Iggy Pop, pierre angulaire de l’histoire du rock

Quarante ans après la sortie de Raw power, Iggy Pop & the Stooges refont surface avec un nouvel album, Ready to die. Un disque parfaitement inutile, mais hautement indispensable pour comprendre la place de ce groupe dans l’histoire de la musique.
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par Christophe Dutoit

Peut-on être et avoir été? Telle est la question philosophique qui nous hante à l’écoute de Ready to die, le nouvel (!) album d’Iggy & The Stooges. En effet, peut-on être aujourd’hui Iggy Pop, icône décatie de la mode parisienne, chevalier des Arts et Lettres et crooner cabotineur, après avoir été Iggy Pop, parrain du punk, inventeur patenté du saut dans le public et figure majeure de la provocation rock’n’roll? Non et oui…

Reprenons dans l’ordre. En 1967, James Osterberg joue dans des groupes de blues d’Ann Arbor, Michigan, dont les sous-estimés Iguanas, auquel il emprunte bientôt son nom de scène. Très influencé par Keith Richards, le guitariste des Stones (quel beau tandem de survivants!), il veut pousser le bouchon plus loin et recrute une bande de faire-valoir (stooge en argot), les frères Scott et Ron Asheton et le bassiste Dave Alexander.

Le rock au sommet
Deux ans plus tard sort leur premier album, The Stooges, enregistré par John Cale, le violoniste du Velvet Underground. Premier titre, premier choc: «Well it’s 1969 OK / All across the USA / It’s another year for me and you / Another year with nothing to do» («On est en 1969 OK / Partout aux USA / Encore une année pour toi et moi / Encore une année à ne rien foutre»).

Marqué par un concert des Doors, Iggy se transforme en loup-garou urbain, harangue les spectateurs, se lacère le torse avec des débris de verre ou se fait un malin plaisir à choquer les prudes en leur montrant généreusement ses parties génitales.

Sur scène, la rage est encore plus violente. Marqué par un concert des Doors – «si Jim Morrison peut le faire, alors moi aussi» – il se transforme en loup-garou urbain, harangue les spectateurs, se lacère le torse avec des débris de verre ou se fait un malin plaisir à choquer les prudes en leur montrant généreusement ses parties génitales. Le rock est au sommet.

Mais l’album ne se vend pas et les critiques sont déplorables. Idem pour Funhouse, le deuxième opus sorti en 1970. Par chance, le groupe est repéré l’année suivante par un jeune chanteur anglais qui traîne son glam rock dans les bas-quartiers de Manhattan. David Bowie et Iggy Pop deviennent potes et signent Raw power, chef-d’œuvre incompris sur le moment, mais indispensable aujourd’hui. Malgré sa fulgurance, The Stooges partent à vau-l’eau dans la déchéance, la folie et les drogues. L’histoire aurait pu (dû?) s’arrêter là.

Cet être demi-nu, sec comme une trique, beau comme un dieu disent certain(e)s, qui mime le coït sur un ampli Marshall après trente secondes de concert et vocifère des insanités au public qui en redemande.

Entre-temps, Iggy Pop s’est refait une santé. D’abord aux côtés de Bowie, mais surtout sur scène, où il continue durant trois décennies à incarner l’animal qui est en lui, cet être demi-nu, sec comme une trique, beau comme un dieu disent certain(e)s, qui mime le coït sur un ampli Marshall après trente secondes de concert et vocifère des insanités au public qui en redemande. Relancé par des apparitions mythiques au cinéma (le fameux Coffee & cigarettes avec Tom Waits), il gagne dans les années 1990 une nouvelle notoriété auprès de la génération Y, fascinée par cet ange rebelle et indomptable.
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Pathétique?
En 2003, Iggy Pop se rabiboche avec les frères Asheton et reforme ses mythiques Stooges. Après la mort de Ron, en 2009, il rappelle même James Williamson, le guitariste de Raw power, devenu dans l’intervalle vice-président de Sony Electronics (!). Sur scène, la bête est meurtrie, moins souple, moins féline. Ses chairs s’affaissent. Certains osent le terme «pathétique». Oui et non.

Revenons à notre question liminaire. Non, Iggy Pop n’est plus cette icône de la révolte adolescente, cet étendard qui a hissé le rock’n’roll à son firmament. Non, Ready to die n’est pas le successeur de Raw power, bien que Burn soit un brûlot plutôt venimeux, que Sex & money sera parfait sur scène et que la voix grave du crooner soit enivrante sur The departed.

Oui, ce dernier album est donc parfaitement inutile. Sauf à se remémorer qu’Iggy & The Stooges est une pierre angulaire de la musique du XXe siècle et que vivre aujourd’hui ce groupe sur scène n’est pas moins intéressant pour la culture occidentale que de voir Les demoiselles d’Avignon au MoMA de New York. Tout cela fait partie de notre histoire…

Iggy & The Stooges
Ready to die
Fat Possum Records

 

L’influence d’Iggy Pop en trois disques

The Stooges (1969)
Le mythe fondateur. En 1967, lorsque Iggy Pop forme The Stooges, l’Amérique vit son «été de l’amour». Deux ans plus tard, Woodstock et la guerre du Vietnam fanent les derniers rêves de la génération flower power. Tout est dit dans 1969, premier titre du premier album des Stooges, hymne provocateur, nihiliste et fondateur du futur mouvement punk. La suite est à l’unisson. Iggy Pop hurle I wanna be your dog (non sans référence au I wanna be your man de Lennon/McCartney) sous un déluge de guitares sordides. Sur scène, le groupe affiche sa propre décadence comme ultime arme contre une société sclérosée. «No fun to hang around / Feeling that same old way» (Pas de plaisir à traîner / Comme d’habitude).


Raw power (1973)

La clé de voûte. Après un deuxième album très brut (Funhouse en 1970), Iggy Pop recrute James Williamson à la guitare, le seul alter ego à le pousser dans ses derniers retranchements. En pleine dérive héroïnomane, le groupe s’envole à Londres pour y enregistrer l’album de la dernière chance, avec David Bowie comme producteur. Sorti en 1973, Raw power reste aujourd’hui l’un des disques les plus influents de l’histoire du rock, avec le riff imparable de Search and destroy, mais aussi les accords malsains de Gimme danger. La guitare «démoniaque et intellectuelle» de James Williamson sonne comme si «Dark Vador jouait dans un groupe de rock», dixit Johnny Marr, guitariste des Smiths.


Lust for life (1977)

Le succès commercial. «Le monde n’était pas prêt pour The Stooges», écrit The Guardian en 2010. Le groupe s’échoue en effet lamentablement dans l’incompréhension, comme en témoigne le live Metallic K.O. (1976). A la rue, Iggy Pop est à nouveau sauvé par David Bowie, qui le prend sous son aile dans son trip berlinois. Sur cette île au centre de l’Europe, ils enregistrent en 1977 The idiot et surtout Lust for life, premier disque post-punk (alors que les Sex Pistols font scandale en Angleterre). Avec son mentor, l’Iguane met de la distance dans sa musique, avec des titres imparables comme The passenger (souvent plagié, jamais surpassé) ou Tonight, repris sur scène par Bowie. Le succès commercial est à la clé.

 

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