La dynastie Boissonnas enfin ressuscitées

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Ce tirage issu des archives Boissonnas montre les travaux de pavage à Gruyères durant le dernier quart du XIXe siècle. © atelier Boissonnas /BGE-CIG

En 2011, la ville de Genève achetait – pour 2 millions de francs – les archives photographiques de la «dynastie» Boissonnas. Un livre et des portes ouvertes célèbrent cette importante redécouverte.

par Christophe Dutoit

En 1983, Nicolas Bouvier écrivait: «J’ai vu ressurgir, comme dans le bac du photographe, les images d’un monde révolu auquel mes plus anciens souvenirs me reliaient par un fil ténu.» Dans sa préface de Boissonnas. Une dynastie de photographes 1864-1983, l’écrivain-voyageur signait un éloge majestueux, dix-huit mois après avoir été le chef d’orchestre de la seule grande rétrospective consacrée à cette famille de photographes genevois qui ont rayonné au-delà du bout du lac.

Trente ans plus tard, le nom Boissonnas sort enfin de son purgatoire. Le week-end prochain, le Centre d’iconographie genevoise propose une «mise en bouche» et lève le voile sur cette collection héritée de quatre générations de photographes, que la ville de Genève a acquise en 2011 – après vingt-cinq ans de négociations – pour la somme de 2 millions de francs. En parallèle, Estelle Sohier et Nicolas Crispini publient Fred Boissonnas – Usage du monde et de la photographie, une première approche scientifique de ce fonds rarissime au niveau européen.

Car ces archives, conservées soigneusement au sein de la famille, affolent par leur ampleur et leur intégrité. On y recense 93000 négatifs – avec leur sujet clairement identifié – 27000 tirages papier et, cas exceptionnel, plusieurs centaines de documents d’archives personnelles (factures, correspondance, etc.). Seule manque à Genève la partie grecque du fonds (12500 tirages et 4500 négatifs), acquise durant les années 2000 par le Musée de la photographie de Thessalonique et récemment classée «monument mobile» et «patrimoine inaliénable de l’Etat».

Stuttgart et Budapest
L’histoire des Boissonnas remonte à Henri-Antoine, qui ouvre en 1866 un premier atelier de «peintre-photographe» au cœur de Genève. Dans les années 1880, il passe la main à son fils Fred, qui a appris le métier auprès de grands studios à Stuttgart et à Budapest.

Sur les pas de son père, Fred Boissonnas gagne ainsi de nombreuses récompenses internationales, notamment un Grand Prix à l’Exposition universelle de Paris, en 1900.

Durant les années 1890, sa technique est désormais à son firmament. «Grâce aux plaques orthochromatiques mises au point pas son frère Edmond-Victor, Fred Boissonnas parvient à faire ressortir le Mont-Blanc à l’arrière-plan d’un paysage genevois, ce qui lui vaut une grande réputation», explique Nicolas Crispini, qui a expertisé le fonds au moment de son acquisition par la ville de Genève.

Sur les pas de son père, Fred Boissonnas gagne ainsi de nombreuses récompenses internationales, notamment un Grand Prix à l’Exposition universelle de Paris, en 1900. Ces honneurs lui valent un tel succès commercial qu’il ouvre bientôt des officines à Paris, Lyon, Marseille (où il reprend l’atelier de Nadar) et même Saint-Petersbourg.

A Paris, les «tableaux» photographiques de Fred Boissonnas sont empreints de pictorialisme alors très en vogue et d’une touche de symbolisme suisse, à l’image de ses Colchiques, où il met en scène des nymphes dans une prairie couverte d’une brume lumineuse, dans le but de «convaincre les sceptiques qui dénient à la photographie tout pouvoir de faire œuvre d’Art».boissonnasfaust

Malgré ses réussites indéniables, Fred Boissonnas traîne la blessure de ne pas être reconnu pour ses travaux artistiques. D’ailleurs, il se posera toujours en porte-à-faux entre son ambition artistique et sa vision d’entrepreneur, qui prend des risques en affaires au point de faire faillite en 1929.

Deux livres exceptionnels
Cette dichotomie trouve son aboutissement lors de ses voyages en Grèce et en Egypte, où il se rend notamment en compagnie de son ami Daniel Baud-Bovy, fils d’Auguste Baud-Bovy, le propriétaire du château de Gruyères. Il publie alors ses chefs-d’œuvre, En Grèce par monts et par vaux (1910) et Des Cyclades en Crète au gré du vent (1919), deux volumes exceptionnels par leur taille (51,5 cm de hauteur et 17 kilos), leur papier artisanal et leur tirage limité à 230 et 160 exemplaires. Deux sommets de l’art de Boissonnas, que le public pourra découvrir jeudi et samedi prochains*.

Quant au fonds lui-même, il a récemment été déplacé dans les sous-sols du Centre d’iconographie genevoise (CIG). «Il convient prochainement de reconditionner les négatifs, en sauvegardant les informations manuscrites sur les pochettes», explique Nicolas Schätti, conservateur du CIG. Cet immense travail, urgent, permettra ensuite l’étude plus approfondie de la collection, qui sera peu à peu numérisée et mise à disposition sur internet, où mille images ont été déposées cette semaine.

Estelle Sohier et Nicolas Crispini, Fred Boissonnas – Usages du monde et de la photographieGenève Georg Editeurs.

*Genève, Centre d’iconographie genevoise, portes ouvertes les jeudi 27 juin (17 h-19 h) et samedi 29 juin (13 h 30-17 h 30). Infos: www.ville-ge.ch/bge/boissonnas

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