tranquillement. La seule limite était son imagination. Il joue de tous les instruments, on s’est amusé dans son studio… Il vient de la musique de film, de ballet, de la musique contemporaine. Je me suis laissé porter. A la fin, j’étais ravi du résultat, mais je ne savais pas trop où ça allait finir.

Vous ne connaissiez pas du tout David François Moreau avant?
On s’était croisé sur un Téléthon: j’avais chanté avec Bénabar, Bruel et une jeune fille, Marina Russo. David François Moreau avait arrangé la chanson et nous avait dirigés vocalement. Je l’avais trouvé adorable, à la fois doux et exigeant. Je m’étais dit que ce serait génial de travailler avec quelqu’un comme lui. Après, il est venu me voir au théâtre et il y a l’intuition, la petite voix qui te dit «il faut lui demander»…Cali_Presse_622_05_color┬®Yann_orhan

Qu’a-t-il amené que vous n’auriez pas trouvé seul?
C’est toujours génial de travailler avec un réalisateur parce qu’il essaie de sublimer tes idées, de les amener plus loin. Harmoniquement, c’est un petit génie: il a amené des harmonies, sur mes compositions, que je ne serais pas allé chercher. Et, surtout, il m’a fait chanter différemment, en me poussant à regarder loin, à sourire, à souffler parfois les mots. Je trouve que la principale différence avec les autres albums, c’est ma manière de chanter.

Je dois annoncer tout ça est en quelque sorte un prolongement de Je rêve de voir l’été qui se trouvait sur Vernet-les-Bains
J’ai hésité à mettre cette chanson, parce que j’avais fait Je rêve de voir l’été: c’est un peu la même histoire, avec la même issue, mais une personne différente. C’est une autre copine qui est allée faire des tests et le docteur lui a dit qu’elle était au dernier stade du cancer…

Ils se sont gourés dans le diagnostic: elle va bien, elle a quelque chose qui peut se soigner, qui n’est pas alarmant. Elle m’a expliqué qu’en sortant de chez le docteur, elle a regardé la nature autrement. Elle a regardé sa voiture, son sac à main, tout était différent et, surtout, elle se demandait comment annoncer ça à la famille. Tu vas chez le docteur pour rien et tu sors en pensant que tu vas mourir. Je me suis dans sa peau pour raconter ça. Et juste après, il y a l’instrumental Poppée in utero: la présence de la mort est suivie de la renaissance, en quelque sorte.

J’aime Ferré, c’est la source. Et L’âge d’or est une chanson tellement lumineuse! C’est demain, c’est les bras qui s’ouvrent…

En fait, j’ai vu dans le travail de David François Moreau un côté cinématographique: je voyais se dérouler des petits films et comme il y a beaucoup de mots dans chaque chanson, je voulais une respiration. J’ai profité de sa filiation à la musique contemporaine pour lui demander de composer un truc en ce sens. Il a arrangé des petits bouts d’instruments utilisés dans l’album.Cali_Presse_786_03_color┬®Yann_orhan

Cette réflexion sur la disposition des chansons, sur la notion d’album dans son ensemble reste-t-elle importante, à une époque où la musique se consomme différemment?
Oui, j’essaie de le répéter à ma maison de disques qui explique que, bientôt et même dès maintenant, le principe, c’est: tu composes une chanson, tu la mets sur internet et un mois après tu en fais une autre… Et comment vont faire les écrivains? Ils vont mettre un chapitre, puis un autre? Pour moi, le disque reste un voyage. Il faut quelques chansons pour créer un passage comme celui-ci, entre la mort et la renaissance.

Ce format de 13 chansons me va bien: quand j’écoute le dernier Thiéfaine, j’aurais de la peine à sortir une chanson. En le réécoutant, je comprends le choix, le voyage. C’est non seulement important de garder ce format, mais, de plus, je mets à la même hauteur que la musique le photographe qui vient raconter l’histoire avec ses images. Tous ces aspects, c’est dans les disques qu’on les trouve et ils doivent continuer à exister… Mais c’est compliqué.

Comme L’espoir (2008), L’âge d’or renvoie à Ferré: pourquoi avoir repris ce titre particulièrement?
Quand j’ai écrit toutes les chansons pour l’album, il y a une chose dont j’étais sûr, c’était de terminer avec L’âge d’or. Cette chanson me hante depuis un moment. J’aime Ferré, c’est la source. En général, au-delà de la poésie magnifique, ses chansons peuvent être plombées, tristes, sombres et celle-ci est tellement lumineuse! L’âge d’or, c’est demain, c’est les bras qui s’ouvrent, c’est plein d’espoir, de fraternité…

On l’a enregistrée en une prise: le pianiste Julien Lebart ne connaissait pas la chanson. Il m’a suivi, sans qu’on se pose de questions. Je n’ai pas déclamé les mots, je les ai juste posés et ils s’envolent tout seuls. Cette prise nous a touchés et on l’a gardée.

