Zero dark thirty, du 11 septembre 2001 au 2 mai 2011

zeroL’Amérique a ceci de particulier qu’elle transforme en légende son histoire sans attendre ni décantation ni maturation.

Sur les cendres encore fumantes, elle marche intrépide. Indolente sur le brasier. Zero dark thirty retrace dix ans de chasse à l’homme, la traque et la mort de Ben Laden, de l’effondrement des tours jumelles à son assassinat le 2 mai 2011. L’Amérique fait usage de son cinéma comme l’Antiquité de son théâtre. Ses psychodrames modernes opèrent une catharsis. Et voici l’âme du spectateur purifié, ses complexes liquidés, son désir de vengeance comblé.

Là-bas, le film fait à la fois un carton et la polémique. Des sénateurs de tous bords lui reprochent de trop insister sur le rôle de la torture par la CIA. Certes, au début, les scènes de supplices ne manquent pas et le spectateur est mis à rude épreuve. Mais, étonnamment, c’est l’un des rares thèmes du film à prendre une coloration politique. Alors qu’ils regardent à la télévision le président Obama s’exprimer sur la fin des pratiques tortionnaires, les personnages se terrent dans un silence neutre, ni désabusé ni contestataire. Comme s’ils étaient prêts à chanter toutes les chansons peu importent les paroles.

Au-delà des controverses, il y a un film prenant, frappant, qui balaie tout temps mort sur son passage. Kathryn Bigelow (Point break, Strange days, Démineurs) et son scénariste Mark Boal (spécialiste du reportage de guerre) ne sont pas du genre à pédaler dans la semoule. Ils produisent du viscéral qui saute aux yeux. D’autant qu’ils ont dix ans à résumer en deux heures et demie.

Ainsi, la dernière partie du film, consacrée à l’attaque du repaire de Ben Laden, est en tous points spectaculaire. Des plans séquences nocturnes où l’on voit l’unité d’élite des Navy Seals mettre en œuvre l’opération «Trident de Neptune». La vengeance matérialisée, comme si on y était. Ici, Kathryn Bigelow frappe fort. Elle invite le spectateur de l’autre côté. Elle lui dévoile le contrechamp tant attendu. On a eu droit jusqu’ici à la photo de la situation room, cette fameuse image où l’on voit Barack Obama et son équipe suivre en direct l’attaque du refuge de Ben Laden. Le film nous montre ce qu’ils ont vu.

Des hommes surentraînés à la technologie meurtrière, agissant à la lueur de leur visée nocturne, avec calme et protocole. En tombant sur le sol, les quelques balles nécessaires font un bruit glacial. Le film réussit sur ce point une gageure. Défi relevé également par Jessica Chastain qui porte le tout à bout de bras.

Reste des zones d’ombre. Qui dérangent. Cette façon de représenter l’étranger comme une masse indifférenciée, sans parole, sans pensée.

Reste des zones d’ombre. Qui dérangent. Cette façon de représenter l’étranger comme une masse indifférenciée, sans parole, sans pensée. Cette façon encore de botter en touche lorsque vient le moment de s’interroger sur le corps de Ben Laden. Dans le film aussi, son cadavre disparaît dès lors que les projecteurs s’éteignent.

Zero dark thirty, de Kathryn Bigelow, avec Jessica Chastain, Jason Clarke, Mark Strong

par Yann Guerchanik

notre avis: ♥♥

 

 

 

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