Marcel Imsand, entre le grand monde et les petites gens

Retiré de la vie professionnelle, Marcel Imsand continue, à 83 ans, de montrer ses travaux photographiques. La Fondation Gianadda, à Martigny, expose trente ans d’amitié entre le Gruérien et l’un de ses principaux mécènes.

par Christophe Dutoitimsanda

Tout commence en 1984. Alors que l’exposition Rodin fait un carton à Martigny, Léonard Gianadda met au défi Marcel Imsand de réussir une image intéressante des sculptures disposées dans le jardin extérieur. Soufflé par le tirage réalisé par le photographe né à Pringy en 1929, il en tire des cartes postales et des posters à succès. L’année suivante, il lui propose du coup d’exposer ses travaux personnels. Ce fut là le début d’une magnifique amitié…

Près de trente ans plus tard, Marcel Imsand a de nouveau son nom en tête d’affiche de la prestigieuse fondation martigneraine. Au fil du temps et de divers anniversaires, il a en effet donné quelque 500 tirages noir et blanc à l’un de ses principaux mécènes, dont une majorité est exposée jusqu’au 3 mars.

On y retrouve évidemment Luigi le berger bergamasque, rencontré dans la campagne vaudoise à la fin des années 1980. Déjà montrée à plusieurs reprises à Martigny, cette série phare a été donnée à la Fondation Gianadda pour ses vingt-cinq ans. Elle raconte en images la vie de la transhumance hivernale, que le troupeau fende le brouillard glacé, qu’il s’abreuve à la rivière ou que son guide découpe sa silhouette d’ange noir dans les grandes étendues givrées. Un must.

Jambes en l’air
Au fil des cimaises, le spectateur revoit avec délectation des images désormais connues, comme ces portraits de la chanteuse Barbara ou du chorégraphe Maurice Béjart, eux aussi liés d’amitié avec le photographe. Surtout, il découvre peu à peu les tirages réalisés par Imsand pour le compte de la Fondation Gianadda. A commencer par cette folle série prise lors du vernissage de l’exposition Toulouse-Lautrec, en 1987. Image improbable: des filles du Moulin-Rouge lèvent prestement la jambe devant un parterre mondain, puis se baladent en robes à froufrous dans les travées de l’exposition. Délectable.

Devenu familier des lieux, Marcel Imsand se mue en photographe du monde et couche sur la pellicule les stars de la musique classique qui s’y produisent

Dans le dédale de Martigny, le visiteur tombe sur une série consacrée aux sculptures d’Alberto Giacometti, dont les tirages d’encre ont fait l’objet d’un livre avec des textes de Pierre Schneider. Mais surtout, il plonge dans les coulisses de la fondation, les grands soirs, lors de concerts ou de vernissages huppés. Devenu familier des lieux, Marcel Imsand se mue en photographe du monde et couche sur la pellicule les stars de la musique classique qui s’y produisent. Ainsi voit-on dans ses images les Anne-Sophie Mutter, Barbara Hendricks, Teresa Berganza ou autres divas de l’art lyrique comme parachutées dans ce bunker aux antipodes de la Fenice.

On en apprend certes un rayon sur le prestigieux carnet d’adresses de Léonard Gianad-da et sur l’omniprésence du gratin de la jet-set valaisanne. On reste cependant tout autant sceptique sur la véritable valeur de ce fonds de commerce qui autocélèbre sans garde-fou la fondation et ses ténors.

A l’issue de la visite, on garde le souvenir des images les plus fortes de Marcel Imsand, ces moments qu’il a consacrés aux petites gens, aux sans-grades, aux démunis. Des photographies qu’il a prises au plus près de l’humain.

Martigny, Fondation Gianadda, jusqu’au 3 mars, 10 h-18 h.
Jean-Henry Papilloud et Sophia Cantinotti, Marcel Imsand et la Fondation, catalogue de l’exposition. Infos: www.gianadda.ch

 

Paul et Clémence (1982)
le plus romantique

paul

En 1970, alors qu’il chemine dans le Gros-de-Vaud, Marcel Imsand croise le chemin de Paul Leiser, qui porte «un long manteau sombre, des pantalons trop courts, dans la main droite un bidon à lait et, dans la gauche, un géranium». Durant dix ans, le photographe rend des visites régulières à cet homme reclus dans sa vieille ferme des Dailles, en compagnie de Clémence, l’ancienne servante de ses parents, avec qui il partage sa vie depuis quarante ans. Dix ans pendant lesquels il noue une belle amitié et réalise des portraits d’une incroyable humanité de ce couple qui vit dans la plus grande simplicité, dans une maison sans électricité ni chauffage, mais où trônent une imposante bibliothèque et un piano, sur lequel Paul, malgré son arthrite, joue parfois Für Elise de Beethoven. Publiée en 1982 à titre posthume, Paul et Clémence reste aujourd’hui une sublime ode romantique à la beauté du dénuement.

 

Luigi le berger (1990)
Le plus solitaire

luigi

Toujours lors d’une balade dans le Nord vaudois, Marcel Imsand rencontre, en 1988, le berger Luigi Cominelli, qui fait la transhumance en compagnie de son troupeau de moutons. Malgré une première approche des plus abrupte, il tire son portrait pour un «instantané» dans Le Sillon romand. A l’instar de son amitié avec Paul Leiser, le photographe gagne peu à peu la confiance du pâtre et pénètre petit à petit dans son intimité. Dans un noir et blanc dramatique et charbonneux, il chante les louanges de cette aventure austère en plein milieu de la Broye glaciale, qui révèle ses paysages de Grand-Nord. Sur la corde raide, comme à son habitude, Marcel Imsand choisit la pudeur plutôt que le voyeurisme et livre avec Luigi le berger une chronique anachronique de la vie en terre vaudoise à la fin du XXe siècle. Et, à l’image de tous les protagonistes des livres d’Imsand, Luigi quitte la scène à son tour en août 2011…

 

Les frères (1997)
Le plus intime

freres

Le hasard fait décidément bien les choses. En 1985, Marcel Imsand s’arrête à Vaulruz pour prendre la photo d’une ferme à la fin de l’hiver. «C’était une belle image. Les frères sont sortis, on a parlé, je suis entré chez eux…» Pendant cinq ans, le photographe rend visite tous les deux mois à Milet et L’Est et l’Ouest, les deux frères Vionnet, qui semblent vivre comme au temps de Germinal. Avec son Leica et ses films noir et blanc, Imsand documente la fin de vie de ces deux marginaux avec une rare compassion. Au plus près de l’âme humaine, il tire des portraits remplis de tendresse d’un homme au seuil de la mort et d’un autre, abandonné sur le palier de la vie avec des larmes de tristesse pour seul compagnon, qui laisse son regard se perdre au loin. Exposés à la Fondation Gianadda en 1996, également à titre posthume, Les frères restent aujourd’hui comme le chef-d’œuvre de Marcel Imsand.

 

 

 

 

Posté le par admin dans Exposition, Photographie Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire