Miossec, au carrefour de la chanson

Album après album, Miossec confirme, depuis près de vingt ans, qu’il occupe une place à part dans la chanson. Avec l’excellent Ici-bas, ici même, il bifurque une fois encore où on ne l’attendait pas. Entretien.miossecc

par Eric Bulliard

Quand on lui dit que ce nouvel album surprend, il se marre: «Je crois que la première écoute a dérouté pas mal de mon­de…» D’ailleurs, il se marre souvent, d’un rire sonore qui contraste avec sa voix murmurée. Au bout du fil, Christophe Miossec pèse ses mots, hésite, se révèle d’une douceur exquise pour évoquer l’excellent Ici-bas, ici même. Excellent, oui, parce que si la première écoute étonne, la deuxième ravit, les suivantes enthousiasment.

Il nous avait laissés avec d’âpres Chansons ordinaires (2011). Il revient avec onze titres apaisés. «Ce n’est pas intellectualisé, mais un disque permet toujours de rebondir vers un autre. Le précédent était tellement électrique que c’était facile d’aller à l’opposé.» Ici, la voix est posée, les couleurs souvent lumineuses. «Je crois qu’on est réellement dans la chanson fran­çaise…»

A bientôt 50 ans, Christophe Miossec se montre plus à nu que jamais. Dès le premier morceau, On vient à peine de commencer, les paroles touchent au plus profond: «La vie, elle a passé / et on l’a comme pas vécue / ou pas assez…» Pas de rage, mais une sérénité inédite: «C’est pas fini / on peut encore se raccrocher / à la poésie…»

Avec Albin de la Simone
La suite est à l’avenant. «Si on n’aime pas la première chanson, on risque de ne pas aimer la deuxième, ni la troisième. Il y a une unité. Je voulais un disque qu’on puisse écouter en jouant au billard: si on doit zapper des chansons qui déplaisent, c’est chiant…»miossecd

Miossec parle peu et vrai. A l’essentiel, comme son disque. Pour le réaliser, ils étaient «trois à mettre les mains dans le moteur…» avec l’ingénieur du son Jean-Baptiste Brunhes et Albin de la Simone, qui signe les arrangements. Une collaboration inattendue, avec le chanteur délicat d’Un homme. «C’est agréable de travailler avec quelqu’un qui, sur le papier, ne vous est pas proche musicalement, mais avec qui vous trouvez énormément d’atomes crochus.»

A partir de ses «petites chansons à la guitare», le trio a enregistré à domicile, sans maquettes. «Avec Albin, nous avons en commun des disques de jazz, de vieux groupes de bal. Ce langage nous parle tout de suite.» Le résultat est bluffant, porté par une écriture affûtée. La légèreté des arrangements permet d’aborder des thèmes lourds, le temps qui passe, la mort, ces personnes que la société oublie au bord de la route…

Miossec le reconnaît: avec cette sobriété, «il fallait soigner les textes». Certes, mais ses précédents étaient rarement négligés… «Si je n’ai pas ça, je coule. Je vis sous cette menace, c’est horrible! Autrement, dans la vie, le ridicule ne m’embête pas trop. Mais arriver avec des textes ridicules, j’aurais vraiment l’air con…»

«Une chouette distraction»
Au chapitre collaborations, on note un titre coécrit avec Stephan Eicher (Bête, comme j’étais avant), un autre avec l’artiste Sophie Calle et l’écrivain Grégoire Bouillier (Répondez par oui ou par non). «C’est drôle comme la chanson peut créer des passerelles… Ça permettait de sortir de mon petit champ personnel. On se met à plusieurs, on prend un papier, un crayon et on s’amuse. C’est chouette comme distraction…»

Dans ma commune, je trempe dans le jus: une boîte qui ferme, au bistrot, ça fait des mecs qui n’ont plus de boulot.

Comme souvent, Miossec frotte aussi sa plume aux sujets sociaux (Ce qui nous atteint, Le plaisir, les poisons…): «Un chanteur n’est pas une innocente petite colombe. Dans ma commune, je trempe dans le jus: une boîte qui ferme, au bistrot, ça fait des mecs qui n’ont plus de boulot.» Sa commune, c’est Locmaria-Plouzané, à côté de Brest, dans ce Finistère où il est revenu s’installer après quelques années parisiennes, puis bruxelloises.

Des Bretons partout
En parlant de sa région, la parole se lâche. «Les Français croient que quand ils disent “les Bretons”, ils ont tout dit… Ils déboulent à Ouessant, voient des gens sur des cailloux, mais ce qui a toujours nourri l’île, ce n’est pas la pêche, ni la vente de gâteaux, c’est les gars de la marine marchande qui ont fait quarante fois le tour du monde. Quand je voyage, je rencontre des Brestois partout, dans des coins pas possibles. C’est un département vivace, à l’affût, et Brest est la ville qui a le plus fort taux de fréquentation des bibliothèques…» D’ailleurs, ajoute-t-il, «les chanteurs adorent jouer ici… et ils ne viennent jamais y vivre, c’est ça qui est génial!»miosseca

Parce que Miossec ne le cache pas: arrivé sur le tard dans la chanson, il a fait sa place sans trop le chercher. «Ce n’est pas un milieu qui me plaît tellement. Le business de la musique est terrifiant. Du coup, j’ai un rapport assez rugueux avec tout ça…» N’empêche que nombre d’artistes plus jeunes le reconnaissent: avec Dominique A et quelques autres, il a bousculé la chanson française, au mitan des années 1990. Ils l’ont sortie de la tradition post Brassens, conservant l’importance du texte tout en lui insufflant énergie et électricité.

Le choc de «Boire»
En 1995, Boire a créé un électrochoc. «Je n’en avais aucune conscience. Je ne voulais pas accorder trop d’importance à ce disque. dEUs venait de sortir son premier album et je le préférais tellement au mien…» Vingt ans après, il dit se pincer encore. «Je n’aurais jamais cru avoir une vie pareille… Je me voyais plutôt dans l’océan Indien ou dans un boulot de journaliste. Mais pas revenir au pays,
à côté de chez papa et maman!»

De ses débuts, Miossec traîne une réputation: on le dit écorché vif, on continue à lier son nom à l’alcool, alors qu’il ne boit plus une goutte depuis des années. Il se marre, à nouveau: «Quand on appelle son premier album Boire, forcément…» Des clichés qui tiennent aussi à ses prestations sur scène. On prend les paris: à son prochain concert, il sera à l’eau claire, mais vous entendrez dire qu’il était bourré… Explication: «La scène, il faut que ça soit sauvage, sinon, je m’emmerde un peu… Pour moi, un concert, c’est de la tension, ce n’est pas cool…» Apaisé peut-être, mais Miossec toujours.

Miossec
Ici-bas, ici même
PIAS.

En concert à Fri-Son, Fribourg, le 20 novembre 2014

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