«Je ne demande pas le beurre, mais juste les épinards»

Jah Man Gang vient de sortir Believe, son deuxième album. Rencontre avec James Magnenat, son chanteur charismatique, qui a vécu son enfance en Gruyère.
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par Christophe Dutoit

Au mitan des années 1990, le groupe de rock bullois Le Bal du Pendu dédiait une chanson à un ado «qui traînait son spleen à Ebullition et qui venait souvent écouter nos répétitions», se souvient son parolier Xavier Alonso. «Quand je repense à James, je pense à un chat errant. Un de ces chats de gouttière que l’on croise dans les terrains vagues en marge des grandes villes.» Vingt ans plus tard, le texte de la chanson semble tellement prémonitoire: «Rien n’enlève le goût d’un rêve à James…»

Depuis quelques semaines, James Magnenat, plus connu sous son nom de scène MC Jmc, défend avec ferveur la sortie de Believe, le deuxième album de Jah Man Gang, son groupe depuis une dizaine d’années. «Depuis tout petit, on m’a dit de faire ce que j’aimais, sourit-il derrière son épaisse barbe noire. En gros, je ne fais plus que de la musique. Même si les gens me demandent encore: “Mais, tu fais quoi à côté?”»

Lors de son enfance en Gruyère, James a bien tenté de rentrer dans le moule. Sans jamais y parvenir. «Après trois ans et demi, j’ai arrêté mon apprentissage d’ébéniste. Avec un travail, tu as de l’argent pour t’acheter des instruments. Mais tu n’as plus de temps pour jouer. J’ai alors pris mon sac à dos et j’ai commencé à faire de la musique dans la rue.»

Un jour où j’allais très mal, j’ai écouté Bob Marley: “Get up, stand up, stand up for your rights / Get up, stand up, don’t give up the fight (debout, lève-toi, bats-toi pour tes droits / Debout, lève-toi, n’abandonne pas le combat).» Alors, je me suis dit: “Vis tes rêves!”

Le chanteur, âgé aujourd’hui de 36 ans, était alors armé d’un joli bagage musical, pour avoir joué de la trompette durant dix ans au sein du Corps de musique de la ville de Bulle. «J’ai même fini trompette solo», avoue-t-il non sans fierté.

«Debout, lève-toi»
Adolescent, il monte un premier groupe de reprises punk, genre Nirvana et Noir Désir. «J’étais un enfant assez naïf. Je n’ai eu conscience du monde dans lequel on vit qu’à l’âge de 16 ou 17 ans. J’ai percé les mensonges. J’ai compris que tout ça n’était pas pour moi. Un jour où j’allais très mal, j’ai écouté Bob Marley: “Get up, stand up, stand up for your rights / Get up, stand up, don’t give up the fight (debout, lève-toi, bats-toi pour tes droits / Debout, lève-toi, n’abandonne pas le combat).» Alors, je me suis dit: “Vis tes rêves!”»

Des rêves, il en a fallu à James Magnenat pour s’évader de son quotidien. Mardi passé, devant une bière dans un bistrot bullois, il se raconte avec la pudeur et la dignité d’un homme qui a déjà beaucoup payé de sa personne.

«Je suis né à Montreux, dans une famille de toxicos. Les services sociaux ont fini par nous placer, ma sœur et moi, dans une famille en Gruyère.» Ses parents biologiques, on ne les lui présente qu’à l’âge de 16 ans. «Je me suis dit: “Ouf! je viens de là!” J’ai enfin compris pourquoi je ne pensais pas comme ces gens chez qui j’ai grandi.»

Il évoque sa maman, remariée et morte du sida il y a quelques années. Et son papa, qui vient d’être rapatrié en Suisse après avoir longtemps vécu en Thaïlande, où «il a brûlé la chandelle par les deux bouts».

Il parle aussi de la différence qu’on lui a souvent fait ressentir. «Enfant, on ne m’a jamais dit “je t’aime”, on ne m’a jamais pris dans les bras pour me faire un câlin. Demander de l’amour, ça, on connaît. Mais en recevoir?» Les souvenirs remontent amers de cette époque où le garçon était obligé d’appeler papa celui qui n’était pas le sien. «Ma sœur et moi, on aurait aimé faire des études. Mais on n’a pas pu. On nous envoyait ramasser des cailloux dans le jardin, tandis que mes «demi-sœurs» répétaient leurs devoirs…»

