Grant Morrison, le scénariste qui se plaît à manipuler les désordres

LE SCÉNARISTE QUI SE PLAÎT À MANIPULER LES DÉSORDRES

Depuis presque trente ans, l’Ecossais Grant Morrison marque la BD américaine de ses récits alam­biqués et contestataires. Des œuvres à redécouvrir aujourd’hui en français.

Par Romain Meyer

grant-morrison3

Grant Morrison est un scénariste paradoxal: peu connu de ce côté de l’Atlantique hormis des amateurs de comics, il est une star dans les pays anglo-saxons – au point qu’une convention de Las Vegas lui a été dédiée l’an passé, et qu’il a été nommé par sa Majesté membre de l’ordre de l’Empire britannique, pour services rendus au cinéma et aux lettres… Un comble pour un Ecossais adepte de la contre-culture.

Paradoxal parce que s’il a écrit des pièces de théâtre et des nouvelles, il a choisi principalement comme moyen d’expression la BD et les superhéros pour affirmer son écriture particulière et des thèmes plutôt étrangers au genre: ambiguïté entre bien et mal, rébellion face au statu quo, mélange entre réalité et fiction, non-sens ou défense de la cause animale.

Arrivé aux Etats-Unis dans les valises du grand auteur anglais Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta), Grant Morrison s’est montré digne de son maître, à la fois son successeur et premier rival. La guerre d’ego – surdimensionnés – que se livrent les deux créateurs dure d’ailleurs depuis les années 1980. Entre-temps, le scénariste écossais est devenu un pilier de l’éditeur américain DC. Un créateur incontournable qu’Urban Comics met en avant en proposant en français plusieurs de ses titres emblématiques.

La «méthode» Morrison

La force de Morrison vient de sa capacité d’adaptation, que ce soit en écrivant ses propres héros ou en reprenant des personnages iconiques. Il s’est affirmé sur deux séries mineures qu’il a transformées en phénomène éditorial: Doom Patrol et Animal Man, des titres qui devraient bientôt être édités ici. Puis vinrent les licences à succès, X-Men chez l’éditeur Marvel, Superman chez DC. Et Batman, qui est l’objet aujourd’hui d’une publication en huit parties dont le tome IV vient de sortir.

Grant Morrison est un fan des comics des années 1950. Le temps de l’innocence créatrice, sans contingence de réalité.

Ce gros ouvrage est un conde­nsé de la «méthode» Morrison. Roi de l’ellipse, dont il peut abuser, mais aussi de la superposition d’histoires, l’Ecossais possède la réputation d’un auteur hermétique. Mais c’est d’abord un fan, un amateur des comics des années 1950, le temps de l’innocence créatrice, sans contingence de réalité.

L’art de la construction

La première partie du tome voit le Chevalier noir aux prises avec des tortionnaires d’une autre dimension, un prétexte pour voir défiler son existence. En 50 pages, Morrison rend donc hommage à plus de soixante ans de continuité, avec fluidité, sans tomber dans le catalogue. Un jeu de piste malin et un tour de force. Cet ouvrage constitue un must pour les amateurs, mais il risque de laisser pantois tout néophyte. Heureusement, l’éditeur a établi la liste des références utilisées. La dernière partie de l’ouvrage réunit des récits sélectionnés et présentés par Morrison, qui lui ont servi de sources d’inspiration.

Si ce Batman montre à quel point l’Ecossais réussit à s’approprier des personnages emblématiques, il n’est pas en reste avec ses propres créations, à témoin Flex Mentallo. Cet ouvrage à niveaux multiples nécessite d’être parcouru plusieurs fois pour tenter d’en appréhender la cons­truction quasi surréaliste, en équilibre entre les univers: celui de Flex, super-héros de papier dont le créateur est mourant. Auquel on peut rajouter celui du lecteur. Le personnage principal, issu des vieilles publicités pour bodybuilding, recherche l’un de ses vieux comparses, le «Fait». Soit la réalité… Le tout magnifié par le trait dynamique de Frank Quitely.

Dernières recommandations pour deux ouvrages sortis en 2012: Nou3, toujours avec Frank Quitely, l’histoire de trois animaux de compagnie transformés par un laboratoire en des machines de guerre.

Et enfin Joe l’aventure intérieure, avec Sean Murphy, le récit d’un adolescent frappé par une crise d’hypoglycémie. Une odyssée qui oscille entre halluci­nation et réel, l’une répondant à l’autre. Un mélange de genres comme seul Grant Morrison sait les faire. Une signature. En attendant le retour des Invisibles, sa création pop de référence.

Grant Morrison présente Batman, tome IV, Le dossier noir

Urban Comics

Grant Morrison et Frank Quitely,

Flex Mentallo, Urban Comics

Notre avis: ♥♥♥

BD Flex 3

Posté le par admin dans BD Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire