The Charlatans, les derniers Mohicans de l’ère Madchester

Vingt-cinq ans après avoir figuré parmi les ténors du mythique club l’Haçienda à Manchester, The Charlatans sont les derniers rescapés de la vague Madchester. Avec Modern nature, ils signent un excellent douzième album marqué par le décès de leur batteur Jon Brookes.

charlatans-modern-nature

par Christophe Dutoit

The Charlatans portent décidément bien mal leur nom. Vingt-cinq ans après la sortie de leur premier album, les gars de Northwich (à mi-chemin entre Liverpool et Manchester) montrent à quel point leur musique n’a jamais sombré dans l’esbroufe ni dans la supercherie. Avec la sortie de Modern nature, leur douzième album, les derniers survivants de la vague Madchester signent un disque ample et envoûtant, paradoxalement triste et frétillant à la fois.

Tous ceux qui avaient 20 ans il y a vingt ans se souviennent des Charlatans pour avoir été l’un des groupes phares de l’Angleterre renaissante après le thatchérisme. Sur les pas de New Order (les rescapés de Joy Division passés à l’électro sautillante), une flopée de musiciens gravitent autour de l’Haçienda, un club de Manchester lancé par le label Factory. Gavé de pilules euphorisantes et de sonorités hypnotiques, chacun réinvente à sa guise un Graal musical entre rythmiques répétitives, orgue Hammond surexploité et, marque de fabrique commune, le fait de chanter de manière lancinante.

Premier coup dur
Après une poignée de succès (au total, 17 chansons classées au Top 30 anglais!), The Charlatans connaissent un premier coup du sort en 1996, avec la mort de leur claviériste Rob Collins dans un accident de voiture. Soudée comme jamais, la bande à Tim Burgess publie Tellin’ stories, le disque qui lui permet de prendre ses distances avec le son de ses origines, à une époque où Blur et Oasis jouent à la guéguerre sur les plateaux télé. Désormais en retrait des journaux people, le groupe se consacre pleinement à sa musique. Pour un public de fidèles, parfois enthousiastes (Simpatico en 2006), parfois très déçus (Who we touch en 2010).

Une fois encore, le groupe s’est retrouvé face à la mort, celle de son batteur Jon Brookes cette fois-ci, emporté il y a dix-huit mois par une tumeur au cerveau.

On en serait resté là si The Charlatans ne venaient pas de sortir l’un des disques les plus fascinants de ce début d’année. Une fois encore, le groupe s’est retrouvé face à la mort, celle de son batteur Jon Brookes cette fois-ci, emporté il y a dix-huit mois par une tumeur au cerveau. Et, comme deux décennies plus tôt, les survivants sont parvenus à canaliser l’émotion ressentie dans leur douzième album intitulé Modern nature. Dès les premiers accords de Talking in tones, l’orgue Hammond tisse des nappes vintage sur lesquelles Tim Burgess pose sa voix languissante: «I’ll start filling in the gaps / I fell strengthened / By your presence» («Je vais commencer à remplir les absences / Je me sens fortifié / Par ta présence»). Avec ses guitares aériennes et sa basse très en avant, on tient là l’exemple même de la chanson parfaite.charlatans-drole

Rien à jeter
La suite du disque est à l’unisson, avec le fringant So oh, très marqué nineties, et surtout Come home baby, à la fois si daté et si contemporain, avec son groove incroyablement soul. Et Keep enough, perle de délicatesse, avec sa guitare distraite et ses cordes chaleureuses.

Rien n’est à jeter sur ces onze titres hyperefficaces. Ni la voix suave et hantée de Tim Burgess, au sommet de son art, ni l’inventivité retrouvée d’un groupe qui assume en plein son passé et l’évolution même de la britpop depuis un quart de siècle. Avec ce Modern nature, The Charlatans deviennent enfin davantage qu’un vieux groupe sur le retour. Mieux: les tenants de ce que l’Angleterre a de mieux à proposer en matière de musique insouciante.

The Charlatans,
Modern nature
BMG

 

Le son de l’Haçienda en trois albums

stone-rosesThe Stone Roses
The Stone Roses (1989)

En 1989, Margaret Thatcher est toujours Première Ministre du Royaume-Uni et les Anglais pleurent encore la séparation des Smiths. A Manchester, la jeunesse se débauche à l’Haçienda, le club du label Factory, et consomme aussi bien de la techno de Detroit, de l’acid house de Chicago que des pilules d’ecstasy en quantité pharaonique. Durant ce qu’on a appelé le «second été de l’amour» apparaît une multitude de groupes qui mêlent rock psychédélique et électro-dance. Parmi cette déferlante, The Stone Roses se taillent la part du lion avec un premier album éponyme insurpassé. La voix traînante d’Ian Brown impose le genre «arrogant-détaché», alors que les guitares flamboyantes de John Squire déferlent comme autant de lames de fond. Avec des titres tels I wanna be adored ou Made of stone, les autres Stones marquent au fer multicolore la pop anglaise.

 

happy-mondaysHappy Mondays
Pills’n’thrills and bellyaches (1990)

Parfois qualifié de baggy, la scène de Manchester draine un flux impressionnant de prétendants au titre de nouvelles coqueluches hebdomadaires. A ce jeu de dupes (dope?) se succèdent The Charlatans (et leur tube The only one I know), The Soup Dragons, James et surtout les Happy Mondays qui signent avec Pills’n’thrills and bellyaches l’album le plus barré de la vague Madchester. Emmené par Shaun Ryder – un loubard louche, à la fois junkie, dealer et figure charismatique de l’Haçienda – le groupe accouche du disque parfait pour les dancefloors de la planète. En attendant que le grunge mette tout le monde d’accord, les ados se dandinent sur Kinky afro, hymne fondateur d’une génération débauchée. Après une pathétique tentative de retour en 2007, Shaun Ryder a fini par participer à des émissions de téléréalité en Angleterre…

 

inspiral-carpetsInspiral Carpets
Life (1990)

Avec leurs chemises à fleurs et leurs coupes au bol très seventies, Ies Inspiral Carpets font figure d’enfants sages de la classe Manchester. Derrière cette fausse apparence psychédélique se cache toutefois un groupe racé, une impitoyable machine à distiller des rythmes infernaux, le plus patent des signes avant-coureurs de ce que la britpop sera dans la décennie suivante. Avec son premier album intitulé Life, la troupe à Graham Lambert distille une collection de perles, à l’image des tubes This is how it feels et She comes in the fall. Malgré leur nom ridicule, le groupe se taille une solide réputation et publie quatre albums de rang jusqu’en 1994, avant de se saborder. Après vingt ans de mutisme, Inspiral Carpets a tenté un retour à l’automne 2014 avec un 5e disque éponyme, passé inaperçu malgré l’excellent single Spitfire et son orgue Hammond sauvage. Tant pis…

 

 

 

 

Posté le par admin dans Anglo-saxon, Musique Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire