Une conquête à trois temps

Flash Gordon affronte à nouveau l’horrible empereur Ming. L’icô­ne de la science-fiction américaine revit en effet l’intégralité de ses aventures origina­les. Tout comme Prince Vaillant et Tarzan.flashgordon

par Romain meyer

Flash Gordon, Tarzan, Prin­ce Vaillant… Trois univers, trois époques, mais un mê­me destin dans l’histoire de la bande dessinée. Entre les années 1930 et 1940, ils vont faire les beaux jours de la presse dominicale américaine et devenir les nouvelles normes réalistes et es­thétiques d’un médium en pleine évolution. Leurs auteurs, qu’ils se nomment Alex Raymond, Burne Ho­­garth ou Harold Foster, engendrent chacun un classique. Grâce aux Editions Soleil, l’intégralité de leur production rejoint maintenant le vaste catalogue patrimonial que le 9e art se construit en français.

Ces œuvres transpirent la nostalgie. Elles possèdent ce parfum caractéristique des BD d’un autre temps: absence quasi systématique de phylactères – les bulles – et présence de textes abondants, racontant l’action, voire le dessin, et qui mettent en avant le caractère «littéraire» de la bande dessinée.

Tous ont également en commun le rythme soutenu de l’action, les ellipses fréquentes et les retournements de situation souvent invraisemblables.

Chacune montre d’ailleurs la filiation directe qu’elle possède avec la littérature populaire: Ivanhoé de Walter Scott pour Prince Vaillant, Sax Rohmer et son terrible Chinois maléfique (le docteur Fu Manchu), comme inspiration possible pour le cruel empereur Ming de Flash Gordon. Le lien pour Tarzan est encore plus évident, puisque le roi de la jungle est une création de l’écrivain Edgar Rice Burroughs.

Tous ont également en commun le rythme soutenu de l’action, les ellipses fréquentes et les retournements de situation souvent invraisemblables, nécessaires pour entretenir le suspense lors de la publication en feuilleton dominical.

Le premier, Flash Gordon, est créé en 1934 par Alex Raymond et connaît un succès immédiat (avec un serial dès 1936). Le troisième et dernier tome de son intégrale couvre les années 1941 à 1944. Alors que le héros continue son combat contre Ming sur la planète Mongo, dans un futur rattrapé par l’actualité: le cruel monarque troque ses habits colorés contre l’uniforme militaire et ouvre des camps de concentration. L’allusion est évidente et Flash Gordon est interdit en Allemagne.vaillant

D’ailleurs, le héros revient sur Terre au moment où une guerre mondiale vient de commencer. Il est là pour continuer son combat contre la dictature. A l’image de son créateur qui, à 35 ans, décide de s’engager dans l’armée en février 1944, quelques jours après la naissance de son quatrième enfant. Il arrête là la production de son personnage, qui sera repris par un autre dessinateur.

En une dizaine d’années, Flash Gordon – «Guy l’Eclair» dans les premières traductions françaises – aura dépassé Buck Rogers dans le cœur des fans. Alex Raymond aura imposé son trait précis, réaliste et dynamique au point de devenir une référence pour les générations d’auteurs à venir, de Bob Kane – créateur de Batman – à Jim Aparo ou Joe Kubert. L’univers de son héros sera aussi la principale référence de George Lucas pour La Guerre des étoiles.

L’imaginaire américain
Un réalisme qui est aussi la marque du dessin de Hal Foster, le créateur de Prince Vaillant, qu’il dessinera pendant trente-cinq ans, à partir de 1937. La nouvelle édition, qui en est à son quatrième tome, rend pleinement les couleurs et la vigueur des dessins d’origine. On est plus déçu par le sixième et dernier tome du passage éclatant de Burne Hogarth sur Tarzan. L’ouvrage est excellent, notamment le récit fantastique du peuple sans corps des ononoes. Mais le livre se termine sans la fin de la dernière histoire qui, si elle n’a pas été dessinée par Hogarth et son trait ultradynamique, a été scénarisée par lui.tarzann

En rééditant ces œuvres, Soleil propose non seulement de redécouvrir des trésors du strip, mais également un voyage dans l’imaginaire américain de l’avant-guerre. Ces trois artistes révèlent d’ailleurs des projections aventurières sur toute la ligne du temps, dans le passé (Prince Vaillant), le présent (Tarzan) et le futur (Flash Gordon).

Au-delà du connu
Chacun propose pourtant du rêve, la découverte de l’inconnu pour la jeunesse de l’Amérique rurale, dont le destin et le paysage étaient bien fermés depuis la grande dépression. Trois espaces à conquérir, vierges ou presque: un Moyen Age jouant sur les stéréotypes et mélangeant ses sujets, une Afrique noire fantasmée au début du XXe siècle et un empire fascisant au cœur d’une planète imaginaire. Toujours, l’aventure s’installe dans des terres qui se dévoilent devant l’homme – blanc – au fur et à mesure qu’il les parcourt. En effet, qui sait ce que cache l’horizon?

Que ce soit Prince Vaillant, Tarzan et Flash Gordon, chacun de ces héros franchit les frontières des univers connus, explosant les limites de la fantasmagorie américaine de la première moitié du XXe siècle. Ils définissent un espace mystérieux à découvrir, recréant une nouvelle conquête de l’Ouest toute symbolique, en emmenant dans cette recherche l’imaginaire occidental et tous les amateurs de bande dessinée.

Alex Raymond, Flash Gordon, Intégrale volume III, 1941-1944, Soleil
Hal Foster, Prince Vaillant, Intégrale volume IV, 1943-1944, Soleil
Burne Hogarth, Tarzan, volume VI, Soleil

 

 

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