L’énergie fiévreuse de M

Trois ans après Mister Mystère, M sort un nouvel album intense et fougueux. En trio en studio et sur scène, il revient à l’essentiel. La Gruyère l’a rencontré la semaine passée, dans un hôtel cosy, avec vue sur le jet d’eau de Genève.

par Christophe Dutoit

En 2003, vous disiez dans La Gruyère: «J’ai l’orgueil d’essayer d’être unique.» Neuf ans plus tard, comment faites-vous pour y parvenir toujours aussi bien?
Je respecte énormément les artistes et je suis même fasciné par beaucoup de talents. Mais j’ai l’impression de ne pas en être. D’être hors compétition. Parce que, bizarrement, je n’ai rien à perdre. C’est peut-être prétentieux. Mais j’ai l’impression d’avoir cette liberté, depuis toujours, de faire ce que j’aime. Avec le miracle, pour l’instant, de trouver un public. Si ce n’était pas le cas, je ferais autre chose. Je suis aussi musicien, je pourrais accompagner des gens. Je ne me raccrocherais pas à ça comme à quelque chose de vital. Même si, bien entendu, M remplit ma vie et fait partie de ma réalité.

Finalement, vous l’avez parfaitement choisie, cette liberté…
Se payer une liberté est une passion difficile, fragile, remplie de doute, qui demande du travail et de la rigueur. Mais, pour moi, ce n’est pas un travail. C’est une expression.

Toujours dans cette interview, vous repreniez à votre compte des paroles de Charélie Couture: «Un artiste définit son style sur trois albums. Le premier est un point au milieu de nulle part, d’où il peut encore aller n’importe où. Avec le deuxième, il trace une ligne, qui montre une direction. A partir du troisième disque, il s’enferme dans un triangle.» Qu’en est-il aujourd’hui de votre triangle?
Je pense que ce triangle existe par rapport au regard de l’autre. Le public se voit dans cet espèce de terrain de jeu-là. Après, à toi de sortir de cette règle. Ou pas… J’aime bien l’espace. Plus il est grand, plus il y a de place pour l’imaginaire. Au mien et à celui de l’auditeur. J’ai besoin de laisser la porte ouverte dans mes chansons. Avec ce nouvel album, j’ai essayé d’être dans l’économie des mots et de laisser de la place pour que chacun s’approprie la chanson et se raconte une histoire.
 

Malgré l’éclectisme de ce nouvel album, on sent toujours votre patte. Est-ce un signe de cette liberté que vous vous octroyez?
Je suis un très mauvais imitateur. Malgré moi, ma façon de jouer, de parler, de chanter, est personnelle parce qu’elle est très intégrée. Que je fasse une reprise ou l’une de mes chansons, même guitare-voix, c’est déjà mon univers. Je l’accepte et je lâche prise. A l’image de cette voix, qui n’était pas forcément un atout à la base, mais qui est devenue une marque de fabrique.
 

A la première écoute du single Mojo, on se dit que M revient à quelque chose de plus primitif, de plus rentre-dedans. Comment avez-vous envisagé ce titre?


Il est arrivé de cette rencontre avec Brad Thomas Ackley et Dorion Fiszel. On est partis dans le désert de Los Angeles. Saraï, la sœur de Dorion, m’a fait écouter un morceau de ce groupe. Je me suis dit: «Tiens, ils font de la musique d’aujourd’hui!» Mojo, c’est vraiment le début de la réflexion: c’est quoi, faire de la musique aujourd’hui? Cet album est ma conception du rock de 2012: primitif, basique, pur et simple. Avec des outils d’aujourd’hui, des effets spéciaux, des machins, un son particulier, une énergie très puissante.

L’album contient deux autres titres énergiques, dont La grosse bombe, un vieux titre que vous avez ressuscité…
C’est un morceau de mes débuts, qui a revu le jour avec cette énergie primaire et frontale. Tout à coup, il a pris un sens. Je l’avais joué durant mes premiers concerts, mais personne ne le connaît. Il est ressorti du placard avec toujours cette pointe d’humour et de dérision. C’est une chanson un peu adolescente, sur l’agacement de cette mascarade politique, un petit cri. Je ne voulais pas enfoncer des portes ouvertes, du genre «la guerre c’est pas bien, les racistes sont méchants». J’ai essayé d’être subtil. Mon père a tellement bien exprimé ces choses-là à l’époque. Je n’ai jamais été direct avec ce genre de textes. Je préfère les dire avec poésie.

Une des traductions arabes de Chedid veut dire «intense». Ça me correspond bien.

Ces chansons vont tabasser sur scène. Avez-vous pensé à cela au moment de la composition?
Oui, j’ai toujours ressenti ce disque sur scène, même les parties plus épiques. Une des traductions arabes de Chedid veut dire «intense». Ça me correspond bien.

Comment les chansons sont-elles nées?
Dans mon home studio, à Paris. J’ai joué beaucoup d’instruments, les batteries, les basses, les guitares. De manière expérimentale, ludique, dans la joie d’inventer des sons, des univers. Je jouais tandis que Brad, Dorion et Hocine (un ami) recyclaient les sons. On a créé cet univers au fil de neuf mois de travail, avec cette ambition d’obtenir un son singulier – comme toujours – mais avec une nouvelle proposition, différente de celle d’il y a dix ans.

A quel moment arrivent les textes?
Ce sont des petites pierres sur un chemin. Au bout de deux ans, lorsqu’on se retourne, on voit le résultat. Avec l’équipe, on a sélectionné les chansons les plus cohérentes. Elles sont comme des instantanés, arrivés assez rapidement. J’ai tendu vers la subtilité, l’aboutissement, l’économie des mots pour en dire davantage. On sera également trois sur scène. Non pas un trio sixties façon Jimi Hendrix, qui est de toute façon une référence, mais un trio avec l’énergie d’aujourd’hui.

Sur scène, passerez-vous en revue vos autres morceaux de votre carrière à la moulinette du trio?
On a déjà expérimenté ce trio au Brésil ou à Los Angeles. C’est très excitant. Je retrouve l’énergie de mes débuts, c’est fiévreux. Ça envoie un truc animal, proche de la transe. A l’image du disque, j’ai l’impression de passer un cap. La quarantaine? Deux fois vingt ans! A quarante ans, on devient davantage un homme. Les souvenirs du Baptême ou de l’avant M sont très proches. Je pourrais jouer dans la rue, je serais aussi content [n.d.l.r.: quelques jours après l’interview, M a improvisé un concert gratuit dans le métro parisien]. Je ne suis pas attaché au succès comme quelque chose de vital. Ce qui m’intéresse est de vivre ma musique, à petite ou à grande échelle. Le succès est une conséquence heureuse. Pas un but…

Pour parler de succès, que retenez-vous de vos collaborations avec Johnny Hallyday, Vanessa Paradis ou Marcel Kanche?
Des rencontres humaines. Elles m’ont appris beaucoup sur moi, elles m’ont nourri. Ils m’ont transmet généralement des expériences, des histoires, des choses qui m’inspirent. Avec Marcel Kanche, on se suit depuis très longtemps. C’est quelqu’un d’à part, avec une poésie rurale, terrienne, qui me touche. On est assez différents, mais très liés. Au même titre que Johnny. Avec Marcel Kanche, ça reste intimiste, car les gens ne le connaissent pas trop. Vous êtes le deuxième à m’en parler aujourd’hui, signe qu’il a une résonance particulière en Suisse. Pour moi, travailler avec Johnny ou Marcel, c’est la même excitation, le même engagement, le même plaisir. Et peu importe la reconnaissance. A l’image de Brad et Dorion, qui n’avaient pas fait de disque avant… Je suis davantage attiré par le talent et le magnétisme que par la reconnaissance.

Que ressentez-vous lorsqu’ils chantent vos compositions?
C’est toujours génial et très valorisant d’écouter une chanson de soi par quelqu’un d’autre. On l’entend avec recul et distance. Elle n’est plus vraiment ta chanson. C’est comme un tailleur porté par l’autre… J’aime partager mon univers. Lorsque je me suis offert le luxe d’accompagner Vanessa sur scène, j’ai trouvé l’expérience géniale. M voyage, change d’apparence à chaque album. Il me rappelle que je suis encore en vie, que je rebondis, que je me remets en question, que je me renouvelle…

Sur scène avec Vanessa Paradis, vous avez sans doute dû lâcher prise…
Oui, d’autant plus que ce rôle est naturel pour moi. J’ai d’abord été accompagnateur. Etre chanteur était plutôt une fantaisie. Je l’ai fait comme une parenthèse. Je n’y croyais pas plus que ça, même si j’y croyais beaucoup. Dans ma tête, j’étais davantage programmé pour accompagner les autres.
 

Du coup, en cherchant sur Youtube, on tombe sur une duo avec Sean Lennon où vous reprenez Little wing

On peut autant prendre beaucoup de temps pour concevoir un disque, que saisir un moment futile, sans travail. Finalement, ça a presque autant d’importance, parce que les deux existent, parce que la fragilité est parfois aussi fascinante que la maîtrise. Pour mettre en valeur la fragilité, il faut de la maîtrise. Et vice-versa. Sur ce disque, certaines voix ont été enregistrées en une prise…

Justement, conservez-vous une marge de manœuvre sur scène?
J’espère ne pas trop ennuyer le public. C’est important de le contenter en proposant des choses subtiles, pas forcément convenues, si possible spectaculaires et jouissives. Le trio amène encore davantage de liberté. On peut même inventer sur place n’importe quoi. L’improvisation sera, j’espère, très présente, car on a le luxe de faire ce qu’on veut.

Pour cette tournée, vous avez sans doute créé une nouvelle guitare…
Oui, je l’avais conçue pour moi, mais Brad s’en sert finalement sur scène. Elle est composée de deux cordes de basse et quatre cordes de guitare sur une forme de Strat’: un micro horizontal pour la basse et un vertical pour la guitare, un pad et un jack stéréo branché sur deux amplis, ce qui permet de jouer guitare et basse à la fois. Si on ferme les yeux, on ne peut pas imaginer qu’on n’est que les deux sur scène…

Ambitieux et déjanté

Plus que jamais, M fait ce qu’il veut avec l’aisance d’une allumette un 14 juillet. Qu’il se la joue glam rock déjanté (le tube Mojo, dopé à la testostérone) ou qu’il expérimente des boucles électro-japonisantes bruitistes (l’incroyable Machine), le personnage inventé par Matthieu Chedid semble toujours aussi indomptable. Guitariste hors pair, il parvient à mettre sa virtuosité en sourdine, pour esquisser des épopées délirantes (Elle, La maison de Saraï), des aventures latinos (Baïa) ou des hymnes rock’n’roll (Faites-moi souffrir, La grosse bombe) prêts à dynamiter la tournée de printemps qui s’annonce complètement survoltée.

M
îl
Universal
notre avis: ♥♥♥ 

En concert au Caprices Festival, le 8 mars 2013.

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