Florent Marchet, l’art de la pop existentielle

Florent Marchet sort l’album français le plus surprenant de ce début d’année. Bambi Galaxy se présente comme une odyssée pop, entre science-fiction et réflexion existentielle. Entretien en attendant sa venue aux Francomanias.marcheta

par Eric Bulliard

S’il fallait une étiquette, on pourrait dire pop électro-spatiale décomplexée. Ou space opera rétro-futuriste. Après les chansons élégantes de Rio Baril (2007) ou de Courchevel (2010), Florent Marchet surprend avec Bambi Galaxy: cet album concept suit un personnage du futur à la recherche d’une place en société. Sa quête passe par les drogues (Que font les anges?), l’hédonisme hippie (Heliopolis), Raël (Space opera) ou un départ dans l’espace (Apollo 21). Un univers original que Florent Marchet déclinera sur scène, aux Francomanias de Bulle, le 29 mai.

Vous avez fait la une des Inrockuptibles, vous étiez invités à On n’est pas couché sur France 2 et votre album est très bien accueilli par la critique: vous devez être ravi de cette sortie…
Ça fait évidemment extrêmement plaisir. On ne peut pas rêver mieux quand on travaille longtemps sur un album, quand on baigne dans des thématiques pendant plus de deux ans et qu’on est complètement habité par ça. L’angoisse, au moment de rendre son travail, c’est qu’il ne rencontre ni les médias ni le public. C’est un risque: ce n’est pas parce qu’une chose vous anime que ça touche les gens ou que ça les intéresse.
Donc je le vis surtout comme un soulagement, parce que je sais tous les enjeux qu’il y a derrière, notamment cette envie de partir sur les routes, de monter un spectacle qui, pour moi est l’extension nécessaire de l’album. Et ça dépend beaucoup de la réaction des médias: aujourd’hui, les programmateurs de salle nous prennent s’ils voient qu’il y a une bonne couverture médiatique.

Comment s’est effectué le virage entre une chanson plus traditionnelle et cette électro-pop spatiale, cette odyssée de cet homme à la recherche de sa place dans la société?
Il n’y a pas vraiment de grand virage, parce que ça se fait sur la longueur. Au moment de terminer la tournée de l’album Courchevel, je pensais avoir fait le tour de la question, ou plutôt de l’angle, de la façon de regarder le monde. J’avais envie de changer d’axe. Un nouvel album se fait souvent en réaction au précédent, à ce qui a manqué. Je trouvais que dans la texture de sons, nous étions trop dans le naturalisme. J’avais envie d’accentuer des aspérités. Et dans l’écriture, je voulais fonctionner par flashes, par fulgurances.
Ensuite, j’ai commencé à baigner dans des thématiques et des réflexions différentes, parce que depuis cinq ans je suis papa de deux enfants et que je ne regarde pas le monde de la même manière. Même si une chose reste omniprésente: le questionnement sur le sens de l’existence, avec cette idée de regard introspectif. Mais là, c’était par un autre biais: non plus les racines, ce qu’on m’a transmis, d’où je viens, mais plutôt qu’est-ce que l’on va transmettre aux générations futures? Ne plus être le centre du monde, le fait que, tout à coup, il y ait des êtres plus importants que votre vie change la vision…

On nous avait transmis un idéal, celui des années 1970, post-soixante-huitard, avec un futur fantasmé extraordinaire…


Et ça me renvoyait aussi à ma propre enfance: dans les années 1980, l’an 2000 faisait rêver. On nous avait transmis un idéal, celui des années 1970, post-soixante-huitard, avec un futur fantasmé extraordinaire… On pensait que la technologie irait de pair avec plus de partage. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Aujourd’hui, quand on se projette dans cinquante ans, nous ne sommes plus aussi optimistes, loin de là… En même temps, nous sommes dans une société qui fabrique constamment du divertissement, comme s’il fallait brouiller les pistes, ne pas voir ce qui nous attend. C’est une société très enfantine, finalement: les adultes se comportent comme des enfants irresponsables. Y compris, les grands dirigeants.

Ecoutez ici cet extrait de l’interview téléphonique de Florent Marchet

 

D’où le Bambi du titre, qui renvoie à la fois à Disney et à Michael Jackson…
Oui, c’est l’idée de l’adulte qui se comporte comme un enfant irresponsable… L’adulte, aujourd’hui, a souvent plus de jouets que ses propres enfants! Michael Jackson posait la question de l’homme du futur: on disait qu’il vivait dans un caisson à oxygène, certains prétendaient qu’il pourrait vivre 150 ans, voire qu’il serait immortel… Toutes ces questions-là se posaient et étaient intéressantes.

Ces thèmes sont si vastes qu’ils ne semblent pas faits, a priori, pour le format chanson…marchetb
Gainsbourg a énormément apporté à la chanson, c’est un maître incontestable, mais je pense que le fait d’avoir dit qu’il s’agit d’un art mineur est une énorme connerie… Je pense qu’il n’y a pas de média artistique mineur. Il faut voir ce qu’on en fait. Il y a des créations majeures, d’autres mineures, mais ce n’est pas parce qu’on fait de la musique classique ou de la peinture qu’on fait quelque chose de majeur. Il y a des peintres qui n’apportent rien à la peinture… Quand je vois la chanson considérée comme uniquement liée au divertissement, l’idée que le populaire doit forcément être facile, je trouve que c’est du mépris pour toute une société. Tous les arts peuvent tirer les hommes vers le haut: ils doivent être un moyen de réflexion. Ça doit tenir chaud, les créations, et non pas être des drogues qui font oublier le quotidien et la société dans laquelle on vit. Quand j’écris des chansons, c’est pour décrire le monde tel que je le vis, parfois subis, tel qu’il me traverse… Je ne vois pas pourquoi ce serait réservé au cinéma et à la littérature, qui, quand ils abordent certains sujets, ne posent aucun problème. Pour la chanson, j’ai l’impression qu’à part écrire des chansons d’amour, on ne peut rien faire d’autre… Et encore, il y a une amélioration: aujourd’hui on peut écrire des chansons d’amour qui se terminent mal!

Vous avez toujours pratiqué l’album concept, alors qu’aujourd’hui le concept d’album ne veut plus dire grand-chose…
Je travaille un peu à la manière d’un romancier ou d’un réalisateur de film. Je n’arrive pas à faire des chansons qui ne soient pas en lien les unes avec les autres. Juste écrire une chanson, ça ne me parle pas forcément. Ce qui me plaît, au fond, c’est d’être dans une histoire, une atmosphère. Je le fais en chansons parce que j’ai l’impression que c’est là que j’arrive le mieux à m’exprimer. J’aimerais bien le faire aussi via la musique instrumentale, ça va venir, ou à travers l’écriture de romans, mais ce n’est pas encore le moment pour moi… Je ne me sens pas chanteur avant tout, d’ailleurs c’est venu assez tard le fait d’être interprète: à la base, mon but est vraiment d’écrire des histoires.

Malgré le côté électronique, le son reste très chaud, très ample…
Je n’ai utilisé que des instruments acoustiques, électro-acoustiques ou analogiques. Je n’ai pas pris d’instruments numériques, parce que je préfère l’original à la copie. Les instruments analogiques ont fait l’histoire de la pop et, malheureusement, beaucoup ne sont plus fabriqués. Ils ont été recopiés de manière numérique, mais c’est comme pour le piano numérique: il y a un côté faux, trop froid, qui ne me plaît pas.
J’aime avoir de vrais outils, ne pas être dans le virtuel, pour la musique. J’ai besoin de ces claviers, de pouvoir manipuler les boutons… Les musiciens avec qui j’ai travaillé partagent ça. Nous avons beaucoup travaillé de manière électro-acoustique: on parle souvent d’électronique, mais il n’y en a pas tant que ça. Il y a surtout un travail sur la matière, à partir de sons acoustiques.

