Cali revient aux sources

Après un très électrique La vie est une truite arc-en-ciel qui nage dans mon cœur, Cali est revenu s’est calmé, apaisé. Vernet-les-Bains (nom du village où il a grandi) se révèle épuré, émouvant et apparaît comme son meilleur album.cali

 

par Eric Bulliard

L’album paraît plus apaisé, épuré: comment s’est faite cette évolution?
Sur l’album précédent, qui était réalisé par le guitariste Geoffrey Burton, je voulais aller très loin musicalement dans tout le pop-rock-punk, que j’écoute depuis toujours. J’en suis très fier. On a fait une tournée électrique à fond et quand elle s’est arrêtée, je suis retombé. J’ai eu besoin de cet apaisement, de me retrouver. Je suis parti sur la route, piano-voix, avec Steve Nieve, le pianiste d’Elvis Costello. Et j’ai écrit ce disque pendant la tournée. Je pense qu’il y a cette influence.

La deuxième raison, c’est que je me suis rendu compte (il m’a fallu du temps!) qu’un propos qu’on veut puissant, violent ou précis est beaucoup plus percutant s’il est murmuré que s’il est hurlé. 

Le paradoxe, c’est que l’épure, l’apaisement, n’empêche pas la force émotionnelle…
Dès que j’ai commencé à composer chez moi, je savais que je n’avais pas besoin de fioritures musicales, que je n’avais pas besoin de pousser plus que ça. C’est pour cette raison que j’ai choisi Frédéric Lo comme réalisateur, parce que Eldorado de Stephan Eicher et les Daniel Darc qu’il a produits ont une place très importante dans ma discothèque. Je savais qu’il pouvait donner vie comme je voulais à ce disque-là. Quand il a écouté les maquettes, il a dit: «Mais c’est simple, tout est là! On ne va pas faire grand-chose de plus…» Et j’ai aimé ça.

Est-ce que le relatif échec commercial du précédent a joué un rôle dans ce changement
Non, parce que c’est un échec effectivement relatif… L’échec, pour moi, ne se situait pas au niveau des ventes de disques. J’ai été très gâté depuis le début: mes trois premiers albums, 90% des gens qui me suivaient les ont aimés. Et là, la moitié n’aimait vraiment pas, je l’ai senti totalement. C’était un truc bizarre… Ça m’a fait mal d’avoir déçu des gens. D’un autre côté, je me suis dit que j’étais allé au bout de ce que je pouvais faire, de mon art, si on peut dire. Et l’art doit mécontenter des gens…

Commercialement, j’ai vendu moins de disques, mais il faut le resituer dans le contexte des chutes générales des ventes… Ce nouvel album n’est toutefois pas une réaction, surtout pas. J’ai la force d’assumer ce que je fais jusqu’au bout et ensuite de tout effacer et de repartir à zéro. J’aimais l’idée d’un recommencement, ce qui me permet de penser que j’ai du temps devant moi et donc, peut-être, la chance de faire encore plein d’autres albums.

Ce recommencement s’est-il produit naturellement par un retour au village de Vernet-les-Bains?
Les chansons sont arrivées et je n’avais pas de titre pour l’album. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte que chaque chanson était liée à ce moment précis de ma vie et que chacune était un refuge. J’aurais pu l’appeler Le Refuge, cet album, ou La vie des gens ordinaires… Parce que chacun a son Vernet-les-Bains, un refuge où l’on se ressource, où l’on se retrouve. J’espère en tout cas. A un moment donné, on a tous besoin de quelques minutes pour se dire: je me souviens de mon village…

Le titre est arrivé après, parce que je me suis rendu compte que la grotte des amoureux, c’est à Vernet-les-Bains, le bar Chez Jeanine, dont je parle dans Je rêve de voir l’été, existe vraiment sur la place du village, l’histoire de la vieille dame se situe aussi là-bas… Dans L’amour est éternel, je parle d’un couple de ma famille: ils ont vécu un coup de foudre au lycée et, à 50 ans, ils sont toujours ensemble. Je trouve ça tellement magnifique! Je ne sais pas si les gens l’ont compris comme ça, mais je suis admiratif: quand elle ne va pas bien, il la ramasse et lui dit: «Je suis avec toi.» Quand il ne va pas bien, elle le ramasse… Ils se disent: «On a eu un coup de foudre, on s’est dit que ce serait pour la vie, donc c’est pour la vie!» J’adore cette croisade, ce combat! Dans la chanson, le garçon se pose la question: «Quand est-ce qu’elle va me jeter?» Mais elle ne l’a pas fait. Tout ça se passe à Vernet-les-Bains. Même le happy end, à la fin: c’est des chanteurs proches qui me font la morale, mais c’est parti de repas de famille ou avec des amis, dans mon village, qui me disent: «Tu déconnes toujours, tu rigoles, alors que tu nous emmerdes avec tes chansons tristes, sombres ou nostalgiques!»

