Matthieu Gafsou, les beautés cliniques et ambiguës de l’Eglise catholique

Confiée au Lausannois Matthieu Gafsou, la 8e Enquête photographique fribourgeoise s’intéresse enfin à la religion. Entre constat et critique, les images exposées à la BCU de Fribourg enivrent par leur beauté froide.

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par Christophe Dutoit

Initiée en 1996 par le Service de la culture, l’Enquête photographique fribourgeoise continue de lever peu à peu le voile sur la singularité du canton. Lauréat de cette huitième édition, Matthieu Gafsou s’est attaqué à une thématique à la fois évidente, taboue, fortement passionnée et sujette à la polémique: la religion catholique.

Exposées dès aujourd’hui à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg, les images du Lausannois étincellent au premier regard par leur beauté froide et frontale. Dans un grand format qui fourmille de détails, elles montrent des autels – parfois richement décorés, parfois simple évocation de la Cène – des intérieurs d’églises vides, des confessionnaux d’un autre temps, des ostensoirs mordorés qui rappellent les Fête-Dieu d’antan.

A l’inverse des clairs-obscurs et des atmosphères encensées que véhiculent nos imaginaires, Matthieu Gafsou photographie ces lieux sacrés baignés dans des lumières éclatantes et chirurgicales. Avec sa boîte à outils mi-argentiques mi-digitaux, il joue avec les surexpositions – sa marque de fabrique depuis sa sortie de l’Ecole d’arts appliqués de Vevey en 2008 – et semble passer ses couleurs à l’eau de Javel. Rarement les fidèles catholiques auront vu leur église sous un jour aussi lumineux.

Humains de cire
Bien qu’il ait sillonné le canton de Fribourg en quête de ses chapelles, le photographe de31 ans ne s’est pas borné à les inventorier dans une systématique laborieuse. En décembre 2011, l’ordination épiscopale de Mgr Morerod lui donne un nouvel angle d’approche. D’abord, elle lui offre l’image – toujours aussi surprenante – d’un évêque tapi sur le sol de la cathédrale Saint-Nicolas. Puis les humains entrent en scène, même s’ils ressemblent davantage à des statues de cire sur leur fond noir inspiré des toiles du Caravage.

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gafsoudDurant ses quatorze mois de pérégrinations ecclésiales, comment Matthieu Gafsou a-t-il appréhendé l’Eglise fribourgeoise? «Je l’ai trouvée très déconnectée avec le présent. Ce qui est à la fois beau et terrible, car elle est hors du temps et hors du monde. D’une certaine manière, c’est très poétique.» Dans ses images, il avoue ne rien avoir mis en scène, car «tout est déjà très théâtralisé, avec ses propres rituels, ses propres costumes, ses propres décors».

Critiques divergentes
Catholique distancié de la religion, Matthieu Gafsou n’a pas cherché à attaquer frontalement l’Eglise. «J’ai essayé d’éviter le pastiche et le grotesque, même si je reste à la frontière. En fait, je recherche l’ambiguïté.»

Avant même que la série Sacré ne soit exposée, le Lausannois a déjà reçu des critiques très divergentes. «Certaines étaient très négatives. Mais j’ai aussi entendu des remarques de catholiques que mes images n’ont pas dérangés.»

Malgré l’appui du canton, commanditaire de l’enquête qui lui a laissé une totale liberté d’expression, Matthieu Gafsou a ressenti de fortes réticences de la part de certains religieux. «Une partie d’entre eux s’est malgré tout prêtée au jeu. Mais d’autres portes sont restées closes jusqu’au terme du projet», regrette-t-il aujourd’hui. Sans doute que d’aucuns ont craint de faire ainsi entrer le loup dans leur bergerie…

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A l’image de précédentes enquêtes qui abordaient les thèmes de l’école, de l’aménagement du territoire ou de la chasse, le travail de l’enseignant à la Haute école d’art de Lausanne (ECAL) questionne, dérange et divise les opinions. Et ce, d’autant plus que ses images irradient d’une beauté clinique presque irréelle. Des photographies qui, quoi qu’il en soit, ne laisseront indifférents ni les fidèles ni les détracteurs de la religion catholique. Au pire, leur esthétisme très recherché ravira même les autres.

 

 

Matthieu Gafsou
Sacré
Editions BCU/IdPure.

Fribourg, Bibliothèque cantonale et universitaire, jusqu’au 2 mars 2013, lu-ve 8 h-22 h, sa 8 h-16 h. Vernissage ce jeudi à 18 h. Infos: www.fr.ch/bcuf

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