Un roi Ubu excentrique pour naître sur scène

Samedi au Bicubic, la compagnie bulloise Les Héritiers montait sa première création avec un Ubu roi grotesque à souhait.

par Christophe Dutoit

D’abord, quel texte! Cent douze ans après sa première, Ubu roi d’Alfred Jarry a conservé toute sa verte acidité, tout son humour décalé, toute sa capacité à tourner en grotesque l’idiotie du monde. Un siècle après avoir fait scandale à sa première en décembre 1896, cette pièce précurseur du surréalisme et du théâtre de l’absurde n’a pas pris une ride. Même si le public d’aujourd’hui tend à davantage se poiler de son ton burlesque qu’à monter aux barricades contre ses intentions.

Devant un parterre du Bicubic à moitié rempli, la compagnie bulloise Les Héritiers a choisi ce texte pour sa première création, que son metteur en scène Julien Pochon voulait «outrageusement excessive et absurde». Le moins que l’on puisse dire est que ce pari a pleinement réussi. Dans le rôle de Père Ubu, Julien Pochon campe une sorte de bouffon hystérique, maquillé comme un Pierrot (ou un Joker quand le fard tend à suinter). Jamais très loin des personnages hilarants de Rowan Atkinson, il décline son savoir-faire de comédien formé à Paris, usant de la pantomime ou de ses grands yeux dans un registre clairement burlesque.

Toujours à cent à l’heure, parfois un brin trop criard, il tient sur la longueur ce Père Ubu fascinant de perversion. Pour lui donner la réplique, Floriane Mésenge joue une Mère Ubu moins spectaculaire, mais d’autant plus crédible, tandis que Pierre Gendre incarne un Bougrelas irrésistible.

Surtout, Julien Pochon a opté pour une mise en scène qui joue avec les codes du théâtre. En choisissant de montrer l’envers du décor, il décortique les mécanismes de la scène avec de jolies trouvailles. Présents systématiquement sur le plateau, deux techniciens (Fabienne Barras et Pierre Gendre) éclairent les acteurs à la lampe de poche (ou avec un sabre laser à la Dark Vador), saupoudrent de la poussière de neige depuis une échelle ou déplacent les deux éléments du décor en parallèle à l’action.

Bien que parfois un peu scolaires, voire extrêmes – lorsque le plateau se transforme en piste de danse, avec stroboscope et musique techno de circonstance – ces astuces de mise en scène permettent de densifier le jeu des acteurs. Tout en ajoutant – encore – une nouvelle dimension au grotesque de ce pamphlet décidément indémodable.

Romont, Bicubic, samedi 10 novembre, 20 h. Réservations: 026 651 90 51 ou www.bicubic.ch

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