Barcella, jongleur de mots et d’humeurs

Avec son charisme et sa finesse d’écriture, Barcella a tout pour séduire le public d’Espace Gruyère. Entretien avec ce jeune chanteur qui a grandi entre Bourvil et le rap.barcellableu
par Eric Bulliard

Si on devait parier sur la révélation des Francomanias, on mettrait une pièce sur Barcella. Ce Français de bientôt 32 ans a tout pour lui: le charisme, l’aisance, l’énergie et une finesse d’écriture pas si commune chez les jeunes chanteurs actuels. Le mercredi 8 mai, il partagera la grande scène d’Espace Gruyère avec Bénabar et Mickael Miro.

Sorti il y a un an, son deuxième album, Charabia (Sony Music), passe de la gravité au rire, de la nostalgie de l’enfance (L’âge d’or) à l’émotion de La symphonie d’Alzheimer. Entretien avec Mathieu Ladevèze (qui a pris pour nom de scène celui de jeune fille de sa mère), auteur-compositeur-interprète qui défie toutes les étiquettes et se réfère autant à Bourvil et Brassens qu’à Oxmo Puccino.

Vous arrivez à Bulle précédé d’une excellente réputation d’homme de scène: comment concevez-vous cet aspect du métier?
Je conçois la scène comme un échange, une manière de danser avec les curieuses et les curieux qui viennent nous voir. Du coup, c’est empreint d’une forme d’interaction originale d’un concert à l’autre. Je ne la vois pas comme quelque chose de démonstratif où l’artiste vient montrer ce qu’il sait faire. L’essentiel reste ce qui se passe dans les yeux des gens, dans ce qu’ils vont nous rendre, à moi et à mes musiciens. Il y a une trame écrite, pour nous rassurer, mais je laisse une grande part à l’improvisation et à l’imprévu: une réaction, une personne qui a un rire particulier, une erreur que nous pouvons commettre… J’aime bien l’expression «homme de scène», parce que j’ai commencé sur les planches. Le reste, les disques, par exemple, s’est greffé ensuite.

Vous êtes musicalement très éclectique: n’est-ce pas une forme de handicap, commercialement parlant, à une époque où on aime les étiquettes?
Je suis heureux si on n’arrive pas à définir ce que je fais… Mais je reste dans la grande famille de la chanson à texte. Cet éclectisme, à mes yeux, constitue une richesse. Grâce à lui, j’ai un public – en tout cas en France – familial, formé de trois générations. C’est ma plus grande fierté: la majorité des personnes qui viennent me voir ont entre 25 et 35 ans, mais il y a aussi des enfants et des plus de 50 ans, qui ont été marqués par des chansons comme La symphonie d’Alzheimer ou Mémé.

J’ai été autant nourri par les chansons qu’écoutaient mes parents, avec une vraie tendresse pour Bourvil, Brel, Brassens, Ferré, Barbara et, en même temps, j’ai grandi avec une culture urbaine, en écoutant IAM, Oxmo Puccino et d’autres artistes de rap.

L’éclectisme a dessiné mon identité artistique: au départ, je suis sorti du lot grâce à ce côté touche-à-tout, un peu explorateur. Je n’ai pas du tout envie de le refréner, au contraire, je le cultive. Il s’inscrit dans ce que sont les trentenaires aujourd’hui: j’ai été autant nourri par les chansons qu’écoutaient mes parents, avec une vraie tendresse pour Bourvil, Brel, Brassens, Ferré, Barbara et, en même temps, j’ai grandi avec une culture urbaine, en écoutant IAM, Oxmo Puccino et d’autres artistes de rap. Je vois de la poésie dans tous ces domaines, que j’essaie de concilier autour de quelque chose de cohérent.

On sent que vous avez un vrai goût des mots, avec une envie de les faire sonner: est-ce dû à l’école du slam?
Le slam, c’est une jolie parenthèse poétique dans ma carrière de chanteur, mais je n’en ai fait que deux ans. L’intérêt, c’est que je pouvais tester mes textes, sans la musique. Du coup, je décelais des failles, je voyais ce que je devais retravailler, quand les gens piquaient du nez. Après, la musique me manquait énormément, parce qu’elle vient servir l’émotion.

Mais c’est vrai que j’aime déguster les mots. Je pense que ça vient de ma mère, qui est prof de lettres et qui m’a donné le goût de l’écriture. J’avais organisé la conférence de presse pour la sortie de mon album Charabia avec Philippe Mille, un chef étoilé, qui avait réalisé un plat en fonction de chaque morceau à l’écoute. Entre mots et mets, il n’y a qu’une lettre qui change!

Comment faites-vous pour user de mots vulgaires sans l’être, comme dans Salope ou Cerise et son «je suis blonde et je vous emmerde…»?
Je suis absolument contre la vulgarité gratuite: je déteste l’idée d’utiliser un mot lorsqu’il n’a pas de sens, juste pour faire du buzz. Mais les gros mots restent des mots avant tout et les utiliser dans leur sens me va très bien. Salope est une chanson qui traite de la douleur. Je me suis dit: «J’ai une lettre à écrire à ma douleur, qu’est-ce que je pourrais écrire?» Pour «je suis blonde et je vous emmerde», je suis un peu un enfant de Brassens: c’est une vulgarité légère…

Vous faites souvent référence à l’enfance, avec une forme de nostalgie…
Disons que je sors doucement de mon syndrome de Peter Pan… C’est quelque chose qui a nourri les deux premiers albums, La boîte à musique et Charabia. Pour avoir mené des ateliers d’écriture avec des enfants, je trouve que leur naïveté génère une vraie poésie. Ils inventent des choses intéressantes: un petit m’a parlé d’une centrale nucléaire en disant que c’était une fabrique à nuages! Un autre m’a dit: «Il pleut des corners!» Et mon enfance a été une période heureuse, dans laquelle j’aime bien me replonger. Peut-être aussi par peur de l’avenir…

Ce qui n’empêche pas les références aux personnes âgées, comme La symphonie d’Alzheimer et Mémé
Barcella, c’est d’origine italienne. J’ai grandi en voyant ma grand-tante et ma grand-mère, qui parlaient beaucoup avec les mains. J’ai gardé cette idée d’imager les choses avec les mains… J’ai aussi été touché par les positions des seniors dans notre société et j’ai eu envie de traiter ce sujet, parfois avec pudeur, parfois avec colère. J’ai travaillé en maison de retraite sur le souvenir, avec des personnes qui commençaient à perdre la mémoire. J’ai écrit La symphonie d’Alzheimer par rapport à ça. Après, pour qu’un morceau comme celui-ci ressorte, il en faut d’autres plus légers, comme Cerise, ou T’es belle. J’essaie de faire des chansons qui sont le reflet de ce que nous vivons tous. La vie est intéressante dans ses reliefs, dans les différentes émotions qu’elle balaie.

En concert aux Francomanias de Bulle, le mercredi 8 mai. www.francomanias.ch

 

Posté le par Eric dans Chanson française, Francomanias, Musique Déposer votre commentaire

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