Wiley Cash, secrets et violences dans l’Amérique profonde

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Wiley Cash s’est souvenu de son enfance dans un village de Caroline du Nord pour écrire son premier roman. Où une communauté est brisée par un sulfureux pasteur.

par Eric Bulliard

Un village perdu, dans les Appala­ches. Marshall, Caroline du Nord, début des années 1980. Nous voici en pleine Amérique profonde, celle qui vit au rythme des saisons, où les enfants jouent au bord de la rivière, où une mauvaise récolte de tabac peut mettre en danger toute la famille. Où l’on va à l’église, fidèlement. Une Amérique sans histoire, jusqu’à ce que surgisse un nouveau pasteur, aux méthodes peu conventionnelles.

Au premier abord, il y a comme un air de déjà-vu dans Un pays plus vaste que la terre, premier roman de Wiley Cash. Un air de grands espaces, de ruralité rugueuse, que la littérature a régulièrement exploré depuis William Faulkner et Flan­ery O’Connor. Ajoutons-y une touche d’enfance qui renvoie à Harper Lee (Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, devenu Du silence et des ombres au cinéma) et un pasteur maléfique rappelant celui que joue Robert Mitchum dans La nuit du chasseur. Nous voici en territoire connu, dans une atmosphère moite et angoissante.

A son arrivée à Marshall, le pasteur Carson Chambliss décide d’exorciser le mal qui possède la région et ses habitants. Avec violence, s’il le faut.

L’habileté de Wiley Cash permet toutefois de rapidement dépasser cette première impression. D’abord par l’émotion qui se dégage de cette histoire, fût-elle assez convenue: à son arrivée à Marshall, le pasteur Carson Chambliss décide d’exorciser le mal qui possède la région et ses habitants. Avec violence, s’il le faut. Jusqu’au drame, la mort d’un enfant. Accidentelle?

Jusqu’au fanatisme
Cette histoire, Wiley Cash la dévoile à travers les récits entremêlés de trois narrateurs. Adelaide Lyle, vieille dame célibataire, est la première à se méfier de Chambliss au point de quitter son Eglise du Christ aux miracles. Le petit Jess Hall, lui, observe le monde du haut de ses neuf ans, alors que son frère muet (autiste?) est pris dans les griffes du pasteur, qui entend lui rendre la parole. Enfin, le vieux flic Clem Barefield traîne avec lui la douleur d’avoir perdu son fils, vingt ans auparavant. Un drame qui, dans une communauté où tout se rejoint, a un lien avec le grand-père de Jess.

A partir de ces trois points de vue, Wiley Cash tisse une histoire tragique sur fond de croyan­ce naïve, poussée jus­qu’au fanatisme et à la folie. Il brouille la chronologie avec une habileté redoutable, joue avec les registres de langue, dévoile peu à peu des personnages extrêmement forts, multiplie les thèmes secondaires, comme la relation père-fils ou les ravages de l’alcoolisme dans ces terres reculées.

«Le Sud que je connais»
Best-seller aux Etats-Unis (où le New York Times l’a classé parmi les 100 meilleurs livres de l’année, tous genres confondus), Un pays plus vaste que la terre trouve ses racines dans la jeunesse même de Wiley Cash, né en 1977. Sur son site officiel (www.wileycash.com), il avoue que les «trois narrateurs représentent [son] expérience de jeune homme élevé en Caroline du Nord au sein d’une Eglise évangélique».

Comme toujours en littérature, les liens entre l’œuvre et ce que l’auteur a réellement vécu n’ont pas forcément grand intérêt.

Comme toujours en littérature, les liens entre l’œuvre et ce que l’auteur a réellement vécu n’ont pas forcément grand intérêt. Sauf celui d’expliquer son sens du détail, la précision de ses descriptions, quand il évo­que les champs de tabac, les lucioles qui voltigent en une «grap­pe de minuscules lumiè­res» ou les morceaux de quartz rose que l’on trouve parfois, là-bas, au bord de la rivière. «J’ai voulu recréer le Sud que je connais», explique-t-il dans sa bio officielle.

Ce Sud, c’est aussi celui de communautés silencieuses, où la violence se répand en sourdine avant, parfois d’exploser brusquement. Une violence qui s’en prend souvent aux plus faibles, à l’image de Stump, l’enfant muet qui aimait collectionner cailloux et bouts de bois.

Wiley Cash
Un pays plus vaste que la terre
Belfond, 300 pages

notre avis: ♥♥♥

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