Le superhéros américain, l’arme à la main

reacherJack Reacher, le dernier Tom Cruise, commence comme une effrayante info du journal télévisé et finit comme un film de superhéros. C’est que, entre deux, la moulinette idéologique américaine a broyé jusqu’à la dernière réticence, jusqu’à la moindre circonspection. La violence doit être combattue par la violence, l’arme peut trancher si un justicier s’en sert, peu importe le droit et la société des hommes. «La guerre, c’est ce qu’on fait de mieux nous autres les Américains, foutez-nous la paix!»

C’est que, entre deux, le savoir-faire hollywoodien a comblé l’attente, étanché la plus brûlante soif de divertissement. Un film rondement mené, comme on dit.

La première scène, haletante, joue sur la phobie des tueries aveugles, devenues presque fréquentes aux Etats-Unis. En caméra subjective, elle pourrait faire gloser longuement. Le spectateur est invité à voir à travers la lunette d’un fusil. Autrement dit, il partage la perception visuelle du tireur, l’expérience du psychopathe sans pour autant devoir appuyer sur la détente.

Après la détonation, il regarde les victimes tomber comme des pantins inanimés, comme des statues de pixels dans la fiction d’un jeu vidéo ou dans la réalité d’un enregistrement militaire. On pense au «tireur fou de Washington». On a froid dans le dos. Formé au tir d’élite à l’armée, ce dernier avait terrorisé la capitale américaine en 2002. Il avait tué au hasard dix personnes en trois semaines.

Mais les pilules du bonheur sont toujours prescrites dans un film hollywoodien. L’adoucissant est déversé à haute dose. Ainsi, on ne voit jamais tomber la nounou et l’enfant sous les balles. Une coupure toute pudique épargne le spectateur. Pour l’amadouer au contraire, le film met en scène des méchants vraiment méchants. Au diable la justice pour de telles crapules. Une exécution sommaire fera bien l’affaire. Surtout si elle est menée par un expert en la matière. Jack Reacher, héros solitaire, enquêteur hors pair, par moments sanguinaire, parvient à déjouer la machination. Les cinq victimes de la tuerie aveugle se révèlent des cibles choisies avec discernement.

Tom Cruise est efficace. Pas aussi dense et perçant que dans Collatéral de Michael Mann, mais percutant tout de même. Quant à Christopher McQuarrie, il ne se distingue pas particulièrement comme réalisateur, mais bien comme l’excellent scénariste qu’il est (on lui doit Usual suspects).

Le film rebondit soigneusement et les tours de passe-passe… passent bien. Les scènes de prouesses, trop nombreuses, finissent en revanche par desservir le film. Comme autant de prétextes à la gloire de son acteur vedette.

La soupe est bonne, mais elle reste difficile à avaler. Surtout à quelques jours du drame de Newtown (26 personnes abattues dans une école primaire par un forcené de 20 ans). A l’écran, le plaidoyer pour les armes (à son paroxysme avec Robert Duvall incarnant un vétéran habile et maître de lui-même) provoque un malaise au-delà du carrousel d’effets spéciaux. Ce jeudi, des enseignants de l’Utah suivaient une formation au maniement des armes à feu pour éviter une nouvelle tragédie. Pas sûr qu’ils sachent tirer un jour comme Jack Reacher.

par Yann Guerchanik

Jack Reacher, de Christopher McQuarrie, avec Tom Cruise, Rosamund Pike, Robert Duvall

 

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