Le premier morceau, Alpha centauri renvoie à la fameuse musique du monolithe 2001: l’Odyssée de l’espace. Cette œuvre vous a-t-elle marqué?
Oui, le film a énormément compté, mais aussi le compositeur, György Ligeti, que j’ai déjà étudié pour mon bac. Cette musique atonale était censée être la musique du futur: c’est intéressant cette proposition de créer une nouvelle perception, une façon d’entendre les sons non pas de manière harmonique et tonale comme on en a l’habitude depuis des siècles, mais en supprimant tout ça pour parler de sensations et de matière.
Du coup, c’est devenu une musique élitiste, intemporelle, mais qui n’est pas celle d’aujourd’hui. Je l’associe à une sorte de futur intemporel. C’est intéressant aussi de remarquer que pour décrire quelque chose d’extraordinaire, d’extraterrestre, on utilise la voix humaine, les chants choraux.

A l’autre bout de l’album, Ma particule élémentaire renvoie à Houellebecq: un auteur qui compte pour vous?
Oui, je l’ai découvert dès son premier roman et même avant, avec ses recueils de poésie. C’est un des premiers auteurs à avoir fait entrer la physique quantique en littérature. Sa manière de regarder d’autres propositions de société m’a aussi intéressé. C’est quelqu’un qui cherche, qui interroge et qui est assez réaliste: il n’est pas dans ce divertissement. Il dit des choses dérangeantes: le fait que l’on soit en train de fabriquer une société basée uniquement sur l’argent et le sexe, c’est quand même assez vrai… On peut le déplorer, le critiquer, mais nous sommes vraiment en train de fabriquer une société de divertissement, qui fait qu’on a ces chiffres terribles: 1% de la population possède la moitié des richesses du globe.

On nous parle d’une crise alors que depuis un siècle, on a multiplié les richesses par 40! La vraie crise n’est pas économique et financière, elle est existentielle.

C’est vrai que l’on décrit souvent Houellebecq comme noir et pessimiste, alors qu’il est surtout observateur…
Oui… souvent on me dit aussi que j’ai une vision noire des choses… Je réponds que ce n’est pas moi qui ai commencé! On nous parle d’une crise alors que depuis un siècle, on a multiplié les richesses par 40! La vraie crise n’est pas économique et financière, elle est existentielle. Et les peuples opprimés, aujourd’hui, ont accès à l’information. Avant, en Afrique, on ne savait pas forcément ce qui se passait dans le reste du monde, comment les richesses étaient partagées. Aujourd’hui, tout le monde est au courant.
Il y a cette réalité du monde, ce qu’on est en train de faire à notre planète et le mal qu’on a à se projeter: on s’en fiche royalement de savoir comment les hommes vont vivre dans quatre ou cinq générations. Je pense que de la part de tous les dirigeants, il est très inquiétant de voir à quel point on se projette si peu et à quel point les scientifiques se plaignent de ne pas être écoutés

Avez-vous toujours eu cet intérêt pour la science et les scientifiques?
Plus ou moins, mais je l’ai creusé ces derniers temps. Peut-être parce que je suis déçu de la politique, où l’on pense très souvent à court terme. Les politiques de tous bords et de tous pays nous disent qu’on ne peut pas faire grand-chose, que les vrais décisionnaires sont économiques. Donc j’ai plus tendance à écouter les sociologues et les scientifiques, qui me racontent des choses plus sensées, qui donnent un sens à l’existence.marchetc
Parce que toute la question est là: quel est le sens de l’existence? Quelle est la position de l’homme dans l’univers? A quoi ça sert, tout ça? C’est ce qui m’a plu dans le boson de Higgs, qui est une des plus grandes découvertes de l’histoire de l’humanité: se dire à un moment donné qu’on participe au mouvement de l’univers en expansion, que nous sommes tous fait de cordes qui entrent en vibration, que ce soit les animaux, les plantes, les hommes, les choses… Et après la disparition, ces cordes continueront à faire autre chose. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, ce qui donne un sens à l’existence. Ça devrait nous rendre humbles, nous apaiser, mais il faut savoir ce qu’on en fait.

