Kurt Cobain, vingt ans que l’ange est passé

Il y a tout juste vingt ans, le 5 avril 1994, Kurt Cobain s’ôtait la vie dans sa maison de Seattle. Figure de proue du grunge et de la Génération X, le chanteur de Nirvana laisse une œuvre dense et essentielle.kurt

par Christophe Dutoit

Tout comme Robert Johnson, Jimi Hendrix, Janis Joplin ou Jim Morrison, sa mort à l’âge de 27 ans lui a permis d’entrer dans la légende. Le 5 avril 1994, Kurt Cobain se tirait une balle dans la tête avec le genre de pistolet qu’il brandissait, quelques semaines plus tôt, lors de sa dernière séance de photos. Vingt ans plus tard, le chanteur de Nirvana prête encore cette effigie pour des T-shirts d’adolescentes et son suicide fait l’objet d’inépuisables thèses contradictoires. Never mind (tant pis).

Sur le plan musical, en revanche, Nirvana ne fait plus rêver la jeunesse actuelle pour qui le mot spleen fait d’abord penser à un chanteur de The Voice. La génération X est bientôt grand-mère et la révolte grunge a fait long feu depuis belle lurette. Aujourd’hui, les musiciens de Seattle (Pearl Jam ou Soundgarden en tête) remplissent les stades et les rescapés de Nirvana jouent avec Paul McCartney pour des œuvres de bienfaisance (certes avec la phénoménale chanson Cut me some slack, mais quand même)… De la musique de Kurt Cobain, il reste cependant cinq albums essentiels, à redécouvrir sans délai.

Bleach (1989)
nirvanableachEnregistré en une trentaine d’heures pour la somme faramineuse de 600 dollars, le premier album de Nirvana s’est vendu à ce jour à près de 2 millions d’exemplaires… Rien ne prédestinait cependant Bleach à connaître pareil succès. Formé deux ans auparavant, Nirvana joue du punk-rock dans la banlieue de Seattle, sans se rendre compte qu’il participe à une lame de fond bien plus puissante. Il suffit alors d’une basse bien lourde et de trois accords magiques massacrés sur une guitare crade pour monter sur scène et participer à la naissance du grunge, dans la foulée des Melvins.

Maladroit, spontané, bruyant, mais aussi diablement efficace, Bleach alterne les titres les plus chaotiques avec des perles mélodiques telle About a girl. Après quelques mois de tournée – les concerts finissent immanquablement par la destruction des instruments – le groupe vend quelques milliers d’albums et ratisse étroit un parterre de fans encore underground.

Nevermind (1991)
nirvananevermindTraumatisé par la rupture avec sa petite amie Tobi Vail, Kurt Cobain sombre dans une dépression que n’arrange pas son addiction à l’héroïne. Cette descente aux enfers nourrit ses nouvelles chansons, directement inspirées de sa propre vie. Il fait ainsi référence au Teen Spirit, le parfum pour adolescentes porté par son égérie, mais aussi à la déchirure de la séparation (Lounge act) ou à la sensation d’étouffement (Drain you). Nirvana enregistre son deuxième album aux mythiques studios Sound City de Los Angeles, en moins de trois semaines.

Dès sa sortie, en septembre 1991, Nevermind ouvre les portes de la gloire à son auteur. Le clip de Smells like teen spirit passe en boucle sur MTV et devient rapidement l’hymne de toute une génération. Abrasive et paradoxalement très mélodique, cette chanson alterne montées en puissance rageuses et couplets séraphiques, sous l’influence assumée des Pixies. En trois mois, Nirvana se transforme en phénomène de foire et le grunge devient tout public. Contre son gré, Kurt Cobain devient le musicien le plus adulé des nineties naissantes.

Live at Reading (1992)
nirvanareadingSouvent chaotiques et bruitistes, les concerts de Nirvana tranchent avec la production très policée et radiophonique de Nevermind. Le retour à cette salissure rock est incarné lors de la prestation du groupe au Festival de Reading, devant 40000 spectateurs en transe. A la limite de l’explosion, Nirvana joue pied au plancher, avec une énergie proche du délire lorsque Cobain reprend l’hymne américain. Le sommet est atteint, le grunge peut désormais s’éteindre en paix.

In utero (1993)
nirvanauteroIncapable de gérer le succès, Kurt Cobain se renferme de plus en plus, malgré son mariage avec Courtney Love et la naissance de leur fille Frances Bean. D’abord intitulé I hate myself and I wanna die (Je me déteste et je veux mourir), le troisième album évoque la paranoïa, le mal-être, le viol (Rape me, la quintessence du son Nirvana). Forcément moins bien reçu par la critique, qui espérait une musique plus consensuelle, In utero reste un disque d’une incroyable fièvre. Il marque surtout l’envoûtant songwriting de Cobain, capable de composer des titres rageurs et de les jouer dans des versions acoustiques d’une infinie douceur (Pennyroyal tea).

Unplugged in New York (1994)
nirvanaunpluggedEn pleine tournée mondiale, Nirvana fait halte à Manhattan le 18 novembre 1993. Dans les studios de MTV et devant un public restreint, le groupe revisite son répertoire en mode sourdine, pour le plus grand malheur des fans de grunge. Sous cet éclairage acoustique, la musique de Cobain prend toute son ampleur et les derniers irréductibles comprennent enfin son amour pour les Beatles. Ultime pied de nez, il omet de jouer Smells like teen spirit au profit de reprises des Meat Puppets, de David Bowie (géniale version de The man who sold the world) ou de Leadbelly (Where did you sleep last night) en guise de testament. 

Acte manqué à Fri-Son

Le 25 novembre 1989, Fri-Son accueille Tad, un poids lourd du grunge naissant. En première partie, ils traînent avec eux Nirvana, un jeune groupe de la banlieue de Seattle qui vient de signer son premier album sur le même label. «Kurt Cobain était fiévreux, mais il refusait de prendre le suppositoire fourni par la logeuse Heleen», lit-on dans l’ouvrage paru à l’occasion des trente ans du club. Après une chanson dos au public, Cobain quitte la scène, tandis que le groupe livre encore une douzaine de versions instrumentales, sur lesquelles Tad Doyle éructe des borborygmes incompréhensifs. «Tout faux, rétorque Chad Channing, le batteur de l’époque, sur un site spécialisé. Kurt n’a pas raté un seul concert de cette tournée…» Allez savoir!

Sur les 290 entrées comptabilisées ce soir-là, ils ne devaient pas être plus d’une cinquantaine à avoir entendu Nirvana. «Le son n’était pas terrible et il faut avouer que les groupes de grunge jouaient quand même très mal à cette époque», se souvient un des rares rescapés de la soirée.

Quelques jours plus tard, Nirvana joue à L’Usine de Genève, puis à la Rote Fabrik de Zurich, dans l’anonymat le plus complet. Le groupe se produit encore en Suisse en février 1994, devant 7000 personnes réunies à la patinoire du Littoral, à Neuchâtel, pour l’un des derniers concerts avant le décès de son chanteur, deux mois plus tard.

 

 

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