Dennis Hopper, de la fureur des sixties

Connu comme acteur et metteur en scène, Dennis Hopper (1936-2010) photographia – au mitan des années soixante – les coulisses de l’Amérique hippie.

par Christophe Dutoit

Sous souvenez-vous de Dennis Hopper, de ses apparitions aux côtés de James Dean dans La fureur de vivre et Géant, vous rappelez-vous d’Easy rider, son film de motards qui révolutionna le cinéma américain, de ses rôles de psychopathe dans Blue velvet ou de photographe déjanté dans Apocalypse now? Vous l’avez remis? Décédé en 2010 à l’âge de 74 ans, l’acteur fait aujourd’hui partie des figures mythiques de la contre-culture américaine.

Ce que l’on sait moins, c’est que Dennis Hopper fut épris de photographie entre 1961 et 1967. «Un jour, nous marchions sur un trottoir à New York. Dennis s’est tout à coup arrêté et il m’a dit: “Je vais faire un carré avec mes doigts et tu vas regarder exactement à travers, car ça ferait une excellente photographie”, raconte Brooke Hayward, son épouse d’alors. Un mois plus tard, je lui ai offert un Nikon pour son anniversaire…»
 

Durant ces sept ans, il se dit que l’appareil ne quitta plus son cou, de jour comme de nuit. Avec son 28 mm et ses films Tri-X noir et blanc, Dennis Hopper photographie tous les sujets qui nourrissent son quotidien d’acteur bohème: l’avant-garde artistique de Manhattan (il fut le premier à acheter une «soupe Campbell» à Andy Warhol), mais aussi la marche pour les droits civiques de Martin Luther King, les manifestations à Los Angeles, une horde de Hells Angels et une ribambelle d’acteurs dans les coulisses d’Hollywood. Des images exposées à Fort Worth (Texas), en 1970.

Hippie et libertaire
Et puis, plus rien. Après avoir été un «documentateur» privilégié des mouvements sociaux des années soixante, il abandonne soudain son appareil pour se livrer tout entier à la réalisation d’Easy rider, son chef-d’œuvre hippie et libertaire. Longtemps, on pensa ses images perdues dans son exil à Taos (Nouveau-Mexique) où il trouva refuge dans l’alcool et les drogues pour survivre à son bannissement d’Hollywood.

Quelle ne fut donc pas la surprise, pour sa famille, de trouver intacts – en 2010 – les 429 tirages de l’exposition texane! Réunie sous le titre The lost album, cette série fait l’objet de la reconstitution, à Berlin, de l’accrochage originel et d’un magnifique ouvrage qui fait suite à la «bible» parue en 2011, intitulée Dennis Hopper: photographs 1961-1967 (Taschen).

La redécouverte de ces images, quarante ans après leur disparition, permet de jeter un regard nouveau sur l’œuvre photographique de Dennis Hopper. Lui qui prétendait «regarder, à l’aide de son Nikon, la vie sous une nouvelle lumière, avec toujours cette phrase de Marcel Duchamp en tête: “L’art est partout. L’artiste actuel est celui qui pointe son doigt sur un coin de rue et qui dit: c’est de l’art et ça devient de l’art.”»

Un témoin, un chroniqueur
Evidemment, ce dogme ne fonctionne pas pour n’importe quel pékin. Mais, dans le cas de Dennis Hopper, il explique parfaitement son mode de fonctionnement. Lui qui se définit volontiers comme «un observateur, un témoin, un chroniqueur et… un sujet» livre une vision imparable de l’espoir déçu de l’Amérique des sixties.

Même si certaines ont pris des rides (aux sens propre et figuré), ses images chantent une ode à la liberté et «à la responsabilité engendrée par le fait d’être libre»

«Son travail combine empathie et distance, sympathie et besoin d’informer et d’éduquer, analyse Petra Giloy-Hirtz dans son texte d’introduction. Dennis Hopper porte un regard humain (humaniste?) sur les gens en marge de la société, sur la pauvreté, la tristesse, la solitude.» Même si certaines ont pris des rides (aux sens propre et figuré), ses images chantent une ode à la liberté et «à la responsabilité engendrée par le fait d’être libre», comme aimait à le préciser le photographe.

Surtout, The lost album permet de suivre la filiation de Dennis Hopper avec les grands maîtres de la photographie sociale que sont Dorothea Lange et Walker Evans. Et, de se poser en forme d’épilogue des Américains, le recueil clé de voûte du Suisse Robert Frank, publié en 1956, qui marqua durablement la photographie du reste du XXe siècle.

Petra Giloy-Hirtz, Dennis Hopper – The lost album, Editions Prestel (textes en anglais)

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