The Master, ni queue ni tête, mais si brillant

BRAY_20110808_UW_5368.CR2Une déroute peut-être. Un déroutement sûrement. Avec The master, Paul Thomas Anderson a égaré bon nombre de spectateurs de la route sur laquelle il avait pris l’habitude de les faire marcher droit. Le film se laisse volontiers prendre pour ce qu’il n’est pas.

Sur le papier, on voudrait en faire l’histoire revisitée de la scientologie. Le récit de Freddie, vétéran de guerre et distillateur à ses heures, qui rencontre Lancaster Dodd, le «maître» charismatique de la Cause, un mouvement sectaire auquel adhèrent des membres pas nets et patibulaires. On croit alors au Paul Thomas Anderson des grands jours. Celui qui creuse les travers de l’Amérique à la recherche du ciment qui l’a construit. Le grand Paul Thomas Anderson de There will be blood, capable de mener de front l’interrogatoire spirituel et l’enquête économique pour en faire une fresque historique et grandiose.

Sur l’écran, rien de tel. On cherche en vain le propos. On discerne quelques données sans saisir la démonstration. En vérité, il n’y en a aucune. Ça commence par «il était une fois l’Amérique», ça finit par être une confrontation intimiste entre deux personnages. Le projet s’éparpille. Le spectateur se perd. Entre le fond attendu et la forme présentée, il n’y a pas d’adéquation. There will be blood parvenait à l’équilibre, si bien qu’on était en droit de crier au chef-d’œuvre. The master n’est mu que par une proposition formelle. Ce qui en fait au moins une œuvre.

On finit par planer dans le raffinement et le beau

Car, au final, le film se suffit à lui-même. Loin des intentions qu’on lui prête, il livre des images flamboyantes. Chaque plan est servi par un cadrage minutieux, soumis à une composition sourcilleuse qui fait la part belle aux jeux de lumière. La voilà, la démonstration: on se laisse bercer par les flots esthétiques. On finit par planer dans le raffinement et le beau. Certes, faut-il s’en laisser compter par un premier de la classe. Une balade qui n’est pas au goût de tout le monde. Sachant que l’érudit pousse le bouchon jusqu’à tourner son film en 70 mm. Un format à l’ancienne qu’on a presque oublié depuis Lawrence d’Arabie ou 2001 l’odyssée de l’espace. Sur ces images nettes et presque infiniment détaillées, s’incrustent deux acteurs exceptionnels. Joaquin Phoenix et Philip Seymour Hoffman se rendent coup pour coup. On pourra reprocher au premier un jeu qui confine au malaise, sa performance n’en demeure pas moins impressionnante.

The master… un film qu’il convient de voir en oubliant ce qu’on en sait, assis dans les premières rangées, ni trop près ni trop loin, de manière à se laisser happer par l’image sans se laisser éblouir par la lumière.

Par Yann Guerchanik

The master, de Paul Thomas Anderson, avec Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman, Amy Adams

notre avis: ♥♥♥

 

 

 

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