Renan Luce: avec la simplicité pour principe

Après le succès de Repenti et du Clan des miros, Renan Luce sort son troisième album, D’une tonne à un tout petit poids. Rencontre lors d’un récent passage à Genève, en attendant de le retrouver sur la scène des Francomanias de Bulle, le 27 mai.

RENANLUCE
Par Eric Bulliard

Au moment de la sortie de ce troisième album, le succès des deux précédents crée-t-il une tension supplémentaire ou êtes-vous rassuré de se savoir que le public vous attend?
Il y a un peu des deux: une fragilité de savoir que rapidement beaucoup d’oreilles vont avoir accès à ces chansons. Le jugement sera immédiat, peut-être plus rapide que pour des projets plus confidentiels. Mais j’écris aussi pour les gens, donc c’est un plaisir de savoir qu’ils sont dans l’attente de ce que je peux leur raconter cette fois-ci. Je suis content de partager ce qu’a été ma vie pendant deux ou trois ans de travail. Ce disque contient une bonne photographie de ce que je suis aujourd’hui et des sentiments qui m’ont traversé pendant cette période. C’est une carte postale, où je donne des nouvelles.

Presque quatre ans séparent Le clan des miros et celui-ci…
…dont au moins une année et demie de tournée, mais c’est vrai que j’ai eu besoin de me nourrir à nouveau d’une vie un peu plus normale. Vivre de manière plus posée, prendre du recul sur les sentiments qui me traversent, sur mes proches, avoir plus de temps pour bouger, voyager, rencontrer du monde, tout ce qui fait le point de départ de mes chansons, souvent.

Et comment s’est passé le retour à l’écriture?
Il y a eu un premier déclic avec la chanson qui clôt l’album, Courage. Elle m’a remis en phase d’écriture, à une période où j’étais plus dans le questionnement que dans l’action. D’où cette chanson qui parle d’un moment habité par le doute.

Un deuxième déclic a été un voyage, le long du Mississipi. Ça ne m’a pas fait faire du blues, mais j’ai été au contact de gens qui font de la musique de manière très instinctive, où l’émotion jaillit directement par la voix ou un instrument. Quand je suis rentré, j’ai eu l’impression de mieux appréhender cette simplicité que doit être une chanson: vivre quelque chose, la ressentir et essayer de la mettre en musique presque immédiatement. A partir de ce moment-là, l’écriture de ce disque a coulé.

Dans Voyager, vous évoquez ce voyage à travers des détails concrets: cette observation du quotidien est-elle votre manière naturelle d’aborder des sujets?
Oui, j’aime bien m’attarder sur des détails. Mettre en scène leur succession pour créer petit à petit un tableau. C’est un peu impressionniste: ces petites touches, quand on prend un peu de recul, forment un tout. Le sentiment que je veux exprimer passe par des observations qui peuvent, prises isolément, donner l’impression de quelque chose d’un peu simple. Mais pour moi, elles représentent un état d’esprit, un sentiment ou des choses plus profondes que les faits dont je parle.

Musicalement, on a l’impression d’une certaine retenue, qui s’éloigne un peu du refrain efficace à tout prix…
La musique est une part beaucoup plus instinctive. Je me pose moins de questions: je prends ma guitare et les choses viennent toutes seules indépendamment d’un texte, ou pour appuyer celui que j’ai commencé à écrire. Je suis toujours à la recherche d’une sorte d’évidence, des phrases musicales qui me paraissent limpides et d’une certaine manière un peu universelles… C’est comme un langage: la ligne mélodique est importante, c’est ce que je recherche avant tout. Pour moi, c’est un peu comme une succession de petites phrases, qui, mises bout à bout, font un discours.

Vous dites que l’écriture est moins instinctive…
Il y a deux étapes: une première assez instinctive, qui est de la recherche d’idées et qui se traduit par des annotations, des bouts de phrRENANases, des idées très succinctes d’histoires ou de thèmes. Mais après, il y a une période un peu laborieuse de travail du texte. J’attache beaucoup d’importance aux rimes, je me laisse même guider par elles, quitte à faire des concessions sur le sens initial de ma chanson ou ce que je voulais vraiment raconter. ça m’amuse aussi de me laisser emporter par l’écriture. Très souvent il m’arrive de découvrir, au bout de la chanson, que ce n’est pas ce que je voulais dire à l’origine, mais j’en suis très heureux aussi.

On sent bien ce côté ludique…
Toujours… C’est un petit puzzle que je me fais et que j’aime beaucoup, avec des allers et retours entre mon idée première, le sentiment que je veux exprimer et le plaisir des mots. Je fais des concessions sur un des tableaux pour arriver au final à quelque chose qui néanmoins doit me ressembler ou me correspondre, mais aussi avec une grosse part de liberté, pour, pourquoi pas, me laisser embarquer dans quelque chose que je n’avais pas prévu.

Est-ce que ça signifie que les anecdotes, les histoires racontées, sont le plus souvent vécues?
A égale moitié, j’ai l’impression. Par exemple, La boîte ne raconte pas quelque chose qui m’est arrivé, c’est imaginaire, mais l’envie de départ était de parler de l’amitié, qui est très importante pour moi. Je me souviens avoir écrit dans mon carnet que je voulais faire une chanson sur ce que je serais capable de faire par amitié. Après, je tire les fils, jusqu’à ce que je trouve une scène qui me donne l’impression de mettre en scène l’amitié. Parfois, c’est vraiment une anecdote qui m’est arrivée: Au téléphone avec maman, c’est plutôt du vécu, même si évidemment je caricature. Les secrets chuchotés, c’est plus personnel, Réponse à tout est directement adressé à ma fille…

Le côté narratif, raconteur d’histoires reste en revanche essentiel…
C’est quelque chose que j’aime bien faire, oui… Ça m’amuse d’accoucher d’une histoire qui, par définition, n’existait pas avant que j’y pense. C’est un sentiment assez agréable d’avoir créé un petit monde qui dure trois minutes trente… J’aime bien trouver une porte de sortie et que les histoires se terminent. Trouver une porte d’entrée un peu inattendue pour créer l’histoire et, de la même manière fermer la porte derrière moi. J’aime bien ce mode-là…

Pourquoi avoir choisi ce titre, D’une tonne à un tout petit poids? En quoi est-il représentatif de l’ensemble de l’album?
A plusieurs niveaux: c’est extrait de la chanson Les secrets chuchotés et c’est une manière de dire que je fais une sorte de confidence dans ce disque, une sorte de portrait de moi. A l’écoute de ces dix chansons, on peut à peu près comprendre qui je suis. Mais j’y vois aussi une bonne métaphore de l’écriture d’un disque et de son enregistrement: pendant deux ans, je suis animé par plein d’envies, des personnages, des histoires, des sentiments m’habitent, qui sont très importants pour moi. Je ne vis presque que pour ça pendant deux ans et ça finit par un tout petit objet, une galette de quelques grammes ou sur un fichier informatique par définition encore plus léger… Beaucoup de choses finissent sur ce petit objet.

C’est une chanson assez différente des autres, comme Courage: elles sont plus dans le registre symbolique, sentimental que concret…
C’est vrai et je suis content aussi d’avoir exploré cette tonalité-là, que j’aime beaucoup, qui fait plus appel à la recherche d’images poétiques, ou la description de sentiments… C’est peut-être une porte qui s’ouvre sur d’autres manières d’écrire.

RenanLucecover

Quel rôle a joué Peter Von Poehl, qui a signé les arrangements? A quel moment est-il arrivé?
A la fin de l’écriture, j’avais réalisé une première maquette dans mon studio en Bretagne, avec l’envie d’aller presque au bout tout seul. J’ai commencé ce travail et je me suis rendu compte que j’avais besoin de partager, de ne pas être seul à me poser des questions… Il fallait que je trouve un partenaire qui partage cette manière empirique et simple de travailler: jouer les choses jusqu’à ce que les idées s’imposent d’elles-mêmes.
Avec Peter, on se connaissait un peu par des amis communs et le hasard a voulu qu’il passe ses vacances d’été jusqu’à côté de ma maison en Bretagne. Nous avons convenu qu’il vienne deux ou trois fois, on a fait un peu de musique et on s’est rendu compte qu’on avait la même manière très simple de travailler, sans certitude.

Pour aller plus loin dans ces maquettes, on s’est dit que ce serait bien de convier un batteur, un bassiste et, tant qu’à faire, un ingénieur du son. On s’est retrouvé à organiser les prises définitives de l’album, en une semaine. C’était plus rapide que ce que j’avais jamais fait: chaque jour, une chanson, voire deux. On commence tous ensemble dans la même pièce, avec basse-batterie et moi à la guitare. Je leur joue le morceau, on cherche un peu, chacun va derrière ses micros, on joue jusqu’à ce qu’on estime qu’il y a eu une prise qui corresponde exactement à ce qu’on voulait exprimer et on la garde telle quelle. C’est vraiment un album fait live et qui est, je pense, vivant, chaleureux.

C’était une semaine assez magique, un truc familial: la voisine faisait à manger, il y avait un truc simple, qui m’a fait du bien. Alors que, souvent, les périodes de studio sont un peu empreintes d’un truc impressionnant, parce que c’est un studio qu’on ne connaît pas, on est accueilli par un technicien qu’on ne connaît pas encore… Là, j’avais envie d’un truc où j’avais l’impression de maîtriser un peu toute la chaîne. Je connaissais le micro et tout le matériel dans lequel passaient tous les signaux. C’est un moyen de mieux maîtriser l’aspect texture sonore.

C’est aussi dû au fait d’avoir votre propre studio…
Oui c’était mon envie de départ. Après, je ne savais pas jusqu’où j’irais seul dans ce processus. Au final je suis très heureux d’avoir partagé ça avec Peter et avec l’ingénieur du son qui a été très précieux, parce qu’il s’agissait d’un travail un peu bâtard: souvent quand on prend un ingénieur du son, il nous emmène dans son studio, un lieu qu’il connaît bien. Là, c’était l’inverse, c’est lui qui venait, donc il fallait quelqu’un de très réactif, très créatif, ce que Romain Clisson a été. Il écoutait ce qui était joué, disait OK, je vois comment on peut faire sonner, placer les micros comme il faut, faire des essais rapides, sans que ce soit lourd. Il a été très fort pour ça.

La couleur reste essentiellement acoustique: n’auriez-vous pas envie d’explorer d’autres sons?
J’ai l’impression de ne pas avoir fait le tour de quelque chose qui me paraît évident: faire de la musique avec des gens qui jouent des instruments. En l’occurrence, je joue de la guitare plutôt acoustique, c’est mon point de départ. Mes chansons, je les compose comme ça. Ce n’est pas quelque chose de réfléchi, ça s’impose…

Je n’ai pas encore fait le tour de ce genre très simple des chansons avec une base guitare-voix. Ensuite, je le partage avec d’autres musiciens, qui apportent leurs idées sur le moment, qui placent une basse un peu mélodique et chaude, bien rythmique, sur une base de guitare. Ou une batterie qui, cette fois-ci, contrebalance le côté très chaud et acoustique, je trouve: il a un son assez froid et une manière de jouer très pop qui contraste avec ce côté très acoustique des chansons un peu folk, comme je les crée en version guitare-voix. Il y a aussi l’utilisation de beaucoup de claviers, ce que je faisais assez peu, qui donnent une touche peut-être un peu plus… Je ne dirais pas moderne, parce que ce sont des claviers plutôt vintage et des sons années 1970 et 1980…

… ce qui est au fond très moderne, très à la mode!
Oui, finalement… Je suis assez content des sons explorés, qui élargissent un peu le côté purement acoustique et très chanson.

Vous évoquez souvent l’enfance, avec nostalgie, comme ici dans J’habitais là
J’ai l’impression que je n’en sortirai jamais, parce qu’à l’époque où mon enfance commence à être derrière moi, je la revis d’une certaine manière en étant jeune père: il y a un truc en miroir, qui permet de comprendre ce que vivaient mes parents quand j’étais enfant puisque j’ai le même âge qu’eux à cette époque-là… Cette espèce de cycle, d’éternel recommencement, fait que je ne vois pas comment cette nostalgie de l’enfance pourrait s’en aller.
Surtout que je considère cette période comme bénie par son insouciance et la confiance en soi que je pouvais avoir, qu’on contrebalance en grandissant. Parce qu’on comprend des choses, on voit que tout ce qu’on imaginait simple et limpide, finalement était un peu plus en demi-teinte. En tout cas, je pense qu’il y aura toujours une ou deux chansons qui ont trait à cette période-là.

Sur scène, à quoi peut-on s’attendre?
Le point de départ est aussi l’instinct, l’envie de ne pas se poser de questions. L’énergie arrive naturellement: il y a une dimension plus rock’n’roll sur scène, puisqu’on est moins dans l’idée de créer une sorte de cocon autour des chansons. Là, c’est l’inverse: on les livre de manière plus brute. Il y aura cette dimension plus large, plus électrique, avec un peu plus de hargne, et le plaisir de revisiter l’ancien répertoire, avec de nouveaux arrangements, de nouvelles idées, amener un peu de fraîcheur. Ne serait-ce que pour moi, ne pas avoir l’impression de faire toujours pareil.

Le clip Appelle quand tu te réveilles est absolument incroyable…
Je rends à César ce qui lui appartient et sur ce coup-là, César s’appelle Laurent Serroussi, un mec un peu dingue, qui s’est lancé dans un truc assez fou. Je n’ai vécu que la journée de tournage, qui a été un peu épique: comme c’est un seul plan-séquence, il fallait que tout tombe bien… C’est un truc de fou: il fallait calculer la taille des bougies, parce qu’on les allume au début de la prise, et il fallait savoir à quelle vitesse elles allaient se consumer.

Il y avait mille trucs à régler qui font que la prise qu’on a gardée est la dernière qu’on a shootée, à 4 h du matin. Mais avant ça, il a bossé trois semaines pour créer les anamorphoses, les décors qui jouent sur les effets de perspective. On ne comprend pas trop ce qu’on va voir, et il y a juste quand la caméra se place dans la bonne perspective que l’effet est réel. Ça donne quelque chose de beau et d’assez vivant.

Pour un clip de ce genre, vous laissez carte blanche?
Non, je participe pas mal, nous sommes passés par plusieurs étapes, par diverses idées. Je n’avais pas envie de mettre en images clairement la chanson, mais il me paraissait aussi difficile d’en sortir complètement, de montrer autre chose que ce qui se passe. Parce que c’est quand même une histoire, donc il fallait jongler avec cet objet qui ne soit pas vraiment la mise en images réelle de la chanson, tout en racontant un peu l’histoire. Il a trouvé cette pirouette. Ce qui me plaisait aussi, c’est qu’on voit une sorte de Paris vidé de sa substance, par la peine de cœur que j’essaie de rafistoler: les murs deviennent du papier, il n’y a personne d’autre que moi… Je trouve que ça marchait bien.

Professionnellement, quelles relations avez-vous avec Renaud, votre beau-père? parlez-vous musique, donne-t-il des conseils?
On est assez pudiques tous les deux… J’ai parfois eu le plaisir de lui envoyer des ébauches de chansons et il répond très succinctement un soutien inconditionnel, qui fait du bien… Il m’a toujours dit qu’il appréciait ce que je fais, donc ça aide dans les moments de doute, parce qu’il fait partie des modèles imparables et ses chansons restent des références. Elles ont contribué à ce que ma passion soit forte. Mais je sais faire la part des choses: je suis à la fois capable d’écouter ses chansons avec le même regard que quand j’avais quinze ans et d’être devant lui sans être impressionné.

Renan Luce, D’une tonne à un tout petit poids, Universal
En concert aux Francomanias de Bulle, Espace Gruyère, mardi 27 mai. www.francomanias.ch

Posté le par Eric dans Chanson française, Francomanias, Musique, Présentation 2014 Déposer votre commentaire

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