Leonard Cohen: lentes, graves, profondes, une voix et une écriture

Leonard Cohen fête dimanche son 80e anniversaire avec la sortie de son 13e album studio intitulé Popular problems. Avec sa voix sans pareil, le Canadien envoûte toujours autant.cohen

par Christophe Dutoit

D’abord, cette voix. Douce comme un câlin, lente comme un consciencieux préliminaire, grave comme une demande en mariage, murmurée comme un «je t’aime» sur l’oreiller, profonde comme le sommeil après le septième ciel. On peut dire ce qu’on veut sur son écriture, son autodérision, son humour juif, ses errances bouddhistes ou grecques, on peut relire indéfiniment ses poèmes et ses romans de jeunesse, on peut écouter d’une oreille distraite la quantité phénoménale de reprises plus ou moins heureuses de ses chansons, on peut avoir atteint le nirvana lors d’un de ses récents concerts montreusiens, rien ne remplace dans ce bas monde la caresse de la voix de Leonard Cohen. La délicate volupté de son timbre à la fois caverneux et envoûtant, le charme inégalé de son phrasé faussement fatigué. Savourons donc le plaisir décuplé d’écouter neuf nouvelles compositions, d’apprécier à quel point il aime se faufiler dans les méandres d’une mélodie, de jouer avec les références, de livrer peut-être là son testament musical.

Dimanche, Leonard Cohen fêtera son 80e anniversaire avec la sortie de son 13e album studio, malicieusement intitulé Popular problems. Que de chemin parcouru depuis Suzanne (sorti en 1967), premier diamant enfilé sur une parure qui en compte aujourd’hui une rivière.

Dès les premières notes de Slow, la magie opère. «I’m slowing down the tune / I never liked it fast (…) / It’s not because I’m old / It’s not the life I led» (Je ralentis la cadence / Je ne l’ai jamais aimée rapide / Ce n’est pas parce que je suis vieux / Ce n’est pas la vie que j’ai menée). Derrière la voix du maître, un synthé vintage rappelle une singularité initiée depuis le fabuleux album I’m your man (1988). La boucle est bouclée.

La belle et la si tendre bête
Une autre marque de fabrique apparaît dès le second refrain. En contrepoint à sa voix si pleine, Leonard Cohen ne peut s’empêcher – depuis plus de vingt-cinq ans – de s’acoquiner avec des choristes au chant de sirène. Après Sharon Robinson ou les sœurs Webb, au tour désormais de Charlean Carmon (connue pour avoir fait des voix de dessins animés à Hollywood) de souligner chaque intonation du Canadien, de tenir le rôle de la belle face à cette si tendre bête.

Des histoires qui remontent à son enfance, d’autres qui racontent des déchirures, des pleurs, de lentes rédemptions. Peut-être un apaisement.

Evidemment, tant de beauté ne peut que ravir l’oreille. Nettement moins kitsch que sur ses précédents albums, les arrangements pudiques de Patrick Leonard rendent justice à l’ensorcellement des mots. Des histoires qui remontent à son enfance, d’autres qui racontent des déchirures, des pleurs, de lentes rédemptions. Peut-être un apaisement.

Parfois très proche de la forme parlée, Leonard Cohen se met rarement en danger sur ce disque à la fois sans surprise et magnifiquement sombre. Certaines chansons prennent des tournures country (Did I ever love you), d’autres s’échappent dans des contrées plus arides, avec des traces de guitare slide et des cuivres nonchalants (My oh my).cohena

Il faut finalement attendre la fin du disque pour atteindre une nouvelle perle. Avec sa sonorité de Bontempi et les vocalises arabisantes de Donna Delory, Nevermind semble tout droit sorti d’un film barré de David Lynch, d’une plongée ivre dans les profondeurs d’un passé trouble. «Never mind, never mind / I live the life I left behind» (Tant pis, tant pis / Je vis la vie que j’ai laissée en arrière). Plus encore que la voix, le signe d’une écriture fine et élégante, qui laissera pour toujours sa trace dans la grande histoire de la chanson.

A 80 ans, Leonard Cohen est de plus en plus ce grand-père que tous les amoureux de musique aimeraient avoir. Un aïeul un peu cabot, qui, après un bon repas bien arrosé, se lèverait de table et chanterait ses vieilles rengaines. Voilà pourquoi l’écoute de ce Popular problems est indispensable.

Leonard Cohen
Popular problems
Sony

Posté le par admin dans Anglo-saxon, Musique Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire