La vie au vol selon Alphonse Derungs

Les fonds photographiques du Musée gruérien se sont enrichis, en 2010, des images d’Alphonse Derungs, dentiste bullois et amateur éclairé. Une exposition lève le voile sur l’œil de cet humaniste.
 

par Christophe Dutoit

«Facétieux, humaniste, un peu farceur, très à l’aise avec ses modèles, catholique conservateur, photographe amateur, mais éclairé et inspiré…» En quelques adjectifs, le portrait d’Alphonse Derungs (1910-1961) est esquissé par Christophe Mauron, conservateur du Musée gruérien, qui expose dès samedi une sélection de ses photographies, données en 2010 à l’institution bulloise.

Une image résume très bien ce propos (en haut à droite): une jeune fille attablée dans un bistrot (le côté humaniste) feuillette l’Echo illustré (le côté catholique) avec une cigarette à la main (le côté facétieux). A l’aide de son Rolleiflex 6 x 6 cm, Alphonse Derungs habite son carré d’une composition asymétrique et d’une subtile lumière en contre-jour (le côté amateur éclairé). C.Q.F.D.

Dentiste farceur
«Alphonse Derungs devait être connu et apprécié à Bulle, poursuit Christophe Mauron. C’était un farceur. Un jour, quelqu’un lui demande sa profession. Plutôt que de lui tendre sa carte de visite, il sort de sa poche… un dentier.»

Grison d’origine, le dentiste avait en effet ouvert son cabinet à Bulle en 1949, après avoir grandi à Fribourg. Membre du Club alpin et des Tréteaux de Chalamala, il ne tarde pas à photographier de l’intérieur cette vie associative qu’il observe avec son regard pétri d’humanité.

Avec l’insouciance de l’amateur (il aurait pris des cours auprès de Benedikt Rast et à l’école de Vevey), il capte «la vie au vol», selon la belle expression de Christophe Mauron. Avec son comparse Robert Chapelle, il réquisitionne la salle de bain de son cabinet pour développer ses négatifs. Sans vraiment, à ce qu’on sait, en tirer des épreuves.

Aujourd’hui, soixante tirages jet d’encre de très grande qualité rendent justice à ce millier de négatifs qui ont rejoint les fonds photographiques du Musée gruérien. Parmi eux, on retrouve des photos de famille, où son épouse Liliane joue les (top)-modèles de circonstance. «Il consacre également une série aux capucins – à qui il omet parfois de facturer ses services, lit-on dans La Gruyère du 28 septembre 1996 – à son cabinet de dentiste ou encore aux petits soldats du Mardi gras dans l’Intyamon, sans doute une commande d’Henri Gremaud, ancien conservateur du Musée gruérien qu’il côtoie au sein des Tréteaux.»

Optimisme et légèreté
«Alphonse Derungs parvenait à mettre à l’aise ses modèles, analyse Christophe Mauron. La fraîcheur de son regard lui permet d’obtenir des images assez optimistes et légères.» Du coup, le visiteur découvrira dans ses clichés la Gruyère de l’après-guerre, une Gruyère à la charnière de la modernité, montrée au travers de cadrages dynamiques qui contrastent avec les images plus posées de l’atelier Glasson.

Deux seuls tirages dérogent à cette règle dans l’accrochage bullois: deux portraits de sa mère et de son père, au crépuscule de leur vie. Des images d’une beauté prodigieuse, baignées d’une lumière apaisée, comme pour rendre la mort prochaine moins dramatique.

Tout le contraire de son subit décès en 1961, dans les bras de sa femme, lors d’une retraite spirituelle en France. Alphonse Derungs n’était âgé que de 51 ans.

Bulle, Musée gruérien, Le bonheur de vivre, photographies d’Alphonse Derungs, jusqu’au 3 mars 2013. Vernissage ce vendredi à 18 h 30. Infos: www.musee-gruerien.ch

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