Daniel Darc, Orphée junkie

darcchapelleLe 28 février 2013, la vie a définitivement gagné son combat avec Daniel Darc. Non sans que le chanteur parisien ait eu le temps d’enregistrer un ultime album, dont la sortie posthume est prévue pour le 30 septembre 2013.

par Christophe Dutoit

A l’instar de Michel Polnareff, Daniel Darc en était sûr et certain: «Quand je mourrai, j’irai au paradis / C’est en enfer que j’ai passé ma vie.» Corps fatigué par plusieurs décennies d’addiction aux drogues, le chanteur parisien a fini par succomber, le 28 février dernier, à un mélange fatal d’alcool et de médicaments. Il avait 53 ans.

Avant de trinquer avec Gainsbourg et Bashung dans ce paradis si convoité, Daniel Darc a eu le temps d’enregistrer un dernier disque, Chapelle sixteen, à sortir lundi. Trois jours avant sa mort, il avait encore discuté du «choix final des chansons, de leur ordre de passage, de leurs couleurs instrumentales» avec Laurent Marimbert, qui avait déjà réalisé La taille de mon âme en 2011 et qui s’est chargé de parachever son œuvre.

Dès les premières notes des Trois singes, un relent sonore de chants d’églises et ces paroles christiques psalmodiées: «Tomber à genoux / Pourquoi m’as-tu abandonné.» Le ton est donné, symphonique, tonitruant, exubérant. En dialogue avec l’au-delà, Daniel Darc est bien vivant, écorché mais survivant, martyr et miraculé de la cause rock. «Je crois en ce que je fais et le rock’n’roll m’a sauvé la vie, nous avait-il avoué en décembre 2011. Il me l’a peut-être raccourcie, mais il me l’a sauvée.»

Une voix si douce
Il enchaîne avec Un peu de place au paradis, toutes guitares dehors, comme au bon temps du glam-rock, puis Sweet sixteen, brûlot énervant, susurré d’une voix si douce. Une ritournelle entêtante, qu’on aurait bien vue transposée sur scène, peut-être avec Bertrand Burgalat et son AS Dragon, comme il en était question. Tant pis.

Les chansons se succèdent, toujours avec l’histoire du rock en arrière-plan. On y croise Elvis sur Un peu de sang. «On ne peut pas être Elvis, c’est inatteignable. Mais on peut viser Gene Vincent. Surtout si on est français, je pense. Notre amour des losers.»

Cette pensée, Daniel Darc l’a partagée avec le journaliste Bertrand Dicale, qui préparait une biographie du chanteur. Inachevés, ces entretiens ont été publiés cet été sous le titre Tout est permis, mais tout n’est pas utile.darclivre

Gainsbourg, le déclic
On y apprend que son père était alcoolique et que sa grand-mère, prise dans la rafle du Vel’d’Hiv’, a été gazée à Auschwitz en 1942. Joli début. Puis que le jeune Juif aurait voulu être rabbin ou pasteur et que le jour où il a entendu pour la première fois Sous le soleil exactement, il a décidé irrévocablement: «Je veux faire ça.» Avant d’avouer que Gainsbourg est l’un des seuls artistes dont il n’a jamais volé les disques…

Car le jeune homme a mal tourné. Né Daniel Rozoum, il prend à la fin des années septante le pseudo de la belle Mireille du Grand Blond avec une chaussure noire. Place Blanche, il fraye avec Sid Vicious, le décadent bassiste des Sex Pistols. A la télé, il chante Cherchez le garçon avec son groupe Taxi Girl, «une grande fumisterie», jugera-t-il plus tard.

Fan de William S. Burroughs et de Jim Morrison, il se rêve en guitariste junkie. «Mais je n’ai jamais réussi à être guitariste», aimait-il à rappeler. Dès 1978, sa vie part en vrille. L’héroïne entre en jeu, pour une lente descente aux enfers – il se taille les veines sur la scène du Bataclan en première partie de Talking Heads – qui aboutit à la prison de Bois-d’Arcy, durant l’hiver 1990. Un mois ferme.

«Doué pour le malheur»
«Je me suis toujours trouvé doué pour le malheur», écrit-il avec cette sincérité lucide qui a fait de lui l’une des figures les plus attachantes de la chanson française. «Les gens aiment voir crever le torero», dit-il en référence à ses années de déchéance.

Mais, après avoir touché le fond, il rejoue le mythe d’Orphée, rescapé des Enfers. Il écrit pour Best, il traduit les poètes beat et il a même failli être nègre pour le feuilleton Maguy avec Rosy Varte. Ressuscité en 2004 avec l’album Crèvecœur, Daniel Darc revient enfin à la vie. «Je ne fais pas ce métier pour les autres, je le fais pour moi. C’est la seule chose où je peux être utile.»

Pendant ce temps, Chapelle sixteen continue de tourner, entrecoupé de Variations, des chutes de studio fragiles comme un murmure. Toujours avec son envoûtant parler/chanter, Daniel Darc raconte ses histoires d’amours échues (La dernière fois), souvent soutenues par des violons faussement sucrés (Ita bella, dramatique évocation de sa grand-mère) ou un piano mélancolique (Les enfants, longue improvisation qui clôt l’album sur une note très sombre).

L’écoute de Chapelle sixteen s’achève sur un second disque où figurent les maquettes qui n’ont pas eu l’heur de suffisamment plaire au chanteur. Leur goût n’en est que plus amer. Cet ultime album aurait mérité un autre qualificatif que posthume. Ensorcelant peut-être. Ou crépusculaire. «Je trouve élégant de se suicider quand on va bientôt mourir», aurait dit un jour Daniel Darc dans un accès de crânerie. Dommage, finalement, que la vie soit quand même plus belle que la mort.

Daniel Darc, Chapelle sixteen, Sony Music
Daniel Darc – Tout est permis, mais tout n’est pas utile, entretiens avec Bertrand Dicale, Fayard

 

 

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