L’onde Septimus, dommage, trop d’hommages

Soixante ans après sa publication dans le Journal de Tintin, La marque jaune tient enfin sa suite. Parmi les premières bandes dessinées du XXe siècle à ne plus s’adresser à un public d’enfants, elle aurait mérité mieux que cette pâlotte Onde Septimus.mortimer

par Christophe Dutoit

Depuis la mort d’Edgar P. Jacobs en 1987, la question ne cesse de diviser les puristes et les autres: fallait-il vraiment donner une suite aux aventures de Blake et Mortimer? N’aurait-il pas mieux valu que la série s’arrêtât avec Les 3 formules du professeur Satô, dernier tome d’une quête inachevée et, par là même, d’autant plus fascinante?

La question agite les mêmes rigoristes depuis la publication, début décembre, de L’onde Septimus, rien de moins que la suite de La marque jaune, le chef-d’œuvre de Jacobs, l’une des premières bandes dessinées du XXe siècle à ne plus s’adresser directement à un public d’enfants.

Revenons aux débuts des années 1940. Edgard Félix Pierre Jacobs est contraint d’abandonner ses rôles de chanteur d’opéra en raison du conflit mondial. Il se tourne vers l’illustration, rencontre Hergé en 1941 alors qu’il n’a jamais lu un album de Tintin et travaille pour le magazine Bravo. Son premier travail consiste à dessiner de «fausses» planches de Flash Gordon, car les originaux d’Alex Raymond ne franchissaient alors plus les frontières…

Jacobs n’hésite pas à décrire l’action en voix off à l’aide de longues didascalies verbeuses. Les textes de ses bulles sont denses et précis, quitte à être parfois traités de «bavards». Ou «littéraires», c’est selon.

Fondateur du Journal de Tintin
Quelques mois plus tard, Jacobs est engagé par Hergé et contribue au scénario des Sept boules de cristal et du Temple du soleil. Naturellement, il fait partie des fondateurs du Journal de Tintin et y publie les premières planches du Secret de l’Espadon en 1946. Très vite, le succès est tel qu’il fait de l’ombre au maître. Après Le mystère de la grande pyramide (1950-1952), le dessinateur bruxellois imagine sa prochaine aventure au cœur de Londres, où un étrange personnage vient de dérober la couronne royale…

ondeseptimusa

Le style de Jacobs se différencie alors de la production de l’époque. Il n’hésite pas à décrire l’action en voix off à l’aide de longues didascalies verbeuses. Les textes de ses bulles sont denses et précis, quitte à être parfois traités de «bavards». Ou «littéraires», c’est selon. Surtout, il découpe son histoire de manière très cinématographique et organise ses cases comme un story-board. Référence ultime, il fait signer ses crimes à «l’infâme» Olrik avec la même marque crayonnée que M le maudit, le chef-d’œuvre de Fritz Lang (1931).

Lorsque paraît la dernière planche de La marque jaune dans le Journal de Tintin en novembre 1954, certains lecteurs effarouchés jugent les dessins morbides et le récit angoissant. Quelques mois auparavant, Hergé avait lui-même censuré un projet de couverture où figurait un spectre effrayant, entre Fantômas et le Faust de Murnau. «Une répudiation peu élégante» que Jacobs ne pardonnera jamais au père de Tintin.

Parmi les BD les plus essentielles
Classée en 2012 par le magazine Lire au 4e rang des bandes dessinées les plus essentielles de l’histoire, La marque jaune aurait pu se contenter de son sort. Mais, à l’inverse des Tintin, dont le patrimoine est farouchement gardé par ses ayants droit, Blake et Mortimer vont survivre à leur géniteur. Depuis les années 1990, neuf tomes ont en effet été réalisés par divers scénaristes (Van Hamme, Sente) et une multitude de dessinateurs (Benoit, Juillard, Sterne, Aubin). Dernier en date, L’onde Septimus est l’œuvre de Jean Dufaux, connu pour ses séries Murena, La complainte des landes perdues ou Jessica Blandy.

Premier constat: inutile de se lancer dans cette nouvelle aventure sans avoir relu La marque jaune. En effet, Dufaux use et abuse de références à cette matrice. Et pas seulement elle, puisqu’on retrouve étrangement Tintin en personne à la cinquième planche, bloqué à un poste frontière sans doute en compagnie du capitaine Haddock (si l’on en juge au nombre de bouteilles). Au fil du récit, les allusions sont parfois si évidentes qu’elles frôlent l’incongru. Passons encore sur cette incontournable mission souterraine (L’affaire du collier, L’énigme de l’Atlantide), mais que fait donc cette soucoupe volante, héritée d’une improbable Guerre des mondes, influence commune à Jacobs et Dufaux?blake

A vouloir trop bien imiter Jacobs, Dufaux s’est perdu dans les limbes de son histoire. Pire encore (pour les puristes), il utilise la voix off de manière inintéressante et oublie au passage les expressions fétiches des deux héros, à l’exception d’un «by Jove» furtif. Auriez-vous imaginé James Bond ne sirotant pas un martini-vodka, «au shaker et pas à la cuillère»?

L’esprit de Jacobs en prend un coup
Un autre reproche sera sans doute adressé à Dufaux: à vouloir chercher à mieux comprendre la personnalité d’Olrik, l’un des méchants les mieux réussis du 9e art, il lui fait perdre toute crédibilité, jusqu’à cette case où le colonel se fait sortir du pétrin par Mortimer… Là encore, l’esprit de Jacobs en prend un terrible coup!

Avec une maîtrise qui fleure presque la contrefaçon, Aubin et Schréder rendent autant hommage à leur maître qu’ils offrent une nouvelle visibilité à cette «ligne claire» parfois considérée comme désuète dans la BD actuelle.

Finalement, heureusement que le dessin d’Antoine Aubin – secondé par Etienne Schréder – est en tout point respectueux de l’héritage de Jacobs. Hormis les dernières planches un peu sabordées, les deux auteurs restituent parfaitement les ambiances des docks londoniens ou de l’intérieur du Centaur Club. Avec une maîtrise qui fleure presque la contrefaçon, Aubin et Schréder rendent autant hommage à leur maître qu’ils offrent une nouvelle visibilité à cette «ligne claire», parfois considérée comme désuète dans la BD actuelle. C’est là une bien maigre consolation.

Jean Dufaux, Antoine Aubin, Etienne Schréder
L’onde Septimus
Editions Blake et Mortimer (Dargaud)

 

Posté le par admin dans BD Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire