Patrick Modiano, ce géant

modianoC’est un géant timide que le Prix Nobel vient de couronner. Un costaud de près de deux mètres, qui bafouille comme un adolescent grandi trop vite. Un romancier raffiné et d’une simplicité sans faille, auteur d’une œuvre exceptionnelle de cohérence. Comment mettre en lumière un titre plutôt qu’un autre? Dora Bruder, peut-être… Ou Un pedigree. Ou alors La petite Bijou voire Voyage de noces. Non, disons Quartier perdu ou La place de l’Etoile, avec laquelle tout a commencé, en 1968, à 23 ans…

Indifférent aux modes, Patrick Modiano creuse, roman après roman, un sillon qui ne ressemble à aucun autre. De combien d’auteurs contemporains peut-on en dire autant? Un lieu commun voudrait qu’il écrive toujours le même livre. Parce qu’il y a les rues de Paris, l’errance, les souvenirs et l’oubli, l’absence, un passé qui ne s’efface pas et se mêle au présent. Il y a aussi (autre lieu commun) la fameuse petite musique de sa langue, exemplaire de fluidité. Mais il y a surtout cette magie Modiano: comment parvient-il, avec une telle économie de moyens, à envoûter à chaque fois?

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier ne fait pas exception. L’histoire, simple, pourrait déboucher sur un thriller: l’écrivain Jean Daragane reçoit un coup de fil. Un homme à la voix «molle et menaçante» lui annonce qu’il a trouvé son carnet d’adresses. Or, ce drôle de type enquête sur certaines personnes figurant dans ce carnet et Daragane se voit, malgré lui, poussé à rouvrir son passé.

«Presque rien. Comme une piqûre d’insecte qui vous semble d’abord très légère.» L’incipit pourrait s’appliquer à tout Modiano. Le livre refermé, on se dit que ce n’était pas grand-chose, au fond. Mais il continue à vous imprégner en vous touchant au plus intime. Les romans de Modiano, ce géant, ont toujours l’élégance de ne pas crier qu’ils sont des chefs-d’œuvre.

par Eric Bullliard

Patrick Modiano
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
Gallimard, 160 pages

 

 

 

 

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