Led Zeppelin, la classe des grands seigneurs

Dissous après la mort de son batteur, John Bonham, en 1980, Led Zeppelin est remonté sur scène le 10 décembre 2007. Pour un unique concert, simplement prodigieux, qui sort enfin en film et en disques.

par Christophe Dutoit

Dans la pénombre de la salle O2 de Londres, des centaines d’écrans mobiles filment déjà depuis quelques secondes. Longue attente. Sur le fond de scène, une vieille télévision diffuse un reportage daté de 1973. Le reporter raconte que Led Zeppelin vient de jouer devant une plus large audience que les Beatles au mythique Shea Stadium… Puis il égrène les noms des protagonistes: John Paul Jones à la basse, Jimmy Page à la guitare, Robert Plant, le «chanteur aux longs cheveux bouclés», et John Bonham, à la batterie. Lumière noire avant l’explosion. Cinq violents coups de semonce et les lumières s’allument enfin sur le moment le plus attendu par l’histoire du rock’n’roll depuis vingt-cinq ans. Ce 10 décembre 2007, Led Zeppelin ressuscite sur scène le temps de deux heures d’extase.

Depuis l’automne 1980, plus personne ne pensait voir les Anglais redonner un vrai concert. Sabordé après la mort de John Bonham (retrouvé étouffé dans son vomi comme Jimi Hendrix ou Bon Scott, premier chanteur d’AC/DC), Led Zep a certes donné quelques prestations maladroites, comme lors du Live Aid 1985, avec Phil Collins à la batterie… Un crève-cœur.

Du coup, imaginez le vacarme qu’a provoqué l’annonce du concert londonien en hommage à Ahmet Ertegün, légendaire patron du label Atlantic Record, décédé l’année précédente. La légende raconte même que vingt millions de fans se seraient inscrits pour obtenir un sésame pour la soirée…

Félin magnétique
Dès les feulements initiatiques de Good times bad times, premier titre du premier album de Led Zeppelin, les trois rescapés n’ont rien perdu de leurs vieux réflexes. Avec Jason Bonham derrière les fûts – le fils frappe aussi lourd que feu son père – le groupe a retrouvé sa masse sonore des années septante. Bien qu’il ne monte plus aussi haut dans les aigus, Robert Plant est redevenu ce félin magnétique, ce lion seigneurial à la crinière virile, capable de tenir en haleine le public sans bouger de son micro.

Avec un son vintage qui sonne paradoxalement très actuel, Led Zep gagne en efficacité ce qu’il a perdu en folie créatrice et en fioritures improvisées

A sa droite, Jimmy Page extorque de ses Gibson les riffs vénéneux qui l’ont porté au firmament des guitaristes les plus influents de l’histoire. A l’opposé de la scène, John Paul Jones tient la baraque derrière sa basse. Faussement considéré comme l’homme de l’ombre, il montre à quel point il est indispensable à la magie du groupe, notamment lorsqu’il s’assied aux claviers (quelle version crasseuse de Since I’ve been loving you!). Rarement groupe de rock n’aura affiché autant de classe sur scène.

Compact et homogène
Après six mois d’intenses répétitions en grand secret, Led Zeppelin sonne prodigieusement bien. Aussi bien musicalement que visuellement – les musiciens s’éloignent rarement de plus de deux mètres l’un de l’autre – le groupe est compact et homogène comme aux plus belles heures des seventies. Avec un son vintage qui sonne paradoxalement très actuel (le fantastique No quarter, l’un des sommets du concert), Led Zep gagne en efficacité ce qu’il a perdu en folie créatrice et en fioritures improvisées.

Jamais brouillés au demeurant, les trois rescapés revisitent leur répertoire avec des sourires de connivence. Le blues meurtri de Dazed and confused permet à Jimmy Page de s’envoler dans un extraordinaire solo à l’archet. Tandis que Stairway to heaven renoue avec son inouïe montée en puissance, Kashmir joue avec ses réminiscences à la fois martiales et orientales, alors que Whole lotta love et ses incantations jubilatoires mettent à genoux un public aux anges.

Au terme de deux heures de nostalgie, le concert s’achève sur Rock and roll et un seul regret. Led Zeppelin a livré là son testament et ne remontera sans doute plus jamais sur scène. A moins d’un second miracle…

Led Zeppelin, Celebration day, Atlantic/Warner. Disponible en version DVD, blu-ray et double CD

 

En trois albums évidents

Led Zeppelin I (1969)
Prodige de la guitare et prolixe musicien de studio durant les années soixante, Jimmy Page forme Led Zeppelin en 1968 sur les cendres des Yardbirds. En octobre, le groupe enregistre son premier album en deux jours, au retour d’une tournée en Scandinavie qui a forgé sa cohésion autour de racines blues distordues, de gros riffs précurseurs du heavy metal et d’instrumentations acoustiques subtiles. Avec des titres comme Good times bad times, Dazed and confused ou Communication breakdown, le groupe pousse dans les cordes un jeu hérité à la fois des Rolling Stones et de Jimi Hendrix. Led Zeppelin atteint dès lors son paroxysme sur scène, où les morceaux s’étirent en de longues improvisations hallucinées.

Led Zeppelin IV (1971)
Après avoir dynamité le blues avec ses riffs acérés et ses complaintes haut perchées (Whole lotta love sur l’album II ou Immigrant song sur le III), Led Zeppelin grave, en 1971, son quatrième album en moins de trente mois (!). Dès sa sortie, l’album IV s’avère le chef-d’œuvre tant attendu. Aujourd’hui, ses cinq premières chansons demeurent un cycle insurpassable: Black dog et son riff imparable, Rock and roll et sa rythmique frénétique, The battle of Evermore et ses guitares acoustiques en lévitation, Misty mountain hop et son phrasé syncopé. Mais surtout Stairway to heaven, prototype de la chanson rock par excellence, avec son intro délicieusement doucereuse et sa monstrueuse montée en puissance jusqu’à l’explosion finale. Un must, même quarante ans près.

Physical graffiti(1975)
Jamais aussi à l’aise que devant son public, Led Zeppelin poursuit ses inlassables tournées. Machine de guerre sur scène, le groupe devient la clé de voûte d’une certaine contre-culture qui affiche clairement sa vocation drug, sex & rock’n’roll. Durant plus de trois heures, les titres sont malaxés, triturés, réarrangés selon l’humeur du jour. Une démarche qui se prolonge en studio avec l’enregistrement de Houses of the Holy, en 1973, où le groupe n’hésite pas à lorgner du côté du reggae (D’yer mak’er) ou du funk (The crunge), quitte à décontenancer ses fans. En 1975, le quartet publie Physical graffiti, succès commercial avec des titres emblématiques comme Kashmir ou Trampled under foot. La mort de John Bonham sonnera le glas du groupe en 1980.

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