Sarclo, prince du mot cru

Gueuler partout comme un putois, son treizième album, montre un Sarclo en grande forme. A la fois salace et raffiné, bien loin de la chanson aseptisée.

sarcloret

par Eric Bulliard

Qui d’autre peut chanter «je voudrais dormir avec toi / et piner, piner, piner dans ton lit» sans être vulgaire? Qui peut se dévoiler à ce point sans être impudique? Manier des mots crus et tendres, émouvoir, déconner, sans jamais être banal? Qui, à part Sarclo, personnage unique dans la chanson actuelle, libre comme pas deux, talentueux comme ce n’est pas permis? Gueuler partout comme un putois, qui vient de sortir, le confirme avec éclat et sans gêne.

Il paraît qu’on devrait dire de nouveau Sarcloret. Depuis qu’il est retourné à Paris et qu’un ancien président a eu la mauvaise idée de presque lui piquer son surnom, il a laissé tomber l’apocope. Mais en Suisse, où il a sillonné les festivals et les arrière-salles improbables, il restera Sarclo. Familiarité naturelle, tant il fait partie du paysage romand, tant il parle droit au cœur de chacun, sans prise de tête: «Je suis chantiste / et je vends des calembredaines / une guitare devant ma bedaine / je fais mon tour de piste.»

Avec la complicité de Napoléon Washington (aux guitares, piano et arrangements), ce treizième album sonne plus âpre, plus blues, parfois tendance foutraque (Découple), souvent parfumé de guitares vintages.

Sarclo continue à explorer ses thèmes habituels, à parler nichons et bêtise humaine. Mais aussi tendresse de père, «amour qui déchante» et qui renaît ailleurs. Avec ce sens de la formule qui fait mouche: «L’amour, c’est de la barbe à papa / c’est des fils de rêve en gros tas / qu’on achète et qu’on finit pas / qui s’écrasent et qui collent aux doigts», chante-t-il dans le touchant A quoi sert l’amour à douze ans.

La finesse derrière le trivial
Sarclo, c’est une de ses forces, n’exclut aucun mot. Alors que la littérature s’est largement affranchie du bien écrire (Ramuz, Céline et Bukowski sont passés par là), la chanson a encore souvent tendance à la joliesse. Rien de tel ici: les mots secouent, dérangent, se révèlent crus, inattendus, choisis avec soin. Et l’on découvre des merveilles de finesse derrière les cochoncetés. Des perles de tendresse derrière la trivialité: «Elle déclare, elle est rigolote / Mon chéri ne sois pas bégueule / si tu trouves que je pue de la gueule / T’auras qu’à me bouffer la motte». N’est-ce pas le plus beau des cris d’amour?

Et puis, il y a ce temps qui passe, qui use les passions et fait perdre les cheveux. Pas de nostalgie mielleuse, juste une prise de conscience: «Je suis plus vieux que n’ont été / ni Pierre Desproges ni Boris Vian.» Et l’occasion d’une allusion à Rimbaud (et Ferré): «On n’est pas sérieux quand on a soixante ans.»

Tant qu’il reste Dylan
Eh! oui, Sarclo a eu 60 ans, voilà qui fiche un coup. L’avantage, c’est qu’il peut désormais jouer avec son fils Albert Chinet à la batterie. Le fameux Albert qui «finit pas son goûter», dans La fille qui nous sert à bouffer (2006), l’une de ses plus belles chansons. Soixante ans et toujours aussi peu d’espoir en l’être humain, comme il le chante dans J’y connais rien, en écho à Du brun (1995).

«Dylan est méchant comme une teigne / Dans la boussole il fait l’aiguille / Son regard est sale comme un peigne…»

Heureusement, si «y’a déjà Desproges au Père-Lachaise», il reste Dylan pour aider à vivre. Sarclo, soudain, devient effrayant, en rappelant qu’un jour, il faudra vivre dans un monde sans le grand Bob… Magnifique chanson, où brille cette image implacable: «Dylan est méchant comme une teigne / Dans la boussole il fait l’aiguille / Son regard est sale comme un peigne…»

Pas d’accord…
Après y avoir rêvé durant des décennies, il ose également une version en français d’It’s allright Ma, I’m only bleeding. Exercice casse-gueule dont il sort la tête haute. Parce que, une fois de plus, il ne fait pas dans la joliesse, mais dans le poisseux, le râpeux qui correspond à Dylan et à ses mots: «Que celui qui s’occupe pas d’être né / S’occupe de crever.»

Ce nouvel album se révèle ainsi à l’image de cet auteur hors pair: bien loin des carcans et de la chanson aseptisée. Sur la pochette, Sarclo écrit: «Je trouve que j’ai beaucoup de chance d’avoir fait ce disque, et ça n’a aucune espèce d’importance.» On a le droit de ne pas être d’accord.

Sarcloret
Gueuler partout comme un putois
Disques Office
notre avis: ♥♥♥

 

 

Posté le par admin dans Chanson romande, Musique Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire