Dire «merdre» à tout, puisque «jeu» le veut

Le Bicubic accueille samedi le tonitruant Ubu roi, d’Alfred Jarry, première création de la compagnie Les Héritiers. Rencontre avec le metteur en scène et comédien bullois Julien Pochon.

par Katharina Kubicek
 

Ubu roi, pièce potache avec sa fameuse interjection «merdre!», est aussi un grand classique. Un choix audacieux pour une première mise en scène?
C’est ce qu’on me dit de toutes parts! La lecture de la pièce de Jarry a été comme un instant zéro: Ubu roi m’a électrifié. C’est sanguin, burlesque, extrême, tout à fait en consonance avec mon univers personnel. Ecrit en 1896, le texte est intemporel: il parle de personnages despotiques, manipulateurs, avides de pouvoir et d’argent. La pièce s’est donc imposée d’elle-même, comme une intime conviction.

Comment sont nés Les Héritiers?
La troupe, basée à Bulle, s’est créée autour de mon projet. La pièce a été élaborée sur un mode hyperparticipatif: il s’agit finalement d’un collectif où chacun a amené ses idées quant à la mise en scène. Je suis moi-même comédien, au profit d’une formation de théâtre à Paris. Or, intégrer le tissu théâtral romand sans être sorti d’une école romande s’avère assez difficile. Cette pièce permettra peut-être de trouver de nouvelles collaborations ou opportunités de représentations dans la région.

Votre nom vous dit héritiers, mais de qui donc?
Louis Jouvet disait: «Nous sommes les héritiers de notre enfance». C’est cette innocence d’assumer que nous essayons de garder et de transmettre. Je suis moi-même un grand admirateur des metteurs en scène Peter Brooks, Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps, et surtout d’Omar Porras, avec qui j’ai suivi un atelier et dont j’apprécie le théâtre très physique. La BD et le dessin animé font partie de vos sources d’inspiration.

Les verra-t-on dans votre Ubu?
Absolument! Nous exploitons les ressorts des cartoons, tels les arrêts sur image, les ralentis, les courses dans le vide après un précipice. Et certaines atmosphères sont inspirées très librement de la bande dessinée Ubu roi, d’Emmanuel Reuzé.

En quoi vous démarquez-vous?
Ni notre Ubu, joué par moi, ni sa femme ne seront de gros bedonnants! Ils vont au contraire participer d’une esthétique rugueuse, sèche et patinée, dans un univers rattrapé par le passé et la déglingue. Nous mettons également l’accent sur les aspects de supercherie et d’autoréférence, notamment avec de faux techniciens de plateau qui font naître l’idée que tout n’est qu’un vaste jeu. «Prendre à contre-pied l’idée qu’un spectateur se fait de la réalité» est un de vos défis.

Comment vous y prenez-vous?
Nous essayons avant tout de désamorcer les attentes des spectateurs. Par exemple, quand le texte dit: «Je vais tuer le roi», au lieu de recourir à des crimes «classiques», nous jouons une mise à mort excessive, où le roi s’emmêle dans ses propres entrailles. Une autre démarche consiste à accentuer encore les situations niaises et absurdes, qui ne manquent pas dans le texte de Jarry.

La pièce a-t-elle pu bénéficier d’une aide institutionnelle?
Quand on débute, il faut se montrer persévérant dans ses demandes. Dans notre cas, l’insistance a fini par payer: le Bicubic nous a acheté la pièce, sur simple projet, pour l’inclure dans sa saison officielle. Ce geste de soutien a certainement joué en notre faveur dans l’obtention d’une subvention de la part de l’Etat de Fribourg, à qui la Loterie romande pourrait prochainement emboîter le pas.

Romont, Bicubic, samedis 3 et 10 novembre, à 20 h. Infos et réservations au 026 651 90 51 ou sur www.bicubic.ch

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