Parce que ça relativise la place de l’homme qui se croit toujours au centre…
L’homme est narcissique et autocentré… Dieu sait que je suis vraiment un novice, mais quand on dit aux gens que l’homme, un jour, ne sera plus sur terre, ils répondent: «Qu’est-ce que tu es pessimiste…» Alors que c’est une réalité. L’homme ne pourra pas rester sur la planète, même s’il devient raisonnable, parce que c’est quand même la seule espèce capable de s’auto-exterminer. Mais même s’il devient raisonnable, il restera moins longtemps sur la planète que ne le sont restés les dinosaures.
Ça, on a du mal à l’entendre… Comme le fait qu’un jour, la planète disparaîtra, le soleil aussi, même si c’est dans très longtemps. On pourra peut-être pendant un temps sauver Venise, mais on ne pourra pas empêcher la terre de disparaître. On ne pourra rien faire contre le mouvement de l’univers qui est en expansion et nous participons à ce mouvement-là. Ça devrait être quelque chose de beau, qui nous montre la mort et la disparition d’une autre manière…

Pour revenir aux concerts: comment allez-vous transposer tout cet univers sur scène?
J’aime m’installer dans un spectacle avec une histoire. Je ne me sens pas chanteur dans le sens tour de chant. Depuis le début, les thématiques, les réflexions autour de cet album ont été menées avec un ami, Guillaume Cousin, qui fait les lumières et les décors de mes concerts. Pendant l’enregistrement de l’album, on pensait déjà aux décors sur scène, à l’ambiance, à l’histoire qu’on va raconter. Pour moi, c’est très important, c’est ce qui me plaît aujourd’hui dans le métier de la scène. Faire un concert classique m’intéresse moins.

Il n’y aura donc pas d’anciennes chansons?
Si, à partir du moment où elles entrent en résonance avec les thématiques, dans une réflexion existentielle. J’ai quelques chansons comme ça et on va faire en sorte que les gens qui ont aimé l’album précédent ne soient pas déçus… Mais on va surtout raconter une histoire. J’espère toujours qu’en voyant le concert on ait une vision plus complète de l’album.

Ecoutez ici cet extrait de l’interview téléphonique de Florent Marchet 

 

Parce que c’est vrai qu’il y a le risque de passer à côté de ces réflexions en entendant juste le single à la radio…
Oui, mais ce n’est pas très grave. J’aime bien cette phrase de Bashung: «On entre dans une chanson par la musique, mais on y reste par le texte.» Pour la musique, c’est un peu injuste par rapport au cinéma ou à la littérature: un livre, les gens sont seuls pour le lire et ne vont pas zapper. Au cinéma, même si les comportements changent un peu, on reste en général jusqu’à la fin, concentrés pendant une heure et demie.
C’est devenu malheureusement rare que les gens se concentrent sur un album qui ne dure pourtant que 40 ou 45 minutes… Nous sommes dans une société qui zappe beaucoup plus la musique que les autres disciplines… Ce n’est pas toujours facile à vivre. Mais il reste des gens qui écoutent l’album dans l’ordre, qui entrent dans une histoire. On peut écouter les chansons séparément, sans toutes ces réflexions, mais j’avais envie que ça s’inscrive dans une histoire et une réflexion globale. C’est en tout cas ce que je propose.

Florent Marchet
Bambi Galaxy
PIAS / Musikvertrieb

notre avis: 3/4

En concert aux Francomanias de Bulle: www.francomanias.ch

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Posté le par Eric dans Chanson française, Francomanias, Musique, Présentation 2014 Déposer votre commentaire

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