Before Watchmen, renaissance d’un classique

Près de trente ans après la parution de Watchmen, une dizaine d’artistes imaginent ce qu’aurait pu être la vie des personnages avant la grande saga signée Alan Moore. Qui a refusé d’être associé au projet.watchmen

par Romain Meyer

Septembre 1986, la révolution est en marche. Apparaît ce mois-là le premier numéro de Watchmen, une bande dessinée ovni scénarisée par Alan Moore et mise en images par Dave Gibbons. En douze numéros mensuels, le duo construit un monde cohérent, multipliant les niveaux de lecture et les références, et remettant entièrement en question la façon de faire les comics de superhéros. Finis les univers manichéens et les bons sentiments qui constituaient la majorité de la production américaine de l’époque. Les choses allaient s’obscurcir, les sentiments se mêler, les névroses apparaître…

L’histoire se déroule par strates. Dans un monde où les superhéros ont été mis à la retraite, l’un d’eux, le Comédien, se fait assassiner. Alors que le monde est sur le bord de l’apocalypse nucléaire, deux anciens compagnons – le Hibou et Rorschach – décident de reprendre les masques pour découvrir la vérité. Cette simple enquête pourrait bien cependant cacher quelque chose de beaucoup plus important.

Une trentaine d’années plus tard, l’éditeur américain DC, qui en possède les droits, décide de redonner vie à la saga d’une façon inattendue: en imaginant un passé à l’œuvre originale. Comme l’histoire présente pléthore de personnages et se déroule sur plusieurs époques – les années 1940 et 1980, sur un fond d’uchronie (les Etats-Unis sont rentrés vainqueurs du Vietnam) – et de guerre froide, l’œuvre se prête aisément à des «développements» antérieurs. Le titre de cette recréation paraît alors évident, Before Watchmen («avant Watchmen»).manhattanw

La dernière de Joe Kubert
Devant l’ampleur du projet et la renommée de la matière première, l’attente était grande et le faux pas facile. Plusieurs séries ont été mises en chantier en parallèle, reprenant tous les personnages de l’équipe dans une aventure solitaire en un tome: Rorschach, Spectre soyeux, Ozymandias, Le Hibou, Le Comédien et le Dr. Manhattan, qui vient de sortir. Deux ouvrages viennent compléter le tour d’horizon, Minutemen et un recueil intitulé Compagnon.

Mais qui pour remplacer le génial Alan Moore, le grand druide des récits engagés, aux niveaux de lecture imbriqués et multiples, le créateur de V pour Vendetta et de La Ligue des gentlemen extraordinaires? DC met les petits plats dans les grands et offre aux amateurs, souvent sceptiques, ce qui se fait de mieux actuellement dans le genre: Darwyn Cooke (Parker), J. M. Straczynski (Babylone 5, Rising Stars), Brian Azzarello (100 Bullets) pour quelques scénarios, alors que Jae Lee ou Lee Bermejo tiennent certains pinceaux. A noter que la série sur le Hibou constitue le dernier travail de la légende des comics Joe Kubert qui encrait alors le travail de son fils Andy. Une disparition qui pourrait ajouter à la notoriété du projet.

Chaque récit complète l’œuvre originale sans la dénaturer, parfois avec une déférence un peu obséquieuse, ce qui fait qu’aucun d’entre eux n’est indispensable.

Il va sans dire que l’unité des huit tomes est fournie par une lecture préalable de Watchmen. Sinon comment comprendre les paradoxes temporels façon Schrödinger du Dr. Manhattan, la descente dans l’enfer psychotique de Rorschach, l’homme au masque mouvant, ou encore le voyage dans les paradis artificiels du Spectre soyeux… Chaque récit complète l’œuvre originale sans la dénaturer, parfois avec une déférence un peu obséquieuse, ce qui fait qu’aucun d’entre eux n’est indispensable. Mais tous éclairent pourtant des zones laissées, parfois volontairement, dans l’ombre. Ou simplement redonnent vie à des créations riches et trop peu utilisées. En cela, ils deviennent alors nécessaires.

En quête d’auteur
Et les créateurs originaux dans tout cela? Ils ont pris leurs distances et ils ont même créé la polémique. Pour protester contre les problèmes de droits des auteurs aux Etats-Unis – les personnages et l’histoire appartiennent à l’éditeur, en l’occurrence DC – Alan Moore a crié à la profanation de son œuvre, comme il le fait systématiquement depuis plusieurs années lors de republication de ses anciens travaux. Il refuse d’ailleurs d’apparaître dans les crédits. On en arrive du coup à quelques «absurdités»: alors que Panini Comics vient de proposer une réédition de Miracleman, l’un de ses premiers travaux, l’ouvrage qui lança «l’invasion britannique» au début des années 1980 dans la BD américaine, l’éditeur se voit contraint de ne pas publier le nom du scénariste. L’œuvre est un classique jusqu’alors introuvable et qui marque le moment où le comic atteint l’âge de raison, même si elle a forcément un peu vieilli depuis. Pourtant, le lecteur ignorant cette croisade souvent incomprise devra se contenter de la seule mention bien étrange pour seule présence d’Alan Moore: «Le scénariste originel…»

J. M. Straczynski et Adam Hughes
Before Watchmen, t. VIII, Dr. Manhattan
Urban Comics

Divers
Miracleman, t.I,
Panini Comics

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