Tarzan, le chaînon manquant

Tarzan, le seigneur de la jungle, a cent ans cette année. Une bonne occasion de retourner aux sources de la légende avec la réédition des premiers romans d’Edgar Rice Burroughs.

par Romain Meyer

Octobre 1912. Il y a tout juste un siècle, naissait dans les pages du magazine All-Story un être de l’entre-deux, Tarzan, homme au pays des singes, à moitié aristocrate anglais (Lord Greystoke), à moitié créature de la jungle. Par son intelligence et son couteau, il a appris à la dominer. Il ira même jusqu’à fonder une famille dans cet endroit pourtant peu propice. Mais peut-être moins dangereux que certaines villes.

Le Mowgli de Rudyard Kipling? Romulus et Rémus, héros romains élevés sous la louve? Gaspard Hauser, le plus fameux des faux enfants sauvages? Ou la lecture peu probable de Rousseau? Difficile de dire ce qui a le plus influencé l’écrivain américain Edgar Rice Burroughs (1875-1950) pour sa création. Elle est en tout cas le fruit de son époque, qui vit sur un tonneau de poudre avec la mèche allumée. Un malaise qui prendra deux visages dans la littérature populaire, Fantômas et Fu Manchu.

L’époque foisonne aussi de justiciers, d’espoirs que les personnages de papier peuvent personnifier. En quelques années, une nouvelle mythologie est offerte aux consciences du XXe siècle débutant, avec la création de personnages emblématiques: Sherlock Holmes (1887), Arsène Lupin (1905). On remarque aussi le retour de Robin des Bois et de Guillaume Tell. Tarzan apparaît donc en 1912 et Zorro sept ans plus tard. L’Occident s’offre des héros modernisés et une nouvelle mémoire, comme le souligne Claude Aziza dans un récent essai, drôle et savant, Toi Tarzan, moi fan

«Un homme blanc beau comme un dieu […] qui possède la force d’un éléphant, l’agilité d’un singe et le courage d’un lion.»

Une série qui marche
Burroughs n’en a certainement cure: pour lui, écrire est un métier comme un autre, pas une vocation. Si une série marche, il continue. Sinon, poubelle. Il avait connu un premier succès au début de l’année 1912 avec La princesse de Mars (les aventures de John Carter adaptées l’an dernier au cinéma par Disney, qui s’en mord encore les doigts). Rebelote avec Tarzan. Les lettres d’admirateurs affluent, donnant conseils ou menaces. Pointant certaines erreurs: non, il n’y a pas de tigres en Afrique.

Et Tarzan dans tout cela? «Un homme blanc beau comme un dieu […] qui possède la force d’un éléphant, l’agilité d’un singe et le courage d’un lion.» Il y a là toute la puissance de l’Afrique. Comment donc Jane, jeune Américaine intrépide, aurait-elle pu résister? Et les lecteurs? Les Etats-Unis de Burroughs viennent de terminer la conquête de leur Ouest sauvage, la jungle africaine constitue bien un nouveau lieu de mystères et d’aventures.

Voilà le maître mot: aventure, sans autre prétention. En vingt-sept romans (dont les cinq premiers sont réédités chez Omnibus), quinze nouvelles et une pièce de théâtre, Burroughs va faire voyager son héros sur plusieurs continents et au cœur d’un continent noir fantasmé, où tout est possible, où tous les mondes oubliés se retrouvent: Tarzan visitera une société «romaine», une autre médiévale et surtout Opar, reste de l’Atlantide. Sans parler de dinosaures, d’hommes-fourmis…

L’icône Johnny Weissmüller
Au-delà des romans, Tarzan reste pour beaucoup une image en noir et blanc, un héros ayant les traits du quintuple champion olympique de natation, l’Américain Johnny Weissmüller. Il faut dire qu’il incarnera le personnage pendant douze films (disponibles en coffret DVD). En tout, ce sont 21 acteurs qui vont prendre le rôle de Lord Greystoke dans 43 films… Il y a là de quoi fortifier un mythe.

Autant Burroughs a été dépassé par le succès littéraire de son personnage, autant ses romans vont s’effacer devant les films. En 1932, par exemple, pas moins de trois longs métrages labellisés Tarzan sont produits. Mais toujours l’histoire est résumée, tronquée, avec des éléments colonialistes, voire racistes, opposés à l’idée de l’auteur qui avait fait de son Tarzan un être parfait, un espoir pour l’humanité, prenant le meilleur de la culture et de la nature.

Jamais de lianes…
Des éléments sont aussi modifiés: par exemple, dans les romans, Tarzan n’utilise jamais de lianes pour se déplacer… La guenon Cheeta constitue aussi un ajout filmique (et était en fait un singe mâle!). Que dire du «Moi Tarzan, toi Jane», réplique ultracélèbre qui, comme le fameux «élémentaire, mon cher Watson» de Sherlock Holmes, n’a jamais été écrite ni prononcée…

Enfin, une grande partie du succès du seigneur de la jungle tient à l’adaptation en bande dessinée qui en sera faite dans les journaux, que ce soit en strips quotidiens ou en pleine page le dimanche. Il aura même un magazine à son nom. Mais s’il ne fallait retenir qu’un nom, c’est celui de Burne Hogarth, dont le trait dynamise, dès 1936, les aventures de Tarzan notamment dans de superbes noirs et blancs. Idéal pour celui dont le nom en langue des singes veut dire «Peau blanche». Et qui n’a pas pris de rides en un siècle.

Claude Aziza
Toi Tarzan, moi fan
Klincksieck
notre avis: ♥♥♥♥ 

Edgar Rice Burroughs
La légende de Tarzan
Omnibus
notre avis: ♥♥♥

 

 

Posté le par admin dans BD, Cinéma, Littérature Déposer votre commentaire

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