Un Ramuz si présent, par le texte et par l’image

Alors que s’achève la publication de ses œuvres complètes, Charles-Ferdinand Ramuz est au cœur d’un livre iconographique. Photos, manuscrits et autres documents d’archives éclairent cette figure complexe.ramuza

par Eric Bulliard

On l’a appelé «le chantier Ramuz»: une quinzaine d’années de travail pour aboutir à 29 volumes de plus de 500 pages, aux Editions Slatkine. Le dernier, qui contient des textes inédits, paraît la semaine prochaine. En parallèle, la maison d’édition genevoise publie un album iconographique de fort belle facture, Vies de C.-F. Ramuz.

Avec d’innombrables photos et documents, le livre éclaire la figure aussi célèbre qu’insaisissable du «plus grand écrivain que la Suisse romande ait eu depuis J.-J. Rousseau», selon Marcel Raymond. En montrant «non plus une statue immuable et figée, mais un être vivant, contradictoire, parfois fuyant», écrivent Daniel Maggetti (directeur du Centre de recherches sur les lettres romandes, à Lausanne) et Stéphane Pétermann, (responsable de recherches à ce même CRLR).

Ramuz est avant tout un écrivain de style, un de ceux qui ont bousculé la langue, qui l’ont fouaillée, creusée, magnifiée.

Vies de C.-F. Ramuz revisite ainsi l’étonnante trajectoire de ce fils d’épicier lausannois, né en 1878, qui finira célébré en Suisse romande comme à Paris. Non sans controverses, culminant dans le fameux Pour ou contre Ramuz (1926), recueil collectif où écrivains et critiques se prononcent sur ce style révolutionnaire.

Un enfant de la ville
Parce que Ramuz n’a rien du romancier régionaliste que l’on a vu parfois. Il est avant tout un écrivain de style, un de ceux qui ont bousculé la langue, qui l’ont fouaillée, creusée, magnifiée. «Ecrivain français! S’il veut l’être, qu’il apprenne notre langue!» s’exclamait le critique Auguste Bailly. Le malentendu a longtemps persisté, alors qu’il s’appropriait simplement Le droit de mal écrire, selon le titre d’un essai de Jérôme Meizoz (1998).ramuzb

Le livre de Maggetti et Pétermann montre à quel point Ramuz s’est pensé et imposé en écrivain. A quel point il a façonné son image, lui le fils de bonne famille, enfant de la ville, intellectuel licencié ès lettres qui se revendiquait artisan, proche des paysans et des vignerons, avec des airs de «dandy rustique».

Au-delà de l’image, Ramuz a été reconnu par son talent. En Suisse romande, dès ses débuts, puis en France, dès qu’il publie chez Grasset (à partir de 1924). Il cumule les récompenses, dont la plus haute de Suisse, le Grand Prix Schiller (1936), et frôle le prix Nobel. Gaston Gallimard tente de le faire rejoindre sa maison, Mermod publie ses œuvres complètes dès 1940. Ses romans sont adaptés au cinéma, deux universités lui décernent un doctorat honoris causa.

Pas un amusement
Institutionnalisé de son vivant, Ramuz ne connaît pas de purgatoire après sa mort (1947): une fondation est créée à son nom, hommages et publications se succèdent. Jusqu’à la parution, en deux volumes, de ses romans dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade (2005) et de ses œuvres complètes chez Slatkine.

Très vite, Ramuz a décidé de vivre de sa plume, rappellent Maggetti et Pétermann. Grâce aussi aux collaborations à des revues et à un sens affûté de la négociation de ses droits. «Dès ses premières tentatives d’écriture, Ramuz fait preuve d’un sérieux et d’un professionnalisme qui en imposent.» Il écrit «en travailleur acharné et méthodique», choisit des papiers de qualité, sélectionne avec soin encre et crayons. L’écriture n’a rien d’un amusement.

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Evidemment, Vies de C.-F. Ramuz donne surtout envie de relire ses livres, de se replonger dans cette prose âpre et somptueuse. De redécouvrir la «conception tragique de la condition humaine qui affleure dans ces récits». Cette œuvre d’un écrivain complexe, qui se voulait modeste artisan tout en se révélant assez sûr de lui pour écrire dans une lettre de 1921: «Ma seule excuse est d’avoir essayé de faire quelque chose, alors que plus personne ne fait plus rien.»

Daniel Maggetti, Stéphane Pétermann
Vies de C.-F. Ramuz
Slatkine, 192 pages

 

 

 

 

 

 

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