Vivian Maier, le génial secret d’une Mary Poppins oubliée

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Le Festival international de films de Fribourg débute vendredi avec le vernissage de l’exposition de Vivian Maier à la BCU. Les photos de cette nounou américaine n’avaient jamais été montrées avant son décès en 2009. 
Finding vivian Maier, le documentaire qui retrace cette fabuleuse découverte, sera projeté à deux reprises.

par Christophe Dutoit

Le 23 avril 2009, une petite annonce du Chicago Tribune fait part du décès de Vivian Maier, «partie paisiblement lundi dernier». Quelques jours plus tard, un jeune agent immobilier de 27 ans trouve enfin un nom écrit au stylo dans le fatras de négatifs qu’il a acquis aux enchères deux ans plus tôt: Vivian Maier. Coïncidence?viviani

Oui et non. Jamais en effet John Maloof ne rencontra cette vieille dame de 83 ans, dont la fin de vie précaire fut sauvée de l’indifférence générale par trois garçons dont elle a été la nounou dans les années septante.

Aujourd’hui, à peine cinq ans plus tard, le nom de Vivian Maier figure au panthéon de la photographie. Alors même qu’elle n’a jamais montré ses images de son vivant et qu’elle n’a pris le soin de développer qu’une partie de ses films… A l’unisson de cette reconnaissance posthume, la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg vernit vendredi une rétrospective de cette Mary Poppins de la photographie, en partenariat avec le Festival international de films de Fribourg.

Lorsqu’on déguste la soixantaine de tirages exposés, une évidence se dessine: les éloges adressés depuis trois ans à la mémoire de Vivian Maier sont amplement mérités. Cette dame avait indéniablement l’œil pour cadrer ses images carrées avec le Rolleiflex qui ne quittait jamais sa bandoulière. «Elle devait avoir un sacré sens de l’humour, mais aussi beaucoup d’empathie pour le genre humain», note la photographe Mary Ellen Mark dans le documentaire Finding Vivian Maier, projeté la semaine prochaine à Fribourg.

Enfance dans le Bronx
Rien ne prédestinait toutefois la New-Yorkaise à entrer dans l’histoire du XXe siècle. Quelque temps après sa naissance en 1926, ses parents se séparent et sa mère s’installe dans le Bronx. Jamais elle ne nouera de contacts avec son père ni avec son grand frère.

Elle photographie de manière compulsive les enfants dont elle a la garde. Mais aussi des inconnus, saisis avec son appareil tenu sur sa poitrine, qui lui confère la vivacité du geste et la discrétion du regard.

Des six années d’enfance passées dans le village natal de sa maman dans le Champsaur (Hautes-Alpes), elle conserve un étrange accent français qui ajoute au mystère dont elle aime se parer. Après la guerre, elle travaille comme nounou pour diverses familles de Manhattan. Surtout, elle photographie de manière compulsive les enfants dont elle a la garde. Mais aussi des inconnus, saisis avec son appareil tenu sur sa poitrine, qui lui confère la vivacité du geste et la discrétion du regard.

Huit mois autour du monde
Au milieu des années cinquante, la longiligne demoiselle (jamais elle ne se mariera) s’installe à Chicago, après un voyage autour du monde, dont elle tait l’existence à son entourage, malgré les milliers d’images qu’elle en rapporte. Tout comme elle garde secrète la vente de la maison familiale du Champsaur, au terme d’un second voyage qui marque sa foi dans la photographie et son envie – hélas jamais assouvie – de faire tirer ses images par le magasin du village qui a publié ses clichés en cartes postales.viviane

Cette constatation, John Maloof a mis plusieurs années à l’étayer. Car en 2007, au moment où il acquiert son premier lot, Vivian Maier n’est encore qu’une anonyme. Pour rentabiliser son achat, le jeune homme commence en effet à poster des images sur le site Flickr et vend des négatifs «à la pièce» sur Ebay. Très vite, son blog déborde de commentaires élogieux. Ce qui l’incite à en savoir davantage.

Il rachète dans la foulée les boîtes misées par les autres participants à l’enchère et amasse près de 100000 négatifs, des dizaines de films super-8 et des centaines de tirages de laboratoire. En outre, il met la main sur le garde-meubles qui contient, du sol au plafond, tout ce que Vivian Maier s’est acharnée à conserver de sa vie. Grâce à des reçus, il retrouve ainsi une à une les familles qui ont mandaté ses services de gouvernante, il trace non sans difficulté sa généalogie et découvre qu’elle s’entourait volontiers d’un voile de cachotteries, avouant parfois s’appeler Miss Smith à ceux qui lui demandaient son nom…vivianc

Ses pérégrinations sur les traces de la photographe, John Maloof les a documentées et mis en scène dans son film Finding Vivian Maier. Sous ses airs de jeune arriviste décomplexé, il cache mal sa méconnaissance première de la photographie et son envie de faire de l’argent avec son précieux trésor. Lui aussi d’ailleurs refuse de partager ses secrets et voit d’un mauvais œil qu’un concurrent, Jeffrey Goldstein, mette en vente les 12000 vues de sa collection de Vivian Maier. John Maloof engage une énergie débordante dans ce projet, scanne des milliers d’images, mandate des spécialistes et contacte les galeries les plus réputées de Soho. Sans ce fol engouement ni l’assurance de tenir là un pan du patrimoine, Vivian Maier aurait sans doute gardé pour elle son ambitieux secret. Sans lui, les amateurs n’auraient jamais pu se délecter de ces images qui font désormais partie de l’histoire de la «belle image en noir et blanc», de la photographie de rue dans sa plus sublime expression.

Eclairer le présent
Commentaire. Vivian Maier est devenue une star mondiale de la photographie en 2011, pour sa première exposition. Alors qu’elle n’avait jamais montré ses images de son vivant…

La découverte de ce fabuleux trésor est porteuse d’enseignements. Notamment sur la valeur des images. Tandis que cette nounou esseulée concluait sa vie dans le dénuement le plus complet, on vendait à son insu ses biens stockés dans un garde-meubles. Les seules personnes qui s’occupèrent d’elle a la fin de son existence furent trois garçons qu’elle «babysitta» jadis. Qui, pour tout héritage ou remerciements, n’ont même pas gagné d’être mentionnés dans les livres et les films qui racontent ce conte de fées.

Pendant ce temps, les «inventeurs posthumes de l’artiste» (selon Libération) vendaient à prix d’or des tirages issus d’une œuvre dont ils autoproclamaient la valeur. Joli paradoxe!

Mais cette histoire nous apprend aussi que des trésors se cachent parfois dans nos galetas poussiéreux. Des perles que la BCU de Fribourg et le Musée gruérien de Bulle collectent à notre échelle et mettent régulièrement en valeur au travers de publications et d’expositions, par exemple via le projet Regards Retrouvés dont le premier recueil paraîtra cet automne. Car, la «vieille photographie» nous apprend au moins une chose essentielle. Que notre passé sert toujours à éclairer notre présent.

Fribourg, BCU, exposition Vivian Maier photographe, vernissage vendredi 28 mars, 18 h 30. Infos: www2.fr.ch/bcuf
Projection du documentaire Finding Vivian Maier, de John Maloof: mardi 1er avril, 18 h 45 (Cap’Ciné) et mercredi 2 avril, 15 h (Rex 1)

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