«J’aspire à devenir rasta»
James se voyait déjà suivre une école de musique à Paris. «J’adorais Louis Armstrong, j’essayais de l’imiter.» Finalement, il explorera des destinations différentes, après ce qu’il nomme sa «rééducation». «Je ne suis pas rasta. J’aspire à le devenir. Notre message est rempli d’espoir, d’ouverture, d’unité, de respect. Des idées quand même un peu plus précises que drug, sex and rock’n’roll!»
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A défaut de parents aimants, il trouve sur la route ses mères et ses pères spirituels. Il mène une vie de bohème, mais la musique finit par prendre le dessus. «C’est un combat quotidien, car je suis différent tous les jours. J’ai commencé la musique dans la rue. Maintenant, je suis à la rue. Mais ma musique, elle, est sur i-Tunes! dit-il avant de citer une anecdote éloquente: «Il m’est arrivé de jouer devant 6000 personnes. Et, le lendemain, je suis sorti de l’hôtel sans savoir où j’allais dormir le soir.»

Jmc en a gros sur le cœur contre le manque de reconnaissance. «En Suisse, la musique est considérée comme un hobby. Ici, les chiens ont des médailles. Pas les humains. Notre rôle est de divertir le peuple, qu’il puisse décompresser le week-end.» En donnant un concert par semaine, pas facile de vivre avec un cachet de 500 francs divisés en dix musiciens. Pourtant, James continue à y parvenir.

«Le système aimerait que je pète les plombs. Pour m’enfermer, pour qu’on ne me voie plus. Dans la rue, je prouve que mon mode de vie est possible, qu’il y a d’autres solutions. On me met des bâtons dans les roues, mais je me relève. A chaque fois, ça me renforce un peu plus dans mes convictions.» Depuis quelque temps en effet, James n’a plus de domicile fixe, plus d’adresse, plus de papiers. Ne reste que la musique.

Je joue mes créations. J’aime ce mot, car il touche au divin. Ici, on ne se nourrit pas que de pain.

«Dans ma vie, je n’aurais peut-être rien gagné. Mais je n’aurais rien perdu non plus. Ma plus belle paie, c’est de voir des gens danser sur ma musique», explique celui qui ne joue pas de reprises. «Je joue mes créations. J’aime ce mot, car il touche au divin. Ici, on ne se nourrit pas que de pain. Moi, je ne demande pas le beurre. Mais juste les épinards.»

Pour ceux qui s’en souviennent, la chanson James du Bal du Pendu disait encore: «Dans sa main, il croit détenir de l’or / Il se dit bien sûr que son jour viendra / Sans que cela ne tarde, il y arrivera.» Prémonitoire, non?

 

«Nos âmes, nos révoltes, nos amours»

«Il n’y a pas de limites à la musique. Ce sont toujours les sept mêmes notes. La seule différence se situe au niveau des émotions.» Des émotions, Jah Man Gang en a vécu depuis sa création au tournant des années 2000, notamment sur la grande scène de la Jazz Parade l’an passé, lors d’un concert exceptionnel.

«Ces derniers temps, le groupe a connu beaucoup de changements. Huit musiciens sont partis et Ras Ngabo est arrivé, un rasta du Rwanda que j’ai rencontré sur Facebook.»

Avec ce guitariste chanteur providentiel, James Magnenat a trouvé le frère musical qui lui manquait. «Nous composons à deux. On n’a même pas besoin de se parler, tout est cohérent. C’est moins collectif qu’auparavant, mais plus précis.»

Dans son local à Courtepin, Jah Man Gang s’est recentré sur un style qui lui est propre. «Notre message est davantage devenu rasta rebelle. Believe est album très émotionnel, sur des sujets qui ont touché nos âmes, nos révoltes, nos amours.»

«Je suis un cul-blanc, un bâtard»
Enregistré à Fribourg et finalisé à Saint-Blaise, ce disque marie les racines africaines de Ras Ngabo, les influences hispaniques de la chanteuse Mary G et la culture reggae de Jmc. «Moi, je suis un cul-blanc, un bâtard. Je peux passer des nuits entières pour faire sortir les morceaux que j’ai dans la tête.»

Et le résultat est à la hauteur du talent de James Magnenat. Avec sa voix toujours aussi chaude et ronde, il envoûte et enivre. Ses riddims sont toujours aussi festifs, même si ses textes évoquent des aspects plus sombres. «Je chante toujours en anglais. J’apprécie que les gens cherchent à comprendre ce que j’ai voulu dire. Mes textes ne sont jamais écrits. C’est propre à ma poésie. Il faut lire le message entre les lignes, regarder plus loin que le bout de son nez.»

Jah Man Gang
Believe
www.jahmangang.com

Prochain concert le 19 avril à Thônex

notre avis: ♥♥♥

 

 

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