Noir Désir, autopsie d’une meurtrissure

Aujourd’hui sort A l’envers, à l’endroit, la première biographie crédible de Noir Désir après le drame de Vilnius. Au-delà de la polémique, elle raconte la poésie rageuse et les zones d’ombre de son chanteur Bertrand Cantat.

par Christophe Dutoit
noirdesirComme si le simple fait d’évoquer Noir Désir était déjà un gros mot… La semaine passée, alors même que la biographie A l’envers, à l’endroit était encore sous presse (elle sort aujourd’hui), la polémique enflait autour de la page 213. Dans la bouche du batteur Denis Barthes, l’auteur Marc Besse raconte l’implosion du groupe, en 2010: «Nous étions tous assis là. D’un coup, dans la discussion, Bertrand a complètement changé et s’est comporté comme une ordure. Il s’est positionné comme une victime. Vilnius n’était pas de sa faute. Comme si Marie avait glissé sur une savonnette. […] Il nous a tous accusés d’avoir besoin de sa notoriété. Il était en plein délire. J’ai vite compris son jeu. Il a fait avec nous ce qu’il a toujours fait avec les femmes et les copines depuis que je le connais: quand il a envie de rompre, il pousse les gens au bout de leurs limites pour que ce soit eux qui mettent fin à l’histoire et lui évitent de prendre ses responsabilités. Il ne sait pas s’arrêter et préfère fuir. […] On répétait depuis des semaines et des semaines. Tout était prêt pour passer à l’enregistrement. Mais il n’avait pas fini un seul texte… Il a eu peur, il a voulu se défiler peut-être.»

L’aridité des mots peine à masquer la cruauté de ce point final. Problème: cette confession entre quatre yeux n’était pas censée atterrir dans le livre… En bon journaliste, Marc Besse ne pouvait plus occulter les zones d’ombre qui précipitent à nouveau Bertrand Cantat dans les ténèbres. Déjà biographe sensible d’Alain Bashung, il déroge à la sacro-sainte règle du off (l’objet de la polémique) et assume les propos de Denis Barthes pour mieux cerner les contours du personnage central de cette meurtrissure, ce chanteur du plus important groupe de rock français de la fin du siècle, coupable de l’homicide de son amante, Marie Trintignant, à Vilnius en 2003 «Une actrice fauchée sur les clous par un chauffard des rapports humains.»

«Mécano du malheur»
Neuf ans après une première esquisse (aux Editions J’ai lu), Marc Besse «décortique ce mécano du malheur, cet effroyable effondrement de dominos, pour faire l’autopsie d’un tel gâchis». Aux antipodes de l’hystérie collective qui a suivi le drame, il s’attache à fouiller le passé, à raconter les tenants et aboutissants de l’histoire de Noir Désir. Pour comprendre.

Dans un texte condensé, il revient sans pathos sur la genèse de Noirs Désirs (remarquez le pluriel) et ce concert, en 1981, à la Fête de l’humanité. A l’époque, loin du mai de Mitterrand, le rock bordelais est en ébullition.

Arrivé du Havre quelques mois plus tôt, Bertrand Cantat rencontre le guitariste Serge Teyssot-Gay. Adolescent rebelle en perpétuel conflit – «à l’école, je ne cherchais qu’à faire vaciller l’autorité» – il s’évade dans la musique. Ses mentors: Bashung et Gainsbourg bien sûr, mais aussi les Doors et surtout le Gun Club et son chanteur Jeffrey Lee Pierce. Même s’ils assument une cinquantaine de dates par année, les Noirs Désirs restent des intermittents qui bouclent les fins de mois comme roadies de Peter Gabriel.

Après un premier essai en 1987, le groupe perd ses S et touche au Top 50 avec Aux sombres héros de l’amer en 1989. «A Bordeaux, les petites aigreurs ont fait place à la fierté, même si certains se réveillent encore le matin avec l’envie de pisser froid», image Marc Besse. Le tube tourne sur les radios, mais le groupe refuse de sacrifier son intégrité pour se déculotter en prime time chez Foucault.

«Soyons désinvoltes»
Ce suicide marketing resserre les liens du gang autour de brûlots rageurs tels A l’arrière des taxis ou Les écorchés, hymnes rassembleurs d’une jeunesse en mal de nouveau Trust ou Téléphone. 
En 1992, Tostaky «pénètre par effraction dans les foyers les plus reculés de France». Après avoir humé l’air grunge et hardcore des Amériques, Noir Désir reprend en chœur: «Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien!»

Dans l’œil du cyclone (il travaille alors pour Les Inrockuptibles), Marc Besse fait valoir ses connaissances encyclopédiques sur un groupe qu’il côtoie fréquemment. Avec le souci du détail évocateur et du témoignage clé, son récit se lit comme la chronique d’un succès annoncé, malgré les soucis de cordes vocales de Cantat ou les escapades solitaires de Teyssot-Gay.

Seule manque finalement à ce récit la version des principaux intéressés, acteurs pudiques d’une tragédie bien trop publique à leur goût.

Tout semble rouler, même la sortie – le 11 septembre 2001 – du dernier album studio, Des visages, des figures, et de son titre prémonitoire. «Ça y est, le grand incendie / Y’a l’feu partout, emergency / Babylone, Paris s’écroulent / New York City, Iroquois qui déboulent.»

«Jusqu’ici, tout va bien, disait La haine de Kassovitz. L’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.» Pour Bertrand Cantat, ce sera le crash. Depuis 2003, les bons tuyaux de Marc Besse se sont taris. Finies les confidences et les révélations. Il s’en tient aux faits. La prison, le retour en France, l’enregistrement du Temps des cerises sont passés au scalpel. Le biographe ne s’accorde aucun répit, pas même le suicide de Kristina Rady, l’épouse de Cantat, en janvier 2010. Seule manque finalement à ce récit la version des principaux intéressés, acteurs pudiques d’une tragédie bien trop publique à leur goût. C’est là la seule faiblesse de ce livre indispensable. Pour mieux comprendre.

Marc Besse
A l’envers, à l’endroit
Editions Ring

 

Posté le par admin dans Chanson française, Littérature, Musique Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire