Pearl Jam, ou l’art de vieillir après le grunge

Natif de Seattle, Pearl Jam sort son dixième album intitulé Lightning bolt. Alter ego de Nirvana à l’apogée du grunge, le groupe d’Eddie Vedder a réussi son pari de durer.pearljam

par Christophe Dutoit

Tous les artistes n’ont pas l’élégance de mourir jeu­ne. Imaginez James Dean vieux, Jim Morrison en tintèbin, Janis Joplin ridée… En 1994, Kurt Cobain se suicidait au sommet de sa gloire. Et, vingt ans plus tard, Pearl Jam sort son dixième album…

Meilleur ennemi de Nirvana à l’époque, le groupe d’Eddie Vedder n’en fut pas moins l’une des têtes de pont du mouvement grunge de Seattle, aux côtés de Soundgarden, Melvins, Mudhoney, Tad ou Screaming Trees. Sous les feux de la rampe au début des années nonante, la plupart de ces groupes ont préféré l’ombre underground à la lumière des stades. A moins qu’ils n’en aient simplement pas eu le choix.

Pearl Jam fait figure d’exception. Dès ses premiers concerts, le groupe convainc à large échel­le. Peut-être parce que sa musi­que est moins taillée à la hache. Sans doute parce qu’elle troque bien vite ses élans punk pour des comptines scoutes à chanter en chœur autour du feu. Et, surtout, parce que son chanteur Eddie Vedder transforme rapidement sa timidité presque maladive en une force de conviction infaillible. Pour peu, ce bel­lâtre mal rasé et ébouriffé passerait pour le gendre idéal auprès des femmes au foyer de moins de cinquante ans!

Du coup, il n’y a rien d’étonnant à ce que Pearl Jam publie cette semaine Lightning bolt, son dixième disque studio. Dès les premières notes de Getaway, la surprise fait cependant long feu. Le groupe est de ceux qui ont inventé la poudre, il ne va pas la réinventer à chaque fois!

Héritage punk assumé
Rien de grave toutefois. Mê­me avec moins d’originalité, les quadragénaires multimillionnaires pratiquent une musique bien plus intéressante que la plupart de la soupe actuelle. A l’image du brûlot Mind your manners, qui fait appel aux bons vieux plans punk hérités des Ramones, influence largement assumée par le groupe.

Ecouter un nouveau disque de Pearl Jam, c’est un peu comme voir le nouveau James Bond au cinéma: on s’attend aux grosses ficelles, aux passages incontournables, mais on est à chaque fois étonné de la manière avec laquelle la production revoit sa copie. Dans le cas de Lightning bolt, on pense forcément à Skyfall. Ou comment se renouveler sans se couper de ses racines et sans se redire.

Ritournelle venimeuse
Evidemment, Pearl Jam ne serait pas un groupe adulé s’il ne commettait pas autant de bonnes chansons. Prenez le très mélodique Sirens, qui doit tant au Mother de Pink Floyd. Avec sa voix grave et hantée, Eddie Vedder transforme cette ballade a priori anodine en une «petite chose fragile», une ritournelle venimeuse parfaite pour les grand-messes à venir.

Avec des titres très personnels comme My father’s son – et ses guitares imparables – ou l’aérien Pendulum, l’écriture d’Ed­die Vedder allie souvenirs personnels et cris du cœur, sphère intime et thèmes universels. Ce qui le place dans la grande lignée de leaders charismatiques comme Bruce Springsteen ou Michael Stipe. Si vous y ajoutez quelques compositions rassérénées (Future days) et un marketing affûté, vous obtenez la recette idéale pour bien vieillir après le grunge. Et, pour ceux que Pearl Jam énerve décidément trop, gageons que le fantôme de Kurt Cobain resurgira au printemps 2014 avec son lot de commémorations et de nouveaux inédits exhumés pour les fans irréductibles.

Pearl Jam
Lightning bolt
Virgin/EMI

 

Pearl Jam et Eddie Vedder en trois jalons

Ten (1991)

pjtenAU DEBUT. Pearl Jam sort son premier album le 27 août 1991. Deux semaines plus tard, Smells like teen spirit propulse Nirvana et le mouvement grunge sur toutes les radios du monde. Dans l’ombre du succès planétaire de Nevermind, la vague de Seattle s’invite au festin. Avec ses tubes Black, Jeremy et surtout Alive, Ten atteint les sommets du billboard et se vend (à ce jour) à près de dix millions d’exemplaires. Sur scène, le groupe d’Eddie Vedder devient une machine de guerre qui convainc spectateur après spectateur lors de prestations dantesques. A Zurich, lors de son premier passage en 1992, le groupe joue dans une salle trop petite et troque l’électricité sauvage pour un set acoustique enivrant (comme en témoigne le documentaire Twenty). Un premier tournant pour le mouvement grunge alors au faîte de sa notoriété. Quelques mois plus tard, Nirvana enregistre à son tour son MTV Unplugged in New York


Mirror ball (1995)

mirrorballDERRIERE NEIL YOUNG. En moins de trois albums essentiels (Ten, Vs. et Vitalogy), Pearl Jam parvient à se démarquer du phare Nirvana. Mais le suicide de Kurt Cobain, en avril 1994, marque un coup d’arrêt. Le groupe annule sa tournée et reprend – une semaine plus tard – le fameux Hey hey, my my de Neil Young, cité dans la lettre d’adieux du chanteur de Nirvana. Une complicité s’instaure alors entre Pearl Jam et le Loner, qui invite le groupe à jouer sur son prochain album, Mirror ball. La symbiose entre «le parrain du grunge» et les jeunes pousses de Seattle aboutit à un chef-d’œuvre bruitiste et sans artifices, que beaucoup considèrent comme le chant du cygne du grunge. Avec des titres emblématiques comme I’m the ocean ou Act of love, Neil Young gagne un nouveau public et Pearl Jam devient un incontournable groupe de stade.

 

Into the wild (2007)

intothewildEN SOLITAIRE. De plus en plus engagé sur le plan politique, Eddie Vedder part en campagne contre la réélection de George W. Bush, en 2004. Avec Bruce Springsteen, R.E.M. et d’autres, Pearl Jam s’efforce de réveiller les consciences le temps d’une série de concerts à travers les Etats-Unis. En vain. En 2007, le chanteur assagi signe la sublime bande-son d’Into the wild, le film bouleversant de Sean Penn. Accompagné du compositeur et guitariste Michael Brook, il n’a jamais été aussi proche du mythique Nebraska, le chef-d’œuvre acoustique du Boss. D’ailleurs, la comparaison ne s’arrête pas là: depuis quelques années, Pearl Jam multiplie en effet les concerts marathons, des performances en communion avec le public qui dépassent souvent les trois heures. Le temps du grunge est bien loin. Pearl Jam est désormais l’étendard du rock classique. Presque un vilain mot.

 

 

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