L’âge n’a pas d’emprise sur le génie des Pixies

Avec Indie Cindy, les Pixies sortent enfin ce cinquième album qui joue l’arlésienne depuis vingt-trois ans. Le groupe le plus influent de la fin des années 1980 n’a rien perdu de son écriture si envoûtante.
Pixies 2013-2014

par Christophe Dutoit

Il aura donc fallu attendre plus de vingt ans pour que les Pixies retournent en studio et enregistrent les nouvelles chansons qui figurent sur Indie Cindy, leur cinquième album à paraître cette fin de semaine. Rabibochés en 2004 après que des tensions eurent fait imploser le groupe, les Bostoniens remplissaient certes les salles de concerts depuis dix ans et récoltaient ainsi les fruits d’une gloire critique qui les avait placés au panthéon des groupes les plus marquants de l’histoire du rock, mais ne parvenaient toujours pas à donner un successeur à Trompe le Monde

Publiées au compte-gouttes sur internet depuis septembre 2013, les douze compositions de ce disque inespéré ont bien failli ne jamais voir le jour. En effet, même s’il partageait la scène, le chanteur Black Francis et la bassiste Kim Deal ne partageaient pas les mêmes idées sur le devenir du groupe. D’un côté, elle ne voulait pas toucher à l’héritage d’un quatuor qui avait tout dit en quatre ans… De l’autre, lui tenait à prolonger l’œuvre et à faire respirer aux Pixies l’air du XXIe siècle. Kim Deal finira par abandonner le navire, pour le plus grand bonheur de ceux qui découvrent aujourd’hui ces nouvelles compositions.

Actuel? Non, intemporel!
Dès What goes boom et son virevoltant riff de guitare, deux constats s’imposent: un quart de siècle après leur premier album, les Pixies sont toujours les tenants d’un rock biberonné aux expérimentations underground et – on ne s’y attendait pas forcément – ils parviennent néanmoins à sonner comme un groupe parfaitement actuel. Ou plus exactement un groupe intemporel, comme en témoigne Indie Cindy, à la fois chargé de mémoire surf rock (on croirait entendre la BO d’un film de Tarantino) et d’une mélodie vocale que ne renierait pas Peter, Paul & Mary.

Aucun doute, les Pixies n’ont rien perdu de leur excitante alchimie, même après le départ de la dame (l’âme damnée?) du groupe.

Même s’ils continuent à jouer leurs vieux titres sur scène, les Pixies sont loin de sentir la naphtaline. Ainsi, Bagboy n’hésite pas à brandir des boucles électroniques aux côtés de ses guitares acérées. Avec sa voix plus envoûtante que jamais, Black Francis ose même abuser de l’écho sur Andro Queen, sublime composition lente et hantée, qui prouve cette envie de ne pas se contenter de la structure ralenti/explosion qui leur colle à la peau.

Aucun doute, les Pixies n’ont rien perdu de leur excitante alchimie, même après le départ de la dame (l’âme damnée?) du groupe. Après avoir montré la voie à tant de musiciens, ils sont allés avec ce disque bien au-delà du pillage de leur propre héritage et du plagiat de leur inventivité. Avec Indie Cindy, les Pixies livrent même l’un des meilleurs disques de ce printemps. Eh! oui, rien que ça! Et ce n’est pas forcément réjouissant pour les jeunes pousses…

Pixies
Indie Cindy
Musikvertrieb

En concert au Caribana Festival le 4 juin

 

 

Quatre disques majeurs en quatre ans

pixiessurferSurfer Rosa (1988)
L’acte fondateur.
Après la sortie en catimini du EP Come on pilgrim – repressé quatre ans plus tard – les Pixies sortent leur premier véritable album en mars 1988. Enregistré pour une poignée de dollars par Steve Albini (futur producteur d’In utero de Nirvana), Surfer Rosa est aujourd’hui considéré comme l’un des disques les plus marquants de l’histoire du rock. Chanté par la bassiste Kim Deal, Gigantic est l’exemple parfait de la griffe Pixies: mélodies vocales parfaitement léchées, couplets tout en retenue avant des explosions de guitares jouissives sur les refrains. Son échec commer- cial n’a d’équivalent que son influence exercée sur la musique des années 1990, d’abord le grunge (Kurt Cobain avouait être fan du groupe), mais aussi le renouveau de la britpop (Bowie, Radiohead ou Placebo ne cessant d’encenser les Pixies).

 

pixiesdoolittleDoolittle (1989)
Le succès. Sorti en avril 1989, Doolittle marque le réel avènement des Pixies sur les radios américaines. Avec sa basse entêtante, son quatuor de cordes aérien, ses chœurs éthérés et, surtout, son riff sauvage sur le refrain, Monkey gone to heaven résume la quintessence du son des Bostoniens. Jusqu’à devenir – un temps – la hantise du groupe, car le public se pressait à leur concert pour cette unique chanson… L’album regorge de tubes, dont Here comes your man, qui se classe dans les charts, et marque surtout l’ouverture du groupe à un nouvel éclectisme. Ainsi, Tame alterne tempos ralentis et fièvres brutales sur trois accords, Crackity Jones invente le punk hispanisant, tandis qu’I bleed explore des textures plus mélodiques. De plus en plus tournée vers le surréalisme, l’écriture de Black Francis sonne comme le pendant musical d’un film de David Lynch.

 

pixiesbossanovaBossanova (1990)
Le surf spatial.
Pas encore conscient qu’il est en train de bouleverser en profondeur la musique américaine, Black Francis continue d’écrire goulûment et impose désormais son contrôle despotique sur les Pixies. Pour la première fois, le groupe ne répète plus longuement dans son antre de Boston. En l’absence de Kim Deal restée en Angleterre pour enregistrer le premier disque des Breeders, les trois garçons travaillent de manière très spontanée dans un studio de Los Angeles. Ainsi, la composition de Bossanova ne prend que quelques semaines, Black Francis écrivant parfois les paroles cinq minutes avant l’enregistrement. Le groupe y ajoute un chapelet de perles à son répertoire (Velouria, Alison, Dig for fire) dans un revival surf rock, avec des textes qui abordent de plus en plus des sujets ésotériques, avec des références répétées aux aliens et aux ovnis.

 

pixiestrompeTrompe le Monde (1991)
Le chant du cygne. Le rythme infernal que s’imposent les Pixies trouve son apogée avec la sortie de Trompe le Monde en 1991. Le groupe publie là son quatrième disque en quatre ans. En effet, les enregistrements ne sont entrecoupés que par d’harassantes tournées, qui passent notamment par le Leysin Rock Festival (et son fameux bootleg Subbacultcha). De plus en plus abrasif, le son du groupe touche au heavy-metal (Planet of sound) ou aux envolées bruitistes (Alex Eiffel). Il reflète les tensions exacerbées entre Black Francis et Kim Deal, désormais interdite de composition. Deux ans plus tard, le chanteur sabordera unilatéralement le groupe pour publier, sous son second pseudo Frank Black, une poignée d’albums sans gloire, alors que Kim Deal connaît un succès planétaire avec The Breeders. La messe est dite…jusqu’au printemps 2014.

 

 

 

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