Bertrand Cantat, un retour et des questions

Le premier album de Détroit, nouvelle formation de Bertrand Cantat, se révèle tour à tour poignant et anodin. Mais comment écouter sereinement cet Horizons précédé de tant de palabres?detroit

par Eric Bulliard

Faut-il en parler? Comment? Se contenter de la musique? Mais comment faire quand les échos du drame restent si présents, dans les esprits, comme dans certains de ses textes? Et, d’abord, devait-il revenir sur le devant de la scène? N’aurait-il pas dû se faire ermite à jamais? Et rajouter l’exil à la peine pour meurtre qu’il a désormais purgée? Qui sommes-nous pour en décider? Avait-il le droit de reprendre le seul métier qu’il connaisse, où il a toujours excellé? Jamais un album n’aura été accompagné d’autant de questions. Toutes légitimes, toutes insolubles.

Mais voilà. Bertrand Cantat est revenu. Dix ans après Vilnius, après l’impardonnable, l’ex-chanteur de Noir Désir sort un album en duo avec Pascal Humbert sous le nom de Détroit. Détroit, comme un passage vers autre chose, vers d’autres Horizons. Ça tombe bien, c’est le titre du disque. Détroit, avec des échos de «détresse», de «détruit». Détroit comme la ville jadis flamboyante, désormais ruinée. Oui Bertrand Cantat est revenu. Indécent, scandaleux, impudique? Peut-être. N’empêche qu’il y a un disque et un bon, à défaut d’être le chef-d’œuvre que l’on attendait (espérait?).

Rimes à deux balles
Horizons commence assez mal, avec Ma muse. Jeux de mots faciles, rimes à deux balles: «Ça m’amuse que tu sois ma muse / dis-moi si ça t’amuse aussi…» Fausse piste: on ne va pas beaucoup s’amuser et on n’est pas là pour ça. Suit un Glimmer un your eyes en anglais, qui donne un premier parfum de grands espaces américains. Une impression d’harmonica autour du feu accentuée par Terre brûlante et ses envies d’évasion. Dans cette envolée lancinante se fait évidente la patte de Pascal Humbert, ancien bassiste, entre autres, de Passion Fodder et 16 Horsepower.

Arrive alors le cœur de l’album. Celui qui ne lui sera pas pardonné. Le meilleur moment et le plus inconfortable. Entre deux brefs instrumentaux, trois chansons qui ne peuvent s’entendre sans références au drame que chacun sait. Ange de désolation («Dis moi, te souviens-tu des splendeurs nocturnes et des rires fous?») Horizon et Droit dans le soleil, superbe ballade dépouillée, sortie en single il y a quelques semaines.

Détroit et pas Noir Désir
Sommet de l’album, Horizon aborde sans équivoque l’enfermement, l’emprisonnement, l’accablement. «Combien de temps déjà, combien de temps passé / Dans ce tunnel sous la cour des cent pas éternels…» Une rage sourde parcourt ces vers, avant d’exploser, dans ces lieux où «il ne fait jamais nuit», en un bref déluge de guitares.

«Je sais qu’il faut se taire», affirme Bertrand Cantat, qui a choisi de parler quand même. «Qui de ma tête ou de mon cœur va / Imploser comme une étoile? Quel débris ou quel morceau de moi / D’abord te rejoindra, te rejoindra?» C’est poignant et dérangeant, magnifique et insupportable.

Avec ses cordes, son calme mélancolique, Horizons semble prolonger Des visages, des figures, dernier album de Noir Désir (2001). Seul Le creux de ta main renvoie plutôt au rock acéré de Tostaky ou de 666667 Club. La flamme en moins. Le refrain facile en plus.

Vers la fin, le groove de Sa majesté redonne un air d’originalité. La voix de Samaha Sam (de Shaka Ponk) vient souligner le texte le plus politisé de l’album. Alors que la basse puissante de Pascal Humbert rappelle que non, nous ne sommes pas chez Noir Désir.

«Les années perdues…»
Le chant de Cantat, si influent dans l’histoire du rock français, s’éraille à nouveau pour le pop-rock classique de Null and void, un air de légèreté dans la noirceur. Avant une conclusion qui, elle aussi, fait couler tellement d’encre: Détroit s’attaque à un classique parmi les classiques, l’une des plus belles chansons du répertoire francophone. Avec le temps, ici, ne prend pas seulement des airs électro discutables, mais, finalement, d’une lourdeur pas désagréable.

De toute manière, une fois encore, l’essentiel est ailleurs. Dans cet autre sens que prend chaque mot: «Et l’on se sent floué par les années perdues… par les années perdues…» répète Cantat. «Avec le temps, tout s’évanouit…» Vraiment? Avec le temps, comme un espoir de tourner une page. Ne pas oublier ni même pardonner. Simplement, un jour, peut-être, écouter à nouveau ses chansons pour elles seules.

Détroit
Horizons
Barclay / Universal

notre avis: ♥♥

 

 

 

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