Les tribulations potagères de Bonnerave

Avec son patronyme potager, Jocelyn Bonnerave était sans doute prédestiné à écrire quelque fable fourragère. C’est ce qu’il a fait dans son deuxième ouvrage, en contant les tribulations d’un homme qui se métamorphose en bambou.

par Marc Luthybonnerave

La douleur se conjugue à la surprise lorsque A., jardinier dans une bambouseraie ariégeoise, constate qu’un brin de bambou émerge de son fondement. Il ne s’agit pas d’une écharde qui se serait fichée par inadvertance dans cet endroit incongru, mais bien d’une pousse de Phyllostachis aurea qui croît de son coccyx. En proie à un désarroi bien compréhensible, l’improbable mutant végétal voit soudainement son destin basculer. Il se retrouve tour à tour artiste de cirque, sujet scientifique au museum d’histoire naturelle, puis cobaye prometteur pour industriels avides de cellulose, aussi cupides que sournois. Mais, grâce à la sémillante Maïa, une étudiante en archéologie voleuse et délurée, l’homme-plante parviendra à se tirer sans trop de dommages de bien des situations délicates.

Anthropologue et musicien, Jocelyn Bonnerave commet avec L’homme bambou son deuxième ouvrage, après Nouveaux Indiens, prix du Premier roman 2009. Le thème de ce livre évoque irrésistiblement un pendant végétal de La métamorphose, mais la comparaison s’arrête là: n’est pas Kafka qui veut. Bonnerave traite son sujet de littérature fantastique à la façon d’un road movie franchouillard, avec Maïa et A. en Bonnie and Clyde aux petits pieds. Sur fond d’histoire d’amour et de considérations botaniques, il flirte parfois distraitement avec des thèmes importants, comme l’écologie et la critique du grand capitalisme industriel. Ses rares arguments fleurent le café du commerce. On ne voit pas où l’auteur veut en venir, et l’ensemble du récit sonne creux. Comme une tige de bambou.

Ecriture assez quelconque
D’une façon générale, l’écriture de Bonnerave est assez quelconque. Mais parfois l’auteur sait se montrer horripilant en matière de style. Il semble jouer sur le thème de «Moi aussi je suis un grand styliste capable de réinventer la langue». Toutefois, pour ce faire, il ne suffit pas de prendre des libertés avec la ponctuation, au risque de commettre d’indigestes passages tels que celui-ci: «Ici à ce que j’en sais tu sens mille fois ta peau c’est la même odeur que partout ailleurs à ta surface à ce que j’en sais je te découvre je fais juste la carte de ta chair à cette heure mais cette odeur est si têtue à ton centre il y a toutes les fleurs, je parle des jolies, des pâquerettes d’enfance et des roses et des roses, je parle aussi des arums des sureaux des genêts de toutes celles qui donnent des maux de tête en tambour à faire des nuits blanches, et je parle aussi des pourries, des vénéneuses, et je parle des pétales de mauves sauvages onctueux et violet, tu es ce bouquet présent à qui j’offre ma face entière, idiote, ravie, râpeuse, à t’approcher ainsi je confonds la langue et le nez avez-vous déjà goûté des odeurs?» On se prend à soupçonner l’existence chez l’auteur d’une pathologie qui expliquerait cette haine des points et cette panique dans les virgules.

 

Je ne suis pas un homme équipé d’un bambou. Je suis la première plante nomade…

Pire encore, Bonnerave tente de suggérer une sorte de mode de pensée du végétal en scandant des paragraphes avec de multiples espaces. De ce stratagème stylistique, il résulte d’assommants passages tels que celui-ci: «Frère magnifique odeurs nouvelles bâche chauffée soleil feuilles et fruits du figuier café haut-le-cœur recule le tronc je touche le tronc je frémis toutes mes feuilles j’entends des violons en bois de figuier ô frère de bois tu me parles en musique oh tu.»

André Breton mal assimilé?
L’auteur chercherait-il à nous démontrer qu’il est encore possible, près de cent ans après Joyce ou Faulkner, d’exploiter la technique littéraire dite du courant de conscience – même en n’ayant pas le talent de ces illustres prédécesseurs? Ou a-t-il seulement mal assimilé les leçons d’André Breton sur le procédé surréaliste de l’écriture automatique? De ces tentatives prétentieuses d’accorder quelques «nouvelles» libertés à l’écriture, il ne résulte qu’un sentiment de vanité qui confine au ridicule.

Le valeureux lecteur qui sera parvenu, en vert et contre tout, à se frayer un chemin dans cette jungle verbeuse n’aura pour seule satisfaction que d’avoir appris quelques notions de botanique particulières, telles que mucigel et morphogenèse continue. Autant, dès lors, lui recommander la lecture d’une bonne encyclopédie des plantes. Sa satisfaction sera incomparablement plus grande et il évitera de se prendre un gros coup de bambou.

 

Jocelyn Bonnerave
L’homme bambou
Seuil / 250 pages

notre avis:     (ça veut dire zéro petit cœur…)

 

Lecture musicale de Nouveaux Indiens (son premier roman) et dialogue avec un psychanalyste… 

 

 

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