Ces silences qui parlent tant…

thereseC’est du cinéma qui sent l’encaustique et le feu de cheminée. Et qui fait un bien fou, tant il sait prendre son temps, laisser parler les regards, les silences, les fougères… Du cinéma académique, certes. Désuet, sans doute. Mais du vrai cinéma. Très français, aussi.

Claude Miller a lancé sa carrière en 1976 avec La meilleure façon de marcher (une merveille). Il l’a bouclée avec ce Thérèse Desqueyroux, sorti peu après sa mort. Dans le premier jouait Patrick Dewaere, dans le dernier Audrey Tautou et Gilles Lellouche. Entre les deux, il y a eu Serrault et Ventura (Garde à vue), Charlotte Gainsbourg (L’effrontée, La petite voleuse), Richard Bohringer (L’accompagnatrice). C’est dire si sa filmographie couvre tout un pan du cinéma hexagonal, dans son versant sérieux, solide, soigné.

Même si, comme pour toute adaptation, la comparaison entre l’œuvre originale et le film a ses limites (chacun doit garder sa propre existence), impossible de passer sous silence le roman de François Mauriac, sorti en 1927. Claude Miller y est resté scrupuleusement fidèle, sauf sur un point: il a choisi de prendre la tragique histoire de Thérèse et de son mari dans l’ordre, sans les flashbacks originaux. Linéaire, l’histoire gagne encore en tension.

Passionnée de littérature, Thérèse est mariée par convenance avec Bernard Desqueyroux: il était écrit que les deux domaines de ces riches familles des Landes allaient un jour être réunis. La jeune femme fait plus ou moins contre mauvaise fortune bon cœur, jusqu’au jour où elle tente d’empoisonner son mari.

Jusqu’au bout, Claude Miller aura donc continué à miser sur la subtilité, la finesse, plutôt que l’esbroufe. La charge contre les traditions, le poids de la famille, la bourgeoisie provinciale de l’entre-deux-guerres n’en devient que plus puissante. Sous son apparente tranquillité de cinéma à la papa, Thérèse Desqueyroux brûle d’une intensité qui passe par le non-dit. Dans ce registre, Audrey Tautou se révèle impressionnante, elle qui parle si peu, mais exprime tant de choses. En face, Gilles Lellouche étonne dans un registre inattendu, en rustaud qui ne comprend pas ce que son épouse puisse demander autre chose que la richesse, un mari, un enfant. La liberté? Drôle d’idée…

par Eric Bulliard

Thérèse Desqueyroux, de Claude Miller, avec Audrey Tautou et Gilles Lellouche.

 

Posté le par admin dans Cinéma, Critiques Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire