Léon Gimpel, quand la guerre était un jeu

En 1915, alors que les poilus se battent dans les tranchées, le Français Léon Gimpel photographie une tout autre guerre en plein Paris. A la rue Greneta, Pépète et ses copains jouent à «faire comme les grands».gimpelpepete

par Christophe Dutoit

D’abord la couleur. Un siècle après avoir été prises, les images de Léon Gimpel dévoilent le charme discret de leurs couleurs balbutiantes et du grain omniprésent des autochromes, la première technique de reproduction «fidèle» de la couleur, mise au point par les frères Lumière, inventeurs quelques années plus tôt du cinématographe. Un pur délice.

Collaborateur à L’Illustration, Léon Gimpel (1873-1948) est un photographe professionnel aguerri, adepte de l’autochrome depuis sa divulgation en 1907. Malgré le poids du matériel et la lenteur inhérente à ce procédé, il photographie ainsi les affres de la Première Guerre mondiale pour son magazine.gimpelgossea

Un dimanche d’août 1915, il fait cependant une rencontre déterminante à la rue Greneta, en plein cœur de Paris: une bande de gamins jouent à la guerre devant leur immeuble, avec des fusils et des sabres en carton.

Emu par cette vision parabolique, le photographe décide de se prêter à leur jeu. Dans un premier temps, ils doivent se construire un arsenal. Pour la pièce d’artillerie, un tuyau de poêle fait l’affaire et deux roues métalliques, achetées «quinze sous» chez le brocanteur, suffisent à faire illusion. «Mon armée à peine constituée, on procéda à une prise d’armes avec remise de décorations selon le rite consacré, raconte dans ses mémoires le Strasbourgeois, dont la famille a dû fuir l’Alsace annexée par l’Allemagne. Toutes les manœuvres de l’armée de la rue Greneta furent enregistrées successivement en noir et sur plaques autochromes.»gimpelgosseb

Yeux pétillants de malice
Pour chef, la bande s’est dotée d’un garçonnet d’une douzaine d’années, coiffé d’un aigle bicéphale en papier doré, surmonté d’une carotte en guise de pointe. Carotte qui est évidemment dévorée à chaque fin de partie… «Une mention toute particulière est à réserver à Pépète, le premier rôle de toute la troupe, l’as des petits acteurs à qui je confiais tous les rôles de premier plan, se souvient Léon Gimpel. Petit, légèrement difforme, de nature scrofuleuse, il avait l’aspect d’un gnome à la figure intelligente, éclairée par des yeux pétillants de malice.»

Sous le regard du photographe et bien vite d’une foule de curieux, la troupe mime des scènes déjà vues dans les journaux ou sur les cartes postales qui montrent la guerre: elle met en scène la corvée de patates, une infirmière aux petits soins ou une «parodie du célèbre tableau de Détaille intitulé Le rêve».

Deux séries font figure de chefs-d’œuvre: celle du prisonnier «boche», finalement fusillé à coups de canon de 75, et celle de l’avion en bois, suspendu à un lampadaire. «Sa mitraillette était faite avec un moulin à café et son hélice, au bout d’un manche à balai, pouvait même tourner!»Lectures-pour-tous

Exhumées récemment des archives de la Société française de photographie (SFP), ces images d’un autre âge ont été exposées à Arles cet été, puis à Riehen*, et font l’objet d’un très beau livre. On les regarde aujourd’hui avec un œil décalé, sans penser que le photographe pouvait rire d’un si horrible conflit. Au contraire, avec son théâtre de rue tendre et drolatique, il évoque l’innocence de l’enfance, l’absence de la mort, la guerre pour de faux. D’ailleurs, le sujet fut jugé si peu «sérieux» que L’Illustration le refusa et il ne fut publié que dans Lectures pour tous. Et exposé deux semaines dans la vitrine de la SFP à la rue de Rivoli, où toute la troupe se rendit en cortège, cria «Vive le photographe» et dégusta des sucres d’orge…

Léon Gimpel, La guerre des gosses, Société française de photographie, www.sfp.asso.fr
*Riehen (Bâle), Musée du jouet, exposition Krieg im Kinderzimmer, jusqu’au 1er mars 2015, www.spielzeugmuseumriehen.ch

 

 

La Grande Guerre en couleurs

Parmi les beaux livres qui ont récemment fleuri en librairie sur le conflit de 1914-1918, il en est un particulièrement évocateur, intitulé La Grande Guerre en couleurs. En effet, on ne s’en souvient pas toujours, mais la photographie en couleur venait d’être répandue à large échelle au tournant des années 1910, quelques années après l’invention de l’autochrome par les frères Lumière. Très rapidement, des magazines comme L’illustration en France ou National Geographic aux Etats-Unis adoptent ce nouveau procédé. En Allemagne, la revue Farbenphotographie se consacre entièrement à la couleur dès 1912.

Du coup, dès l’été 1914, les photographes se chargent de ce lourd matériel pour documenter la guerre en couleur. Pour diffusion dans la presse internationale, mais aussi au sein de la Section photographique de l’armée française (SPA) ou pour le compte des Archives de la planète, le projet philanthropique de «rapprochement des peuples», initié par le banquier Albert Kahn.castelnau

Souvent empêchés d’opérer directement sur le front, les autochromistes pointent leur objectif sur les lignes arrière, montrent les unités de zouaves avec leur pantalon rouge vif, vite remplacés car trop repérables par les mitrailleuses allemandes, mais aussi la vie des tranchées, les villages en ruine, les hôpitaux de fortune. La propagande n’est jamais très loin. Côté allemand, il fallait «témoigner des succès». Alors que, pour les Français, les images devaient «accuser l’agresseur et contribuer à renforcer les résistances». Mêlant photographies allemandes et françaises, ce recueil met en lumière une iconographie nouvelle sur la Première Guerre et révèle des images que la couleur tend à rendre plus récentes. Ce qui augmente encore leur intérêt…

Peter Walther
La Grande Guerre en couleurs
Taschen

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