Gaëtan Roussel: chercher ailleurs, toujours

Quatre ans après Ginger, Gaëtan Roussel revient avec un deuxième album tout aussi inventif, Orpailleur. Rencontre avec un chanteur qui poursuit une voie personnelle, guidé par l’envie de ne pas se répéter.roussela

par Eric Bulliard

Comment vous sentez-vous au moment de sortir ce deuxième album solo? La réussite de Ginger crée-t-elle une pression supplémentaire ou au contraire l’assurance de celui qui a prouvé ses capacités?
Je ne me sens pas comme quelqu’un qui a prouvé quoi que ce soit. Je me sens impatient. Dans tout le processus qui a amené à ce disque, j’essaie de me mettre une pression qui est surtout liée à moi, à ce que je veux faire plutôt qu’à la manière dont les gens vont le prendre. Mais j’étais ravi que Ginger résonne et qu’ils aient envie de l’écouter et d’en parler. Au moment où j’ai commencé à travailler sur Orpailleur, je me suis surtout proposé de ne pas faire le même disque.

Sans que ce soit le même, il y a une continuité: d’ailleurs, vous l’avez annoncé à un certain moment comme la suite de Ginger
C’est vrai et il l’est, d’une certaine manière.  J’avais envie de prolonger certaines choses: je ne travaille pas forcément en faisant table rase ou avec la feuille blanche. Dans Orpailleur, il y a des choses que j’ai reconduites, comme le fait de travailler avec Julien Delfaud et Benjamin Lebeau. Et d’autres que j’ai essayé d’amener différemment. Des points d’appui ou de départ, comme l’envie de chœurs féminins ou de cordes qui se mêlent à la production. Et celle de ne pas laisser autant de place à l’anglais que dans Ginger, où c’était un élément fort, qui me proposait de faire une musique différente: le français sonne différemment, certains mots peuvent être répétés comme ci plutôt que comme ça, tout change avec la langue. Ne pas utiliser les mêmes ingrédients me permettait de ne pas faire le même disque, ce qui ne m’a pas empêché de me réappuyer sur certains éléments et certaines personnes, qui ont pu changer, en quatre ans. Je pense qu’on n’avait pas tout dit, avec Benjamin Lebeau et Julien Delfaud. Mais il fallait se le prouver: nous sommes allés en studio une première fois pour voir ce qu’il s’y passait et c’est en y allant qu’on s’est dit qu’on pouvait aller vers une collaboration sur l’ensemble du disque. Si ça n’avait pas été le cas, je pense que nous aurions eu la distance, la lucidité de nous dire: «On n’avance pas, on fait la même chose, et ça sera forcément moins bien, donc arrêtons.»

Avoir cette liberté-là, jouer avec les textes, les malaxer. C’était une règle du jeu, dans le sens vraiment ludique.

C’est important de travailler ainsi en équipe?
La démarche collective reste un élément fort de ma manière de travailler. J’aime cette idée, elle ne me quitte pas. Mais je n’avais pas envie par exemple qu’il y ait de featurings: je l’avais fait sur Ginger et là, j’avais envie de plus chanter. J’étais conscient que ça m’amènerait à ce que les textes soient plus présents. La forme allait se mettre en place différemment.

Les relations avec l’auteur, Pierre-Dominique Burgaud, comment se sont-elles mises en place?
Par hasard. Ça aurait pu être un point de départ, j’aurais pu me dire: «Il faut que je trouve un partenaire pour écrire des textes à quatre mains». Mais ce n’est pas ce que j’ai proposé. On a commencé à travailler sur le disque et j’ai rencontré Pierre-Dominique Burgaud sur un autre projet. Nous avons discuté, de fil en aiguille il m’a proposé des textes, sans savoir ce qu’ils deviendraient. Son champ lexical m’a plu, la démarche intellectuelle aussi et je lui ai demandé si on pouvait travailler ensemble.

Il est arrivé au milieu du processus et je lui ai demandé la possibilité de jouer avec ses textes, de les bousculer, de garder beaucoup de choses, mais d’agencer différemment, de mettre une phrase ou un mot de moi au milieu de deux mots de lui, des choses comme ça. D’avoir cette liberté-là, de jouer avec les textes, de les malaxer. C’était une règle du jeu, dans le sens vraiment ludique. Il a accepté et on a travaillé ensemble.

Le seul texte qu’on n’a pas fait comme ça, c’est La barbarie, le dernier: il m’a plu énormément, j’ai juste proposé de ne pas citer le mot barbarie, de n’en faire que le titre. Ce qui est intéressant, c’est que, finalement, mélanger ses mots aux miens ou les miens aux siens aurait pu créer des chocs, des choses pas forcément claires. Finalement, j’ai l’impression que ce principe a abouti aux titres les plus limpides, où le sujet est le plus clair, comme La simplicité, La poésie… Peut-être moins sur L’orpailleur… C’est assez rigolo, parce que ça m’a amené à un endroit auquel je ne m’attendais pas. J’étais volontaire pour y aller, parce que je ne connaissais pas.rousselb

Ce côté jeu, ludique est important, dans les musiques aussi…
Oui, mais ce n’est pas un album qui a été très ludique à faire: il n’a pas été simple à commencer… et pas très dur à finir. Parfois, c’est dur de finir quelque chose, là ce n’était pas le cas. Entre les deux, une fois qu’il ’était commencé, c’était ludique, oui, dans la manière de traiter les rythmes, les sons. Mais avec beaucoup de travail: ce n’était pas quelque chose qu’on prenait à la légère. J’avais envie que même s’il y a beaucoup de choses, elles apparaissent comme un travail d’orfèvre, minutieusement disposées. Sur Ginger, c’était plutôt des choses empilée et, parfois, quand on empile, tout à coup ça tient et on essaie de ne plus toucher… Là, c’était pas tout à fait le même travail.

Ces choses sotn disposées précisément, mais aussi en gardant l’idée de simplicité que l’on retrouve dans le morceau qui ouvre l’album: «La simplicité, c’est rien, mais c’est si compliqué…»
C’est un sujet qui m’a plu, sur lequel je n’avais jamais écrit. Quand ce mot, cette idée est arrivée, avec Pierre-Dominique, ça m’a donné envie d’y mettre mon grain de sel, mais je ne voyais pas comment, musicalement, ça pourrait prendre forme. En parallèle, je travaillais en studio avec Benjamin Lebeau. Est arrivé un petit son tout simple, tout bête et je me suis dit qu’il pourrait être le point de départ de la simplicité. Après, il fallait que la musique raconte autre chose: d’une certaine manière, elle est assez alambiquée. Il fallait qu’elle aille un peu à contresens des mots. De temps en temps, pour faire simple, ça prend du temps, on est perdu, donc c’est compliqué…
Le côté épuré m’attire: même si je n’arrive pas à prendre toute l’ampleur de ses textes, je crois que quelqu’un comme Leonard Cohen arrive à dire des choses très belles et très simples, alors que j’ai l’impression que ça doit lui prendre un temps fou… Mais il ne le fait pas porter sur nous, ce temps-là.

Une des surprises de l’album, c’est l’arrivée de ces rythmes dub, en particulier sur Par-dessus tes épaules…
Puisqu’on met des étiquettes, j’ai l’impression que c’est entre dub et trip-hop. J’ai toujours aimé Sandinista!, de The Clash, cette idée de s’approprier un style, de le faire sien m’intéressait. Je n’avais pas forcément été vers ce type de musique. Ce rythme-là est arrivé et j’étais fan d’un morceau de Major Lazer, Get Free, qui est un reggae synthétique. Il n’a rien à voir avec le morceau dont on parle, mais tout d’un coup, une idée passe et vous la retenez parce qu’elle vous rappelle quelque chose et vous avez l’impression de pouvoir en faire votre propre histoire. Encore faut-il la raconter à sa manière.

Vous avez parlé de faire sonner les mots: est-ce que le son peut devenir plus important que le sens?
Oui, à un moment donné, le son prend le dessus et il faut l’associer à un autre mot pour que ça prenne sens. J’accorde beaucoup d’importance à la sonorité des mots. J’ai toujours eu envie d’écrire des textes où chacun pouvait s’installer différemment. J’ai jamais écrit de textes qui parlent d’un sujet précis où l’on prend la main de l’auditeur pour le guider de A à Z… C’est un peu le cas dans ce disque, avec La barbarie ou La simplicité, mais le reste du temps, c’est plutôt des associations de sons qui m’intéressent et qui,  à force de les travailler, de rechercher, de les intervertir, prennent sens ou, du moins, proposent des images.

Ce qui passe aussi par des répétitions, des boucles lexicales…
C’est vrai, j’aime cette idée-là, ce côté transe. La répétition donne un autre sens aux mots, on les entend différemment. Elle fait aussi jouer de la musique différemment. C’est un exercice, une manière de proposer les mots qui m’intéresse. Dans Ginger, il y avait déjà des morceaux qui pouvaient tendre vers un côté hypnotique. J’aime ça, j’aime des gens comme LCD Soundsystem, qui jouent avec ce côté transe. Les mots peuvent y aider.

Même s’il y en a moins, il reste des phrases en anglais: comment arrivent-elles?
Surtout, elles n’ont pas été un ingrédient premier sur ce disque contrairement à Ginger. C’est un élément que j’aime: quand l’anglais se présente, c’est toute la musique qui se met à changer. Ça me permettait aussi d’introduire une autre couleur, puisque ce n’est pas moi, la plupart du temps, qui fait les voix en anglais. Dans Orpailleur, la question «Why are you looking for?» ne se promène jamais au même endroit ni au même moment. Le français se met alors à rebondir autrement. On est plus proche de la démarche de Ginger, là: c’est un pont que je fais avec le disque précédent. Je m’autorise cette langue, parce que ma culture est aussi très anglo-saxonne…

Vous chantez «en cas d’alerte ou d’incendie, pensez à avoir de la poésie»: la poésie peut-elle sauver le monde?
Je ne sais pas… La définition de la poésie n’est pas simple… Je trouvais la phrase évocatrice et elle permettait de se poser une question. Je trouve que la poésie peut faire du bien, la poésie. Elle peut être un baume. Une certaine élégance…rousselc

Il y a aussi un côté plus grave sur quelques morceaux: La barbarie, c’est presque de la chanson engagée, un genre particulièrement casse-gueule…
J’en suis conscient et je ne sais pas si moi, seul, je serais allé vers ce type de sujet. Mais je trouvais que Pierre-Dominique l’abordait de manière très fine et  j’avais envie de le chanter à ma manière. En proposant de ne pas citer le mot et de faire en sorte que si vous ne connaissiez pas le titre, on se demande de quoi je parle… Cette idée est intéressante. Après, ça propose une chose inhabituel pour moi: du premier au dernier mot, il n’y a pas d’ambiguïté sur le sujet, pas de possibilité de s’installer ici ou là dans la chanson. Elle parle de ça. J’ai l’impression d’avoir fait quelque chose que je n’avais pas fait avant.

En plus, elle a une douceur qui la rend d’autant plus effrayante…
Oui, je pense que c’est comme ça qu’il fallait la traiter. Quand j’étais en train de faire Orpailleur, j’avais quelques points comme ça, dont j’étais sûr et l’un d’eux était que je finirais l’album par une chanson assez douce, mais je ne savais pas encore que j’arriverais à l’associer à un propos aussi dur. Quand cette chanson est arrivé, je me suis dit à la fois que c’était important de faire exister ce texte et en plus il me donnait la possibilité sur la forme de clore le disque d’une manière plus forte que ce que j’avais pensé au départ. mais sous la forme d’une douceur qui n’en est pas une. Elle a donc pris sa place assez simplement dans le disque, une fois que le sujet était assumé.

A l’heure du téléchargement, c’est important de penser encore en terme d’album?
Je pense, oui, parce que ça reste un format qui permet d’exprimer des choses. Bien sûr, j’écoute aussi de la musique sous forme de listes de lecture, qui est aussi un format qui m’intéresse. Mais là, j’avais envie d’homogénéité. Ginger a été plus construit avec l’idée de liste de lectures, de choses qui s’entrechoquent. Le fait que d’autres personnes viennent chanter avait changé l’univers musical et l’identité vocale. Là, j’ai voulu faire autrement, en décidant par exemple qu’un des fils conducteurs serait ma voix. Ce format homogène, presque 33 tours, correspondait à ce que j’avais envie de faire.

