Entre l’élan de la jeunesse et la noirceur romantique

Théâtre des Osses. Anne Schwaller met en scène Léonce et Léna, de Georg Büchner. Une comédie qu’elle ne craint pas de pousser dans des directions plus sombres.

par Eric Bulliard

Les affiches laissent deviner une version pétillante, voire légère, de Léonce et Léna, comédie de Georg Büchner (1813-1837). Une composante présente dans la version proposée par Anne Schwaller au Théâtre des Osses, à Givisiez. Mais en sourdine: pour sa première mise en scène, la jeune Fribourgeoise a empoigné le texte pour lui donner des dimensions plus sombres, troublantes.

Sur scène, un échiquier (comment mieux symboliser l’enfermement?) où se débat un jeune homme à la maigreur adolescente. Fils du roi, Léonce (Cédric Leproust) semble prisonnier de colonnes froides, métalliques. Et de sa solitude, accentuée par le choix de projeter en vidéo les interventions du roi (Jean-Pierre Gos) et des autres personnages secondaires. Bienvenue dans un monde déshumanisé.

Son valet Valério (Yves Adam, particulièrement en verve) apparaît d’abord désincarné, sous la forme d’une marionnette, comme issu de l’imaginaire de son maître. Rongé par l’ennui (ce «monstre délicat» que décrira Baudelaire), Léonce veut voir du pays, découvrir si l’herbe est plus verte loin de sa cage glaciale. Après la rencontre avec Léna (Marie Ruchat), l’univers devient coloré, onirique, mais une étrange mélancolie suinte toujours. L’évasion dans un imaginaire que l’on aimerait joyeux n’occulte pas un arrière-fond désabusé, où la folie n’est jamais loin.

Les sentiments plutôt que l’action
La pièce touche par cet équilibre entre l’élan adolescent, le besoin de brûler la vie, et un mal de vivre purement romantique, l’envie de «donner ma démission d’homme». Entre l’éveil de l’amour et la douleur des «hommes malheureux simplement parce qu’ils existent». Quant au rire, il demeure présent par certaines trouvailles, notamment langagières («Je suis perdu!» «Ce ne sera pas une grosse perte. Sauf pour celui qui vous trouvera…») ou par le jeu jubilatoire de Jean-Pierre Gos.

Anne Schwaller a le mérite d’affirmer un point de vue. En mettant l’accent sur les sentiments plutôt que sur la fable, elle sollicite l’attention du spectateur, qui ne peut guère s’agripper à l’action. Mieux vaut se laisser porter par les mots et l’univers fantasmagorique de cette œuvre assez abstraite, très poétique. Où, en filigrane, se lit le destin de Büchner, éternel jeune homme, mort du typhus à 23 ans, après avoir voulu «mettre en pièces toutes les horloges».

Jusqu’au 10 février. www.theatreosses.ch

Posté le par admin dans Théâtre Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire