Giacometti, Marini, Richier: l’homme en son tourment

Le Musée cantonal des Beaux-Arts, à Lausanne, expose trois artis­tes majeurs du XXe siècle: La figure tourmentée présente 70 œuvres d’Alberto Giacometti, Marino Marini et Germaine Richier.

Marini

par Eric Bulliard

Près de vingt ans que le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne n’avait plus consacré d’exposition à la sculpture. Depuis Maillol en 1996. Rien que pour ça, La figure tourmentée crée l’événement. Mais aussi pour la réunion de trois artistes phares du XXe siècle, Giacometti, Marini et Richier. Et par la qualité exceptionnelle de cette septantaine d’œuvres.

Presque exacts contemporains, tous trois ont en commun une formation classique. L’Italien Marino Marini (1901-1980) est marqué par l’art étrus­que et la découverte de la sculpture médiévale du Cavalier de la cathédrale de Bamberg. La Française Germaine Richier (1902-1959) et le Suisse Alberto Giacometti (1901-1966) ont notamment été élèves (successivement) de Bourdelle, à Paris.

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Dès leurs débuts, comme le montre la première salle, ils s’éloignent toutefois de l’académisme. Loretto I (1934), de Germaine Richier, reste marqué par la statuaire classique, mais sans le contrapposto traditionnel. Et dans Juin 1940, la sculptrice va plus loin, avec ce corps tourmenté aux doigts écartés. Alors que son Sava Alexandra (1944) montre une autre facette de son évolution: le travail sur la matière arrachée.

Déséquilibre et douleur
Marqués par l’avant-garde parisienne des années 1920, Giacometti, Marini et Richier sont tentés par la non-figuration, la frôlent sans y céder. Pour preuve l’étonnante Tête du père de Giacometti: «Dès 1925, il remet en cause l’enseignement, explique Camille Lévêque-Claudet, commissaire de l’exposition. Il recourt à une géométrisation des formes, mais jamais à l’abstraction complète.»Giacometti

Chez Marino Marini, la tradition est surtout représentée par les sculptures équestres. Avec une rupture: après la guerre et, notamment, la destruction de son atelier dans les bombardements de Milan, ses figures semblent en déséquilibre. La marche sereine d’avant-guerre est devenue impossible. Le cavalier se retrouve proche de la chute, le cheval tordu, comme dans le célèbre Cavaliere de 1953, qui n’est pas sans rappeler certaines figures douloureuses de Guernica, de Picasso.

Corps à corps avec la matière
Sur ces bases classiques, les trois artistes recherchent de nouveaux modes de figuration. Giacometti allonge ses personnages, créant une aura de mélancolie qui restera sa marque. Germaine Richier mêle animal, végétal et humain, pour créer de magnifiques Mante et Araignée (les deux de 1946). L’instabilité touche aussi bien des figures comme L’homme qui chavire (1950) ou la Femme de Venise (1956) de Giacometti, que l’extraordinaire Jongleur de Marini (1954) ou L’orage et L’ouragane (1947-1949) de Richier.

Surtout, et c’est l’un des points communs qui justifient cette triple exposition, tous trois se sont confrontés à la matière, qu’elle soit terre ou plâtre. Giacometti la malaxe, laissant parfois l’empreinte de son pouce, Richier l’arrache jusqu’à la trouer, Marini la raye, la scarifie. En écho, l’exposition présente des tableaux de Dubuffet et Fautrier qui, eux aussi, sont restés aux limites de l’abstraction et ont pratiqué «des corps à corps avec la matière» selon Camille Lévêque-Claudet.

Nouvelle image de l’homme
Une salle du Musée des Beaux-Arts tire également quelques liens biographiques. Pour rappeler que Marino Marini et Germaine Richier, des amis proches, ont exposé ensemble. Ou encore que tous trois se sont sans doute rencontrés alors qu’ils se trouvaient en Suisse durant la Seconde Guerre mondiale: Richier à Zurich, Marini au Tessin, Giacometti à Genève.

Richier

Du socle commun figuratif, les trois sculpteurs ont par la suite évolué dans des directions divergentes. Giacometti mène des recherches sur la taille des œuvres et intègre le spectateur: le Buste d’homme de 1950 tient compte des différents points de vue de celui qui le regarde. Marini s’interroge sur un monde qui disparaît en se dirigeant vers des formes hybrides, géométrisées, où les tensions sont au paroxysme. Alors que Richier tente de créer de nouveaux espaces à l’aide de fonds peints sur lesquels interagit la sculpture.

Chacun à sa manière, Giacometti, Marini et Richier se sont ainsi attachés à donner une «nouvelle image de l’homme», pour reprendre le titre d’une célèbre exposition du MOMA de 1959. De l’homme tel qu’ils le voient, dans cet après-guerre où les illusions se sont envolées. Non plus un idéal, non plus le sommet de l’évolution, mais une «figure tourmentée».

Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts (Palais de Rumine), jusqu’au 27 avril. www.mcba.ch

 

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