Bob Dylan du fond de sa cave

Durant l’été 1967, Bob Dylan s’accompagne de The Band pour enregistrer des dizaines de chansons dans le sous-sol de sa maison de Woodstock. L’intégrale de ces Basement tapes fait l’objet d’un repressage en six disques.basementtapes

par Christophe Dutoit

Dans la longue discographie de Bob Dylan, le double album The basement tapes fait l’objet d’un culte tout particulier depuis sa sortie officielle en juillet 1975, huit ans après son enregistrement. En effet, ses précieuses bandes n’étaient pas du tout destinées à être diffusées telles quelles. C’est dire si la récente publication de l’intégrale des 115 chansons restaurées ressemble à une forme de Graal pour les amoureux de musiques américaines.

L’histoire de cet étrange disque débute le 29 juillet 1966, lorsque Bob Dylan se blesse aux vertèbres après avoir chuté de sa Triumph Bonneville. Contraint d’annuler ses concerts américains, il se reconstruit dans sa maison près de Woodstock, à une centaine de miles au nord de New York.dylanbasement

Pour «tuer le temps», il convie à Big Pink le groupe qui l’accompagne depuis de longs mois sur les routes de sa tournée mondiale. Quatre Canadiens, Robbie Robertson (guitare), Rick Danko (basse), Garth Hudson (clavier), Richard Manuel (piano), et un Yankee, Levon Helm (batterie). «Bob s’était mis en tête de nous éduquer à la musique folk, qui n’était pas trop notre truc», se confie plus tard Robbie Robertson. «Il se souvenait de tellement de chansons!»

A son unique guise
Après avoir été traité de Judas pour s’être amouraché d’électricité et avoir délaissé les protest songs qui ont fait son succès, Dylan profite en effet de cette villégiature forcée pour faire le point sur sa carrière. Pour en reprendre les rênes, à son unique guise.

D’abord dans la «chambre rouge», puis au sous-sol de sa maison (the basement, en anglais), la troupe use ses journées sur des vieux standards de Johnny Cash, d’Hank Williams, de John Lee Hooker ou de Curtis Mayfield.

Cette thérapie passe par le purgatoire des musiques traditionnelles américaines. D’abord dans la «chambre rouge», puis au sous-sol de sa maison (the basement, en anglais), la troupe use ses journées sur des vieux standards de Johnny Cash, d’Hank Williams, de John Lee Hooker ou de Curtis Mayfield. Un retour aux sources des plus inspirants pour le jeune homme de 26 ans.

Peu convaincu par l’emphase de Sgt. Pepper que les Beatles viennent de sortir, Bob Dylan préfère déjà la voix sincère et sans fioritures de l’enregistrement direct. Une voix vers laquelle la bande à Lennon reviendra d’ailleurs pour ce qui aboutira aux sessions de Get back, deux ans plus tard…the-band-big-pink-basement

«Ce fut vraiment la meilleure manière d’enregistrer, dans un endroit calme et relaxant, avec les fenêtres ouvertes sur la forêt et notre chien – Hamlet – couché au milieu de nous», confie Dylan dans une interview. «A cause des murs en ciment, il était agaçant de jouer trop fort, note pour sa part Robbie Robertson. Alors on était blottis les uns contre les autres. Et si on n’entendait pas le chanteur, c’est qu’on jouait trop fort.»

De juin à septembre 1967, Bob Dylan et ce qui deviendra bientôt The Band réécrivent ainsi l’histoire de la musique américaine en version alcool et marie-jeanne. Parfois, ils gravent jusqu’à quinze chansons par jour, dans une atmosphère de (re)création et d’amitié entremêlées. «Je fus très étonné des facultés d’écriture de Bob, se souvient Garth Hudson. Il arrivait, s’installait derrière la machine à écrire et tapait une chanson…»

Les plus influentes
Enfermés à Big Pink durant ce fameux summer of love (l’été de l’amour), Dylan et ses comparses signent parmi les chansons les plus influentes sur les générations à venir. Envoyées telles quelles à diverses maisons de disques, elles sont rapidement chantées par une pléiade d’artistes, à l’image de Too much of nothing (Peter, Paul and Mary), Quinn the Eskimo (Ian & Sylvia, Manfred Mann) ou You ain’t goin’ nowhere (The Byrds).

De son côté, The Band conserve Tears of rage, I shall be released et surtout This wheel’s on fire pour son premier album, Music from Big Pink, sorti en juillet 1968, et prestement acclamé par la critique comme l’un des meilleurs disques des sixties.

Déjà à l’époque, beaucoup se demandent pourquoi Dylan s’obstine à ne pas publier ces chansons, lui qui préfère soudainement enregistrer l’album John Wesley Harding durant l’automne 1967 à Nashville (où figurera l’incommensurable All along the watchtower).

Quant aux bandes de Big Pink, elles font l’objet du premier disque pirate de l’histoire du rock, lorsque quelques irréductibles fans en pressent sept chansons sur le disque Great white wonder en 1969. Le grand public devra encore attendre jusqu’en 1975 pour que Dylan accepte enfin de publier 24 titres sous le titre de The basement tapes.

Ecouter dans son intégralité ce qu’aurait pu être ce disque avec 40 ans de décalage guérit un brin les frustrations de l’époque. Malgré quelques titres anecdotiques, l’ensemble se déguste comme un bourbon hors d’âge, terreux à souhait et insidieusement enivrant.

Bob Dylan and The Band, The basement tapes complete: the bootleg series vol. 11, Columbia

Les Basement Tapes d’aujourd’hui

new-basementL’esprit créatif qui a prévalu à l’enregistrement des Basement tapes a soufflé sur un projet ambitieux, né lorsque ont été redécouverts des textes inédits de Dylan, écrits en 1967 dans sa résidence de Big Pink. Sous le nom de The New Basement Tapes, Elvis Costello, Rhiannon Giddens, Taylor Goldsmith, Jim James (de My Morning Jacket) et Marcus Mumford (de Mumford & Sons) ont signéune vingtaine de chansons éblouissantes, à la fois en hommage direct à l’influence de Dylan et une relecture, avec bientôt un demi-siècle de décalage, de l’histoire des musiques américaines. Avec des perles tels Down on the bottom ou Stranger, ce disque intitulé Lost on the river vaut bien davantage qu’une écoute distraite, tant la qualité de l’ensemble est remarquable.

The New Basement Tapes, Lost on the river, Universal

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