L’âge d’or, dans les périodes troublées que l’on vit, vous y croyez toujours?
C’est l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide… Pour moi, l’âge d’or, c’est ce printemps qui est quelque part, quoi qu’il arrive. Il faut juste le trouver, le graver au fond de nous et vivre avec. Sinon, ce n’est pas possible. Avant, c’était bien, mais c’était tragique aussi. Aujourd’hui, il y a des choses bien et des choses tragiques, mais le problème c’est qu’elles vont tellement vite qu’on a l’impression que tout va mal: le moindre drame à l’autre bout du monde est chez nous en deux secondes. Si tu fais le tour du net en lisant un peu tout ce qui se passe, tu as l’impression que le monde nous tombe sur la tête. Alors que c’était pareil avant, sauf qu’il n’y avait pas internet…Cali_Presse_814_01_color┬®Yann_orhan

Je reste positif et d’ailleurs je pense que c’est mon album le plus lumineux. Nos enfants sont là, on ne peut pas leur dire: tout est foutu. L’idée, c’est de dire: je me suis fabriqué des souvenirs, je me rappelle de choses qui me font du bien, qui m’ont construit et aujourd’hui, il faut continuer à fixer ces choses-là, les garder au fond du cœur et du ventre, parce que, dans les moments difficiles, vous allez vous en souvenir. Pour moi, l’âge d’or, c’est ça, c’est partout. Tout n’est pas rose, mais il faut regarder le bon truc.

D’où ces références au passé: «tout ce qui ne reviendra plus», «t’avais les poches pleines de pavés,» «c’était beau»…
C’est en hommage: Tout ce qui ne reviendra plus, j’aurais pu l’appeler Tout ce qui va arriver maintenant. Ce qui ne revient plus forme aussi le démarrage de quelque chose et ça m’a toujours intrigué. Dans la chanson, je parle de l’institutrice de mon village, qui m’a offert la lecture et l’écriture. Je ne la remercierai jamais assez, parce que donner ça à des enfants, c’est fou! C’est dingue d’avoir un enfant qui, à la fin de l’année scolaire, sait lire et écrire et part dans la vie. Je trouve ce moment-là merveilleux et troublant.

Je parle aussi du rugby, de Roger Couderc et Pierre Albaladejo, parce qu’il y avait un tel engouement, une telle passion dans leurs voix qu’après j’allais dans la rue refaire le match… J’ai souvenir de choses qui m’ont marqué: en mars 1978, par exemple, France-Irlande, un samedi. Pendant le match, ils ont passé un bandeau en dessous: «Claude François est mort»…

Dans Vernet, je parlais du premier baiser, là j’y reviens en disant: maintenant, on peut souffrir pour de vrai… Mais souffrir, ça ne veut pas dire mourir! Souffrir, ça veut dire vivre! Pour moi, c’est très positif. Quand je dis «on avait des rêves si grands», dans Camarade, c’est une chanson positive: Geoffrey Burton, mon ami guitariste belge, m’appelle un jour et me dit «je vais me marier». Moi, je suis au fond de la Catalogne et je suis tellement heureux pour lui! J’ai raccroché, j’ai écrit la chanson. Après, je romance un peu, en me prenant pour celui qui est isolé, qui n’arrive pas à entrer dans cette société. Quand Geoffrey est venu jouer, il a découvert la chanson et il avait les larmes aux yeux, c’était un moment dingue.

Ostende, c’est une vraie histoire: Geoffrey m’a amené sur cette plage, que je ne connaissais pas. Un vrai délire. Je suis arrivé là en hiver, une fin d’après-midi et je suis resté trois heures. Ça m’a marqué, remué. C’était fantomatique, fou, vraiment fort.

On retrouve Ferré dans d’autres chansons comme Camarade et Ostende, qui renvoie à Comme à Ostende
Oui, mais Ostende, c’est aussi Bashung, Brel, Arno… C’est surtout une vraie histoire: Geoffrey m’a amené sur la plage d’Ostende, que je ne connaissais pas. Un vrai délire. Je suis arrivé là en hiver, une fin d’après-midi et je suis resté trois heures sur la plage. Avec le casino, la lumière… Je me suis dit que si j’étais photographe, je ferais la plus belle photo du monde et que si j’étais peintre, j’habiterais ici! Ça m’a marqué, remué. C’était fantomatique, fou, vraiment fort. Je suis rentré en voiture sans dire un mot. Cette plage m’a hanté pendant longtemps et j’y pense encore. La chanson est venue de cette expérience-là.

Vous consacrez une chanson à Poppée, votre dernière-née et vous chantez un duo avec votre autre fille, Coco: n’avez-vous pas eu de réticence à les mettre ainsi sous les projecteurs?
Nous en avons beaucoup discuté à la maison, mais c’est assez simple: Coco est dans la musique, elle joue du violoncelle et du piano, elle vient parfois chanter avec moi… Mais elle ne dit pas qu’elle veut être musicienne ou chanteuse: à 9 ans, elle me dit qu’elle veut être obstétricienne. Elle veut donner la vie! Je trouve qu’elle fait de la musique pour de bonnes raisons, pour s’amuser et pas avec des vues viciées.

C’était donc naturel. Je pense toujours au maçon qui construit une maison de ses propres mains pour ses enfants et petits-enfants: c’est le plus beau truc qu’il puisse faire. Moi, je suis chanteur, je fais un disque pour elle, pour eux, elle me dit «je t’aime», je lui dis «je t’aime» et on grave les «je t’aime»… Plus tard, peut-être qu’elle va pleurer en écoutant sa chanson, en se disant qu’elle a chanté avec son papa quand elle avait 9 ans. Elle se verra sur la pochette. Je n’ai pas pensé au reste.cali-pochetter

Le titre du single, La vie, quoi!, renvoie-t-il à Higelin?
Ah j’adore ça! Mais non, non…

Parce qu’il chante, dans Follow the line: «La terre et le ciel / les hauts et les bas / la vie quoi, le bordel!»
Il faut que je réécoute ça… Je n’y ai pas du tout pensé, mais tant mieux, parce que j’adore Higelin, évidemment. Mais non, rien de prémédité, instinct encore une fois: on était avec David, il prend le piano et joue quelques notes. Je commence à poser des phrases, une mélodie. On s’arrête au bout d’un moment, on se regarde et ça marche. Je lui fais «hé, la vie, quoi!» et c’était parti.

J’aime l’idée de me mettre dans deux positions: «La vie, quoi!» ça peut être moi face à mon fils de 17 ans, qui me demande: «Ça fait quoi d’être amoureux? Raconte-moi.» Ou alors ça peut être quelqu’un qui a vécu des choses, qui n’est plus du tout là-dedans et qui veut s’en rappeler. Il se souvient que c’était super-bien et il demande: «Rappelle-moi comment c’était…» Ce qui est drôle c’est qu’elle est arrivée comme ça et c’est celle qui passe en radio.

«Parle-moi d’amour, la vie quoi!»: vous faites une équivalence entre amour et vie?
Oui, «la vie ne vaut d’être vécue sans amour» comme disait Gainsbourg. C’est tout con, mais le reste, c’est de l’artifice pour arriver au jour d’après. L’amour, c’est le but ultime, c’est la magie. Si tout est pragmatique, si tout est dessiné, on vit on meurt, ce n’est pas possible. J’adore l’idée de l’amour terroriste qui te tombe sur la tête et te change la vie en trois secondes. On prend un autre chemin, on ouvre une autre porte. C’est la vie, évidemment.

Vous avez une réputation de bête de scène, avec des concerts toujours très forts. Désormais, vous êtes très attendu dans ce registre: comment le vivez-vous?
Il faut rester calme à ce niveau-là. C’est vrai qu’à un moment donné, quand tu mets la barre à un certain endroit, il faut être là, derrière. Mais j’ai eu la chance de faire une tournée avec Steve Nieve au piano où, à l’inverse, je suis resté complètement immobile, très posé. Les gens ont été déstabilisés au début, mais après, ça a fonctionné. C’était une autre émotion.

Surtout, je regarde Springsteen… Je l’ai vu plusieurs fois, toujours dans des concerts inoubliables. Il donne tout comme si c’était le dernier, c’est fou. Un jour, je rentrais du Québec et j’étais invité à aller voir Springsteen à l’Arena de Montpellier. J’ai dit à ma femme: je ne peux pas, je suis malade, je suis vraiment pas bien… Elle me dit: «Si tu n’y vas pas, je te connais, tu vas le regretter…» J’ai pris la voiture, j’y suis allé et je suis sorti guéri! Et le mec a 65 ans… Il faut lire la bio Bruce, c’est une leçon de vie: sur chaque scène, depuis le début jusqu’à aujourd’hui, il a toujours tout donné. Sans chercher à se comparer, c’est ces traces-là qu’il faut suivre.