Le titre Orpailleur, comment s’est-il imposé?
J’étais en studio depuis un moment avec mes camarades de jeu à chercher plein de choses, quand ce mot est apparu. Je me suis dit qu’il résumait bien ce qu’on était en train de faire. Nous étions des chercheur de sons. C’est un mot qu’on utilise peu et qui sonne super. Je me suis dit que c’était une chance de le croiser et de l’utiliser. Chercher des sons et essayer d’en faire quelque chose, c’est vraiment ce que j’aime ces temps. Et dans Orpailleur, il y a ailleurs et ça me plaisait, parce que j’essayais d’aller ailleurs. Il y a aussi l’idée de tamiser, de choisir sa trame, de voir ce qu’on va garder. C’est des métaphores qui valent ce qu’elles valent, mais qui me parlent.

Comment continuer toujours à chercher ailleurs, à se motiver pour remettre l’ouvrage sur le métier?
C’est la démarche qui me plaît. Pour l’instant, je préfère chercher que trouver… C’est compliqué, ça prend du temps et il faut accepter l’idée d’être un peu perdu. Mais il faut essayer de ne pas perdre ce qui a provoqué l’envie de chercher: un son, une mélodie… Parfois on me dit qu’il y a un côté artisanal dans le travail de construction des sons. C’est un terme que j’accepte: fabriquer, façonner une pièce, ça prend du temps. Mais il ne faut pas oublier pourquoi vous l’avez façonné.

Sur scène, vous avez déjà une idée de ce que ça va donner?
Un petit peu… Cet été, j’ai reçu une invitation des Francofolies de La Rochelle, pour une création autour d’un disque de Bashung, Play Blessures. Il a fallu se demander comment mettre en scène le concert. Est arrivée une idée de scénographie, avec des projections. J’ai goûté à cette idée que le concert peut aussi contenir quelques moments scénarisés et j’ai envie de tendre vers ça. Croisé avec le graphisme de l’album. M’éloigner un peu ce que j’ai souvent vécu sur scène, le côté rock, énergie, sans le perdre, parce que je l’adore… Là, on a du travail de résidence et on verra ce que ça provoque.

Question inévitable, pour terminer: qu’en est-il de Louise Attaque?
Inévitable en effet, c’est le terme! On a fait un best of, il y a un an et demi, qui a été l’occasion de se retrouver. C’était à un moment où j’avais prévu de repartir sur un deuxième disque, mes camarades le savaient. Eux aussi font d’autres choses: on en est là. Ce n’est pas d’actualité pour moi: j’ai ce deuxième disque, j’ai envie de tourner, de faire d’autres choses. Peut-être qu’une fois que j’aurai fini ça, on va rediscuter, mais maintenant que chacun est parti dans son coin, c’est plus compliqué, aussi bien pour des questions de plannings, que de fond, d’envies. A ce jour, ce n’est pas d’actualité.

Avec le recul, comment voyez-vous l’explosion incroyable de ce premier album de Louise Attaque?
Je vois surtout l’ensemble, la possibilité qu’on a eu de faire d’autres disques, en essayant d’avancer. Et de prendre le temps de se poser entre le deuxième et le troisième, parce qu’on sentait qu’on n’y arriverait pas, plutôt que d’en faire dans la foulée un troisième qui serait bof et un quatrième… Parfois je me dis qu’avec Louise Attaque, on a fait cinq albums, mais qu’il y en a deux qui ne sont pas sortis… Comme des albums imaginaires. Tant mieux, sans doute.

Après, cette explosion a été forte et pas prévue, mais nous l’avons traversée les pieds sur la scène, donc dans un élément qu’on connaissait un peu. Même si les scènes grandissaient, le nombre de personnes qui avaient envie de venir aussi. Il y avait un élément qu’on connaissait, dans ce grand truc qu’on vivait. C’était super de le vivre, mais, après, il fallait essayer d’en faire quelque chose.

Posté le par Eric dans Chanson romande, Francomanias, Musique, Présentation 2014 Déposer votre commentaire

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