Regards retrouvés, des trésors photographiques à portée de main

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La collection Regards retrouvés sort son premier recueil, avec pour thème la rue. Le projet de mise en valeur des fonds photographiques fribourgeois annonce déjà deux ouvrages à venir et une expo à voir ce printemps. Plongée au cœur du premier tome avec son auteur, Christophe Dutoit.

par Yann Guerchanik

L’aventure éditoriale débouche sur une victoire. Le premier recueil de la collection Regards retrouvés sort en librairie. En été 2013, les Editions La Sarine, en collaboration avec la Bibliothèque cantonale universitaire (BCU), le Musée gruérien et notrehistoire.ch initiait un projet ambitieux: lancer la première collection de livres de photographies patrimoniales publiés sur le modèle participatif en Suisse.

Autrement dit, via la plate-forme participative notrehistoire.ch, chacun pouvait apporter sa photo à l’édifice. «Pour ce premier ouvrage, 230 clichés ont été déposés», relève son responsable Claude Zurcher. Ils ont complété les 30000 documents mis à disposition sur les sites internet de la BCU et du Musée gruérien. Une mer d’images dans laquelle s’est plongée Christophe Dutoit, auteur du premier tome et responsable éditorial de la collection.

En français et en allemand, le livre présente une sélection de 120 photographies issue de 30 fonds, qui couvre les sept districts du canton.

En français et en allemand, le livre présente une sélection de 120 photographies issue de 30 fonds, qui couvre les sept districts du canton. Intitulé La rue, l’ouvrage est consacré à cette thématique. Directeur des Editions La Sarine, Jean-Bernard Repond indiquait mercredi à la presse que deux prochains ouvrages étaient déjà sur les rails: L’électricité et La conquête du ciel.charlesmorel

Sorties des tiroirs, les images ne connaîtront pas seulement les pages du livre. Une exposition est prévue au printemps 2015 à Fribourg-Centre. Pour coller au plus près de la thématique, cette dernière investira notamment la rue piétonne.

Véritable «veille photographique», la collection Regards retrouvés a permis d’autres avancées. «Des fonds de photographes tant professionnels qu’amateurs ont été déposés chez nous», se réjouissent le responsable du patrimoine iconographique de la BCU Claudio Fedrigo et le conservateur du Musée gruérien Christophe Mauron. Des trésors ont été exhumés grâce au projet. Et ce n’est qu’un début.

Christophe Dutoit
La rue
Editions La Sarine, collection Regards retrouvés, 136 pages

Infos sur la manière de participer au projet sur www.regardsretrouves.ch et sur www.notrehistoire.ch

 

Fribourg (1897-1905), Pérolles (Alfred Bochud/collection privée)alfredbochud

Alfred Bochud est un instituteur gruérien qui se voua pendant une dizaine d’années à la photographie et dont l’arrière-petit-fils, François Bochud, a redécouvert récemment le travail (La Gruyère du 16 septembre). Un fonds photographique parfaitement conservé, dont on connaissait l’existence, mais dont personne n’avait véritablement estimé la valeur jusque-là. «C’est typiquement le genre d’images qui aurait pu disparaître. Or, on redécouvre ainsi des images de Pérolles avant le boulevard», relève Christophe Dutoit. Cette photographie fait partie de celles qui l’ont poussé à préciser les critères de sa sélection, à conscientiser certaines choses. Ainsi sont nés les quatre principes qui l’ont guidé dans l’élaboration de l’ouvrage. 1) La qualité de l’image pour elle-même (sa valeur documentaire). 2) La qualité du regard du photographe (valeur artistique). 3) La destinée de l’image (sa valeur historique). 4) La qualité que lui attribue le spectateur (valeur émotionnelle). «On peut voir cette image sans qu’elle suscite en nous un grand intérêt. Mais un habitant du boulevard de Pérolles la trouvera peut-être géniale. C’est quelque chose qu’on ne peut pas contrôler, chacun est acteur de la qualité de l’image, du fait de sa propre histoire.»

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Bulle, rue de Gruyères, garage de l’Ecu (anonyme/notrehistoire.ch)

«Cette image reflète l’aspect participatif de la collection, raconte Christophe Dutoit, auteur de La rue et, par ailleurs, journaliste à La Gruyère. Un contributeur, Jean-Félix Deillon, l’a postée sur notrehistoire.ch avec une brève légende. On ne sait pas qui est la personne sur cette photo. On est donc en présence d’une image extraordinairement intrigante. Cadrée de telle manière à montrer très peu de contexte. On pourrait être dans l’Ouest américain. La légende provoque du coup la surprise. »Une des réussites du livre est d’avoir pris en compte d’autres images que celles qu’on trouve dans les musées. Chaque image à droit à son quart d’heure de gloire, pour autant qu’elle soit chargée d’émotion ou de qualités documentaires.»

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Riaz, premier quart du XXe siècle (Raymond Schwarz/Musée gruérien)

«Le cas typique d’une archive du passé dont on sait très peu de chose, explique Christophe Dutoit. L’image provient du fonds Raymond Schwarz déposé au Musée gruérien. On pense que celui-ci a habité à Riaz dans le premier quart du XXe siècle. Ici, c’est une photographie sur plaque de verre, d’une netteté incroyable. Avec cette voiture qui date d’un autre temps, qu’on imagine volontiers à Paris ou à Genève, mais pas forcément à Riaz. Il existe des perles dans les fonds de photographes amateurs. Même s’il manque de l’information autour des images.»

 

jacquesthevozFribourg, rue de la Lenda, 1953 (Jacques Thévoz/BCU Fribourg)

«Thévoz, c’est vraiment le Doisneau fribourgeois, s’émerveille Christophe Dutoit. Un assoiffé d’images. Le genre de photographe qui voit la réalité différemment des autres. Une réalité à côté de laquelle quelqu’un d’autre pourrait passer sans s’en rendre compte. Jacques Thévoz réussit à créer de l’image universelle. C’est le regard qui fait cette image-là. Il parvient à conserver le côté fribourgeois et à le transcender.» Pour réaliser ce premier recueil, Christophe Dutoit a consulté des milliers d’images et embrassé autant de regards. En refermant son livre, il a les yeux qui brillent: «A elle seule, la thématique de la rue nous permet de mettre en valeur trente collections différentes, avec trente manières de faire des photographies. On est sortis des grandes lignes tracées par Glasson, Rast, Mülhauser, Thévoz… On est allés vers quelque chose de plus dense. Avec ses fonds, Fribourg couvre dix-sept décennies. Il ne les a peut-être pas mis en valeur autant que Genève ou Lausanne, mais il n’a pas du tout à en rougir.»

 

Fribourg, le 22 juin 2013, Gay Pride (Vincent murith/La Liberté)vincentmurith

«Voilà une image “d’archives actuelles”, indique Christophe Dutoit. Dans le sens où l’image est d’archive à partir du moment où elle est prise. On fait une photo du présent qui est déjà du passé. Aujourd’hui, avec son téléphone portable, tout le monde peut être pourvoyeur d’images. Mais comment conserver cette mémoire immense et contemporaine? A cet égard, les journaux ont un rôle prépondérant. »Le week-end dernier, des milliers de photos ont été faites de l’inauguration du pont de la Poya. Celles dont on est sûr de retrouver la trace demain, ce sont celles réalisées par les journaux. D’autant qu’ils ont désormais conscience de ce rôle et qu’ils accomplissent un important travail de classement et d’archivage. »Cela nous rappelle, entre autres, l’importance de légender les images. Si on ne sait pas qui est dessus, quand elle a été faite, dans quel contexte, elle perd beaucoup de valeur. Les gens ont tendance à ne pas se soucier de la pérennisation des images qu’ils produisent. On le constate avec nos photos de vacances, notre gestion des images sur notre ordinateur ou notre téléphone portable.»

 

 

 

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