Donc, pour la tournée, je dis à mes musiciens que Springsteen, avec le E-Street Band, fait des morceaux très rock et après, il joue en piano-voix ou guitare-voix. Il y a du relief, c’est un voyage. On va jouer quasiment tout l’album, on va refaire des versions différentes d’anciennes chansons, on va passer par des moments hauts, bas, en terme de rythme, avec l’idée de toucher toutes les émotions. Là, on est en pleine répétition et on rigole bien. On est content, on va partir en colo de vacances!

Vous avez joué au théâtre, on vous a vu au cinéma et sur M6 comme juré de Rising star, vous avez créé un festival à Vernet-les-Bains, êtes-vous hyperactif?
L’autre jour, j’écoutais Marjane Satrapi, qui est dessinatrice, mais qui fait aussi mille choses et qui l’expliquait par une expression iranienne: «J’ai le clou au cul…» C’est cette sensation que tout va s’arrêter, on le sait tous, et il faut donc essayer de goûter à tout, de toucher à tout, de boire à tout et de s’amuser.

Quand je n’ai rien à faire pendant un bout, je ne suis pas le plus heureux des hommes. Il faut qu’il se passe des virages, n’importe quoi: le théâtre, c’était une pièce de Patti Smith et Sam Shepard, complètement underground, à la Gaîté-Montparnasse. Le texte est très barré, c’est une folie, et quelques mois après, je faisais une émission de télévision à paillettes. Je me suis marré, parce que j’ai croisé des gens que je n’aurais pas croisés habituellement et que j’ai dit plein de conneries! C’est un voyage qui me plaît. Le fil rouge reste les concerts et la musique, mais je suis touche-à-tout: je pense que si tu n’es pas bon dans un vecteur particulièrement, tu peux tout faire!

Vous semblez particulièrement clivant, avec un public fidèle qui vous suit et des gens qui vous critiquent parfois violemment: comment le vivez-vous?
Je suis désolé si je fais du mal à des gens ou si je les emmerde! Ferré disait: «Un concert, si t’aimes pas, tu viens pas!» Mais, en premier lieu, je suis content d’être encore là. Je vois des chanteurs qui étaient avec moi au démarrage, qui ont fait un disque et qui ne sont plus là. Le disque, aujourd’hui, c’est dur, beaucoup de choses se cassent la gueule. Malgré les hauts, les bas, les tempêtes, je suis encore en train de m’amuser, c’est une chance énorme.

Je regarde les Thiéfaine, Lavilliers, Higelin, ils ont eu des très hauts, des très bas… C’est l’histoire de la vie d’un homme. Et je trouve ça rassurant: quand je vois quelqu’un de lisse, quand les médias renvoient une image de beau-fils idéal, ça me fait peur, parce que ça n’existe pas. Je trouve plutôt rassurant de voir des défauts.Cali_Presse_802_02_color┬®Yann_orhan

Je ne suis jamais content quand quelqu’un me descend ou dit: «Je ne le supporte pas.» Mais, sur internet, il y a des trucs qui me font rire. Quand je lis que mon coiffeur doit être mort, ça me fait marrer! Ou quand on me traite de bobo, alors que j’habite un village chez moi dans la montagne… Dans les critiques, il y a des choses que je ne comprends pas, mais je suis aussi rassuré de voir des médias qui me suivent depuis le début et qui sont toujours bienveillants. Je me dis que ce n’est pas si pourri. Après, ça serait plus facile si j’étais seul, parce que c’est toujours les autres de la famille qui ramassent les pots cassés…

Pour terminer avec Ferré, avez-vous eu la chance de le voir sur scène?
Non. Aujourd’hui, je corresponds avec sa famille, sa femme, son fils… Un jour, je devais aller le voir sur scène, au Dejazet, je ne savais pas que c’était la fin pour lui: après, il n’a plus joué. Je n’étais jamais allé à Paris et je me suis retrouvé avec des amis d’enfance qui faisaient une fête. Je les ai suivis plutôt que d’aller voir Léo Ferré! Je garde ce regret absolu…

Cali, L’âge d’or, Sony Music. En concert le 30 avril à la Salle des fêtes de Thonex

www.calimusic.fr

Posté le par Eric dans Chanson française, Musique Déposer votre commentaire

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