Jean-Paul Mari, les blessures invisibles

Grand reporter qui a connu tous les fronts de l’intérieur, Jean-Paul Marti signe un premier roman mettant en scène un journaliste blessé souffrant de névrose traumatique, à la recherche de sa mémoire perdue sur les rivages de la Méditerranée.

par Marc Luthy
mari

Antoine Mégy sort d’un long coma dans un hôpital de Toulouse. Reporter de guerre atteint à la tête par une balle lors d’une embuscade meurtrière, il a vu une partie de sa mémoire rester prisonnière de la caillasse du col de la vallée d’Uz en Afghanistan. Outre ses séquelles physiques, ses migraines et son amnésie partielle, Antoine souffre d’une névrose traumatique, connue également sous l’acronyme PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder). Car ce mal sans blessures apparentes n’épargne pas ces journalistes qui suivent les militaires dans les zones de guerre. Sa vie quotidienne est devenue un enfer ponctué de cauchemars, de visions délirantes et de pulsions de mort. Et sa mémoire défaillante lui refuse obstinément toute réponse à ces deux questions essentielles: que s’est-il vraiment passé dans la vallée d’Uz ce jour-là et pourquoi la femme de sa vie l’a-t-elle quitté?

Dans la première partie du livre, Antoine tente de reconstruire sa mémoire et sa vie entre Toulouse et Paris. Il parvient çà et là à grappiller quelques indices de son existence passée, mais ce mal qui le ronge l’a transformé en être socialement inadapté, enfermé dans une incommunicabilité hermétique. Survivant sous le joug permanent d’une paranoïa sournoise, il se révèle incapable d’entretenir des relations normales avec ses connaissances, tant professionnelles que privées. C’est alors qu’il accepte la proposition de son rédacteur en chef: écrire des chroniques lors d’un voyage autour de la Méditerranée, en évitant toutefois les points chauds comme le Liban, la Palestine ou la Lybie. La deuxième partie du livre relate cette odyssée, au cours de laquelle Antoine retrouvera progressivement le fil de sa mémoire et parviendra à alléger l’écrasant fardeau de ces réminiscences de guerre qui le hantent. Sur les traces d’Homère, de Çanakkale à Syracuse, en passant par Djerba, Naples, Troie et Ithaque, il va patiemment regrouper les pièces du puzzle épars de ses souvenirs pour enfin se réapproprier sa vie.

Les meilleurs ouvriers de la guerre sont les soldats morts de l’intérieur.

Grand reporter au Nouvel-Observateur, Jean-Paul Mari a couvert la plupart des grands conflits sur tous les continents. Déjà auteur de six ouvrages, il signe pourtant avec La tentation d’Antoine son premier roman. Son expérience professionnelle alimente toutefois abondamment cette première incursion dans la fiction, qui apparaît d’ailleurs comme le pendant imagé de son terrible et poignant documentaire intitulé Sans blessures apparentes – Enquête sur les damnés de la guerre, consacré à ces militaires, journalistes et humanitaires qui souffrent de névroses traumatiques.

Sentiment de véracité
Jean-Paul Mari connaît son sujet. Il connaît le terrain, les protagonistes, les victimes et a vécu les mêmes situations dramatiques. Cela lui permet de sonder les esprits, les corps et les cœurs en dégageant toujours ce même sentiment de véracité, qui lui permet de situer ses personnages bien au-delà du vraisemblable: ils sonnent authentiques, à l’instar de cet être perdu qui s’automutile devant son miroir pour donner un sens à sa souffrance intérieure, ces soldats accablés de chaleur et de terreur sous un déluge de feu ennemi ou ce clandestin érythréen, seul survivant d’un trop frêle esquif sombrant dans la nuit au large des côtes de l’espoir.

La plume de Jean-Paul Mari est élégante et précise, nimbée parfois d’une poésie naturelle qui rend ses descriptions très évocatrices. La lecture de l’ouvrage est parfois entravée par des excès de lyrisme et des références mythologiques un peu pompeuses, surtout au début de la deuxième partie. Les ricochets incessants d’Antoine autour de la grande bleue peuvent aussi donner à certains chapitres un côté guide Lonely Planet agaçant, mais seulement à de rares occasions.

La réalité de cette fiction nous rappelle qu’Apollinaire avait tort: aucune guerre n’est jolie.

Roman portant à la fois sur les méfaits de la guerre et sur la quête de soi, La tentation d’Antoine est une magnifique invitation au voyage. Autant pour découvrir les rivages de la Méditerranée et que pour méditer sur la mémoire, l’identité et la faculté de résilience. Et la réalité de cette fiction nous rappelle qu’Apollinaire avait tort: aucune guerre n’est jolie. Elles ne connaissent jamais ni gagnant ni perdant, mais toujours des victimes. Même lorsque leurs blessures sont invisibles.

Jean-Paul Mari,
La tentation d’Antoine,
Robert Laffont / 298 pages
notre avis: ♥♥♥

 

 Entretien avec Jean-Paul Mari sur Europe 1
 Documentaire Sans blessures apparentes – Enquête chez les damnés de la guerre, de Jean-Paul Mari et Franck Dhelens

 

 

 

Posté le par admin dans Littérature Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire