Ces chansons à succès et leurs affriolants dessous

Trois spécialistes de la musique ont mis en commun leur connaissances et leurs souvenirs. Dessous de songs raconte l’origine et le destin d’une trentaine de chansons célèbres.whitestrip

par Eric Bulliard

Il y a là Leonard Cohen et Alain Bashung, Joy Division et Claude François. Mais aussi Chuck Berry, Serge Gainsbourg et Marvin Gaye. On y croise La Madrague, Search and destroy, Ziggy Stardust, Marcia Baïla… Une trentaine de chansons, de Lili Marleen (1944) à Sugar man (2012), se dévoilent dans un livre, Dessous de songs, qui vient de paraître aux Editions Ring.

Difficile de faire plus spécialistes que ces trois auteurs: Jean Fauque est connu comme parolier de Bashung et Dutronc; Marc Besse comme journaliste aux Inrockuptibles et biographe de Bashung et de Noir Désir; Jean-Daniel Beauvallet comme cofondateur et rédacteur en chef de ces mêmes Inrocks.

Du solide, donc, mais aussi un ton de critique rock parisiano-branchouille qui peut hérisser. Çà et là, seulement. Parfois, pas toujours. Et rien de bien grave, au fond: l’essentiel reste cette redécouverte de chansons plus que célèbres, cette passionnante plongée dans la petite histoire de ces immenses tubes.

Certes, nombre d’anecdotes sont connues, mais racontées avec un vrai sens de la narration. Comme cette création de Smoke on the water, qui suit l’incendie du casino de Montreux lors du concert de Frank Zappa, le 4 décembre 1971. Depuis sa chambre d’hôtel, Roger Glover voit «de la fumée sur l’eau». Richie Blackmore reprend à l’envers l’intro de la Symphonie N°5 de Beethoven pour créer le plus célèbre riff de l’histoire du hard rock. Celui qui, «depuis plus de quarante ans, hante les magasins de guitare, massacré ou joué approximativement par les guitaristes en herbe».

Stades, LSD et Godard
Parfois, le succès de chansons passe par des voies curieusement détournées, comme Seven nation army des White Stripes: son intro est devenue un hymne des stades depuis la victoire de l’Italie à la Coupe du monde 2006. Quant à l’incontournable Love is all (Roger Glover, encore), sait-on encore tout ce qu’il doit à Valéry Giscard d’Estaing?

Dessous de songs permet aussi de se souvenir que John Lennon avait promis Come together comme hymne de campagne électorale à Timothy Leary, apologiste du LSD, dont le slogan était Come together, join the party. Que Déshabillez-moi, chanté par Juliette Gréco, a triomphé parce qu’une radio a brisé la censure. Que les Stones n’auraient peut-être pas enregistré Sympathy for the Devil s’ils n’avaient promis de le faire devant les caméras de Jean-Luc Godard ou que Comme d’habitude de Claude François (écrite à la suite de sa rupture avec France Gall) est l’une des chansons les plus reprises au monde avec Yesterday.

Ces tubes de faces B
Dans les grands classiques, on trouve aussi les succès imposés par le public, que les producteurs ne voyaient pas venir. Comme Smells like teen spirit, de Nirvana, qui n’était pas le single prévu de Nervermind. Pareil pour Hurt, dernier succès de Johnny Cash (2002): cette reprise de Nine Inch Nails figurait «en face B du CD single» et se révélera grâce au clip de Mark Romanek.

Immédiatement célèbres ou révélées par les années, ces 31 chansons ont toutes des dessous affriolants. Pour leur rendre hommage, les trois auteurs se sont mués en «voyeurs armés de lampes de poche», afin de «ré-éclairer ces moments fragiles où les chansons se font et où elles finissent par déborder de leur lit en microsillons pour éclabousser des générations entières».

Marc Besse, Jean-Daniel Beauvallet, Jean Fauque
Dessous de songs
Ring, 384 pages

notre avis: ♥♥♥♥

 

Trois histoires de chansons à succès 

The Kids, Lou Reed (1973) 

Berlin PochetteLa plus triste. En 1973, perturbé par le succès de Walk on the wild side, Lou Reed sort Berlin. «Le chef-d’œuvre symphonique et siphonné d’un songwriter au sommet de sa cruauté et de sa démesure», écrivent les auteurs de Dessous de songs. Au milieu de cet album concept sur un couple miné par la drogue et la violence surgit The Kids: «La plus triste chanson de l’album le plus triste de tous les temps. La plus ignoble, cruelle et fascinante…»

L’album est enregistré à Londres dans des conditions chaotiques, sous la houlette de Bob Ezrin. «Nous étions fous à cette époque, racontera Lou Reed. Les mieux portants étaient seulement excentriques, certains au stade de la psy­chi­atrie. Dont moi.» Quant aux insoutenables pleurs de la chanson, la légende raconte que Lou Reed avait réuni les enfants de Bob Ezrin pour annoncer la mort de leurs parents… Le producteur rétablit la vérité: «Ça s’est passé à la maison et je me suis contenté de dire à mon plus jeune fils qu’il était l’heure d’aller se coucher…» 

 

Le Sud, Nino Ferrer (1975)

le-sudL’unique. «Une chanson comme celle-là, on en écrit une seule dans la vie», affirmait Nino Ferrer à propos du Sud. C’est un peu exagéré, puisqu’il a aussi écrit La maison près de la fontaine. Alors que, pour le grand public de l’époque, il restait surtout l’auteur de Mirza, des Cornichons, du Téléfon 

Merveille absolue de la chanson française, Le Sud s’est d’abord appelé South: Nino Ferrer l’a écrite en anglais, «presque par dandysme, pour ennuyer l’industrie du disque française étriquée». Il n’en démord pas, contre l’avis de sa maison de disques française, qui rompt son contrat. Le chanteur s’approche alors de CBS. Entre-temps, ses proches l’ont convaincu de tester une version française et c’est avec ces bandes-là qu’il débarque dans les studios du label américain. «Au fond de lui, il sait que sa chanson balance à merveille avec ces mots-là.» A sa sortie, un million et demi de personnes vont craquer pour cet «endroit qui ressemble à la Louisiane…» Beau à pleurer. 

 

Tostaky, Noir Désir (1992)

TostakyLa forge et la plume. Le rock français n’avait jamais connu un tel «manifeste sonique»: avec l’immense tube Tostaky, «radicalité retrouve la rime avec popularité». Contraction de todo es aqui (tout est là), cette formule en espagnol tourne dans la tête de Bertrand Cantat. En ce début 1992, le chanteur de Noir Désir revient du Mexique avec «un riff de guitare monté en spirale et un refrain en espagnol piquant comme une couronne d’épines le texte en français».

Pour «infuser aux chansons à venir une énergie différente», le groupe a cherché un nouveau studio. Ce sera le Woodhall, en Angleterre… sauf qu’il est trop petit: la conversion de pieds en mètres a porté à confusion. Le groupe se rend alors au Hook End Manor, manoir élisabéthain qui a appartenu à David Gilmour, guitariste de Pink Floyd. C’est dans ce lieu chargé que naît l’album qui «propulse le rock français dans une nouvelle dimension en maîtrisant ces deux disciplines si difficiles à entrelacer dans la langue de Voltaire: l’art de la forge et l’art de la plume». 

 

 

 

Posté le par admin dans Anglo-saxon, Chanson française, Musique Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire