L’éloge du regard noir et blanc et la frustration de la couleur

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Comme sa campagne marketing le laissait présager depuis quelques mois, La Gruyère entre aujourd’hui dans l’ère de la couleur à toutes ses pages. Le charme de la photographie en noir et blanc deviendra rare et précieux.

par Christophe Dutoit

Dès aujourd’hui dans La Gruyère, la neige sera bleutée ou mordorée, selon que la photographie a été prise à l’ombre ou au soleil. Le goudron des routes déclinera ses nuances d’anthracite, les nuages se rosiront au coucher du soleil. Le ciel sera désormais bleu et l’herbe tout aussi verte que chez nos confrères de la presse écrite alentour.regine-2

A compter de ce matin, la rédaction de La Gruyère a choisi de mettre un terme à son exception dans le paysage médiatique romand. Le trihebdomadaire gruérien, lancé en 1882, était en effet l’un des derniers titres à considérer la photographie noir et blanc comme une marque de fabrique assumée, comme une esthétique classique, héritée d’une longue tradition.

Mais, à l’image du basculement du cinéma vers le technicolor dès les années 1930, puis de la généralisation de la télévision couleur dès la fin des années septante, la photographie a également embrassé à pleins poumons la «modernité» colorée ces dernières années, surtout grâce à sa révolution numérique.regine-3

Dès sa divulgation en 1839, la photographie a d’emblée souffert de la frustration de la couleur. Une «imperfection» qu’elle mettra d’ailleurs une soixantaine d’années à gommer, au prix de savantes expérimentations et de l’idée des frères Lumière, déjà inventeurs du cinématographe, d’utiliser la fécule de pomme de terre comme base pour leur invention de l’autochrome.

Les pères fondateurs Il faudra attendre la fin des années 1930 et la commercialisation à large échelle du Kodachrome pour que la photographie couleur se démocratise enfin. Et encore, pas partout. Il faut se souvenir que La Gruyère ne commence à publier des images dans ses colonnes qu’au début des années 1960. Et encore. D’abord des publicités, à l’exemple de la concurrence que se livrent le Lux et le Prado avec leurs affiches de cinéma. Les premiers photoreportages sont apparus il y a tout juste un demi-siècle, signés Joël Gapany et Jean-Roland Seydoux dans un premier temps, pères fondateurs d’une lignée de pho tographes dont le regard noir et blanc a fait les beaux jours du journal.regine-4

Consommation sur écrans
Dans un monde où les images se consomment principalement sur des écrans (forcément en couleur et très saturés), qu’exprime de nos jours la photographie noir et blanc? Sans doute une distanciation vis-à-vis du réel, une première abstraction de moins en moins liée à l’actualité, mais aussi une esthétique souvent confondue avec la nostalgie (à l’image du film The artist au cinéma) et allégrement détournée par la publicité pour ses qualités de glamour et de séduction.regine-1

Aujourd’hui, la magie du noir et blanc est suspecte, car elle est souvent plus prompte à vendre des dessous chics qu’à témoigner des horreurs de la guerre, comme ce fut le cas – par exemple – lors de la guerre du Vietman, premier signe du déclin de son âge d’or. 

Un siècle après les premières photographies en couleurs de Simon Glasson à Bulle, La Gruyère franchit à son tour ce dernier Rubicon. La couleur devient la norme et le charme discret des images noir et blanc se fera rare, donc de plus en plus précieux.

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