En plus, ce nom de Vernet-les-Bains sonne bien…
J’en suis ravi, merci! En fait, j’y pensais très fort, mais face à ma maison de disques à Paris, je me suis dit: «Je ne vais quand même pas avoir cette prétention…» Et quelqu’un de la maison de disques, un Parisien qui ne connaît pas cet endroit, m’a soufflé: «Pourquoi tu ne l’appellerais pas Vernet-les-Bains?» Aujourd’hui, quand je fais une promo ici en Suisse ou en Belgique ou à Paris, quand les gens prononcent le nom de mon village, ça me fait toujours bizarre et ça me ravit.

Je fais souvent le pèlerinage d’aller voir le lieu du premier baiser…

La plupart des textes sont liés au passé: vous avez pourtant des liens actuels avec Vernet-les-Bains…
Oui, j’habite à 30 kilomètres, j’ai toujours de la famille là-haut. Et j’ai beaucoup d’amis et de membres de la famille au cimetière que je vais voir régulièrement. Et je fais souvent le pèlerinage d’aller voir le lieu du premier baiser, par exemple… J’ai hésité à trouver une maison pour habiter de nouveau là-bas avec ma famille, mes enfants, mais finalement j’ai trouvé sain d’y venir parfois. Peut-être que si j’y habitais en permanence, je n’aurais pas ces réactions fortes.

Et ce côté nostalgie, temps qui passe?
C’est sûrement l’âge qui avance. De plus en plus, comme je m’éloigne de ce moment-là, je ressens le besoin d’en parler, pour m’en rapprocher. Plus j’en parle, plus j’ai 17 ans et je vais embrasser une fille et faire l’amour pour la première fois… J’ai eu une bonne éducation, j’ai été entouré par des amis, frères, sœurs. J’ai perdu mes parents tôt, mais je sais qu’ils étaient là quand même… J’ai trois enfants aujourd’hui et j’aimerais qu’ils aient la même chose. A Paris, quand je vois les banlieues, par exemple, je me dis que ceux qui grandissent là ont eu autre chose, mais pas ma chance de villageois protégé, qui peut grandir tranquillement… C’est un peu La petite maison dans la prairie!

Il n’y a que Bénabar qui peut dire comme ça: «Tu nous emmerdes avec tes chansons…»

Comment s’est déroulée la naissance de Happy End, où des chanteurs comme Bénabar, Miossec, Dominique A… viennent vous faire la morale?
On s’est bien marré… Je les ai appelés et tous m’ont dit oui en trois secondes. Je leur ai donné l’idée: j’écris des chansons tristes et vous me le reprochez… On s’est retrouvé comme on a pu autour de la chanson et je la voyais monter. Je leur ai proposé des couplets qui leur allait bien: les gens croient que c’est eux qui ont balancé leur texte… Ça m’a ravi! Il n’y a que Bénabar qui peut dire comme ça: «Tu nous emmerdes avec tes chansons…»

C’est une autocritique qui signifie aussi qu’on fait tout un monde des chansons, des albums, on les met en valeur, mais ça reste des chansons… J’aimais bien l’idée de finir sur un sourire et de dire que ce chanteur est un petit con… Et au début de la chanson, il y a ma petite fille qui souffle «Happy End»: je l’ai mise sur le livret, avec Miossec et les autres!

Vos chansons d’amour sont souvent sombres, alors que, paradoxalement, vous faites une chanson sur la maladie, Je rêve de voir l’été, qui, elle, est plutôt positive…
C’est à propos d’une fille de notre bande, un petit bout de joie, toujours gai luron. J’étais sur la route l’an dernier quand j’ai appris qu’elle avait un cancer assez avancé. Ça m’a dévasté, je me suis dit: «Pas elle! C’est pas juste!» Je ne pouvais pas l’imaginer. Je me suis demandé: «Et si on m’annonçait à moi que le mur était là, que derrière il n’y aurait plus rien?» Je me suis mis dans sa peau. Peut-être que je me rappellerais de tous les bons moments de la vie, de tout ce que j’aurais envie de revoir… Mais si j’en parle avec le sourire, c’est qu’elle a gagné le combat: elle va beaucoup mieux aujourd’hui, sinon, je n’aurais pas mis la chanson sur l’album.

Vous évoquiez cet album comme un nouveau départ: est-ce à dire que vous allez continuer à explorer cette voie ou revenir à des choses plus électriques?
Je ne sais pas. Ce qui me plaît avec l’idée d’avoir été accepté avec pas grand-chose,  c’est que ça peut encore exploser dans tous les sens et repartir… Je me casserai sûrement la gueule, mais, au moins, j’ai le droit de faire autre chose. Je suis par exemple fasciné par le rap, le hip-hop. Après, il faut savoir le faire… Je travaille aussi avec un musicien classique: il y a peut-être des mélanges à imaginer. J’aimerais bien aussi chanter en catalan, ou partager des chansons en anglais avec mes héros chanteurs, ceux dont je suis très fan… J’aime me dire qu’il n’y pas de limite et peut-être que la prochaine fois ce sera encore plus épuré… ou une messe!

Mais quand je regarde Springsteen, par exemple, qui peut chanter les chansons de «Nebraska» arrangées différemment, ça me touche: sur scène, les chansons peuvent être à la fois intimes et puissantes.

La tournée à venir sera-t-elle dans la même tonalité, essentiellement acoustique?
Non. Là, je termine avec Steve Nieve, piano-voix, et à partir du 31 janvier, on démarre à Besançon une tournée avec un combo rock, basse, batterie, guitare, claviers, voix. Mais quand je regarde Springsteen, par exemple, qui peut chanter les chansons de Nebraska arrangées différemment, ça me touche: sur scène, les chansons peuvent être à la fois intimes et puissantes. Il suffit parfois de monter juste la tonalité. Quand j’écoute un album, j’adore fantasmer l’idée de la scène. J’entends l’album, je me dis qu’en concert, ça va être rocking chair et guitare acoustique. J’y vais et je vois une tornade, avec la puissance absolue… Ça me plaît, cette autre lecture des choses.

Ou l’inverse: ces chansons rock qui sur scène deviennent acoustiques, comme Springsteen le fait aussi…
Oui… Springsteen, en concert, c’est le plus haut! Cet été, je suis allé le voir pour la cinquième fois, à Montpellier. Avec toujours la peur de me dire «OK, il est super, mais est-ce que je vais avoir des frissons comme la première fois?» Et j’ai pleuré! C’est incroyable! C’est majestueux. Et il ne vieillit pas: si tu regardes les concerts d’il y a dix ou quinze ans, il a la même tête. C’est un délire. Très, très fort…

Sur ce disque, vous avez laissé de côté les chansons politiques, engagées: est-ce dû au retour de la gauche?
Je ne me pose pas de questions. Mes chansons arrivent et si elles sont politiques, je les livre sans peur. Même si ça m’a joué des tours. Là, il y a d’autres choses qui sont venues. Mais il y a aussi une réaction à quelque chose d’assez troublant: j’ai écrit en tout à peu près 150 chansons et, dans une période de ma vie, dans les interviews je parlais à 90% politique. Au bout d’un moment, c’était ridicule. J’étais dans un schéma qui ne me plaisait plus. Ma posture est simple: les gens savent ce que je mets dans l’urne et je serai toujours là avec ma guitare comme un petit soldat des causes que je trouve justes, mais le bavardage que j’ai effectué un certain temps était too much et peut desservir la cause. Je préfère parler par mes chansons.

Certains médias m’ont tendu des pièges gros comme des maisons et je fonçais dedans.

Avez-vous l’impression d’avoir été pris à votre propre jeu ou propre piège?
Oui, mais j’adore tomber dans les pièges! Parce qu’après il faut se relever et ça permet de cravacher encore, de travailler encore. Certains médias m’ont tendu des pièges gros comme des maisons et je fonçais dedans. La seule chose, c’est que mes proches savent ce que j’ai au fond de moi et donc tout est excusable, mais pour une personne qui m’entend parler seulement de temps en temps, je peux être insupportable! J’en suis tellement conscient maintenant! Mais je n’efface rien.

Etes-vous satisfait des premiers retours après la sortie du disque?
Je ne sais pas au niveau des ventes, parce que de toute façon, aujourd’hui les ventes, c’est difficile, mais ce qui me plaît énormément c’est que, par rapport à l’album précédent, il y a un changement vraiment palpable: j’avais eu pas mal de médias au départ et, rapidement, comme un entonnoir, tout s’est refermé. Parce que ça n’a pas plu. Et là, j’ai l’impression que ça s’ouvre: je vais dans des radios qui ne s’intéressaient plus à moi, qui font des chroniques sans qu’on ne demande rien, je vois des journalistes qui me disent qu’ils aiment… Je vois sur des blogs, sur Facebook, des réactions étonnantes et ça me ravit. On ne peut plus trop se baser sur les ventes, même si j’espère qu’on en vendra quelques-uns. Par contre, la réaction des gens me permet de dire que ce disque va être comme un diesel qui va m’amener sur toute la tournée. Et fièrement.

Est-ce que vous aimeriez ajouter quelque chose?
Non… Ou si les gens veulent envoyer des cartes postales à Vernet-les-Bains… J’adore, parce que j’ai fait ça pour déconner sur Facebook. Je ne sais pas ce qui m’a pris: je suis nul en plus pour Facebook, mais j’ai demandé à un copain de m’aider et on a marqué l’adresse de la mairie: Mairie de Vernet-les-Bains, 66820 Vernet-les-Bains, en disant «si vous appréciez l’album, si vous êtes content qu’on lui ait donné ce nom, envoyez une carte postale»… La mairesse du village m’a appelé, elle a reçu plein de cartes postales, le facteur est vert! Il y a des gens qui mettent n’importe quoi, mais c’est drôle!

Cali
Vernet-les-Bains
Disques Office

notre avis: ♥♥♥

 

 

 

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